Candidats 2018 : le bilan

Le Tournoi des Candidats de Berlin a livré son verdict : une seule place à prendre, et c’est Fabiano Caruana qui l’a emporté. Il affrontera donc Magnus Carlsen pour le titre mondial, dans un match en 12 parties qui se déroulera à Londres en novembre.

Je vais revenir ici sur la performance de chacun des huit joueurs à Berlin, en remontant le classement final depuis la fin.

Aronian (8e avec 4.5/14 ; +1, =7, -6)
Pour Levon, ce tournoi aura été un long chemin de croix. Pourtant, sa première partie pouvait laisser présager de bonnes choses, avec une très bonne préparation face à Ding Liren…

Aronian-Ding, R1 ; 8.h4!, une excellente nouveauté.
Aronian-Ding, R1 ; 8.h4!, une excellente nouveauté.

Malheureusement, Levon n’arrive pas à trouver le meilleur chemin dans les complications. Après, ça commence à déraper dès la ronde 3 face à Kramnik ; à vrai dire, je n’ai pas trop compris comment il a pu se retrouver dans une situation aussi délicate si rapidement. Pourquoi est-il entré dans cette variante ? Qu’a-t-il bien pu oublier ? Seul Levon le sait ! Ce qui est sûr, c’est que ça peut arriver à tout le monde de faire un mauvais choix.

Aronian-Kramnik, R3 ; avec un rapide …Tg8 et …g5, les noirs ont pris l’initiative d’emblée.
Aronian-Kramnik, R3 ; avec un rapide …Tg8 et …g5, les noirs ont pris l’initiative d’emblée.

Il s’est tout de suite repris avec les noirs, profitant d’une interversion de coups de Karjakin dans l’ouverture. C’est vraiment un scénario sympathique pour se refaire, mais d’un autre côté, il n’a pas eu grand-chose à montrer dans cette partie. Ensuite, il rate une belle opportunité contre Grischuk, et se fait dominer par So. Il décide alors de faire all in contre Caruana à la ronde 7, et c’est un vrai tournant dans le tournoi.

Aronian-Caruana, R7 ; 16.g4!? sacrifiant un deuxième pion, une idée audacieuse qui ne paiera pas.
Aronian-Caruana, R7 ; 16.g4!? sacrifiant un deuxième pion, une idée audacieuse qui ne paiera pas.

C’est là qu’on s’est vraiment rendu compte qu’il n’était pas au top dans ses prises de décision, malgré quelques bonnes idées dans ses ouvertures blanches. Il a été moins précis que Fabiano sur cette partie, et moins performant dans ses calculs. A partir de là, avec -2 à la mi-tournoi, il m’a semblé démotivé. La suite s’est révélée chaotique, et ça aurait presque pu tourner encore plus mal. Dans l’ensemble, on peut dire qu’il a été out of the game dans la deuxième moitié du tournoi. A sa décharge, c’est vraiment difficile de se remotiver quand on n’a plus grand-chose à jouer et que ceux qui gravitent en haut du classement sont de leur côté surmotivés.

So (7e avec 6/14 ; +1, =10, -3)
Je trouve que Wesley a pris un peu plus de risques que sur un tournoi normal, et il a produit 2-3 bonnes parties. J’attendais toutefois mieux de lui, car en revanche, ses prépas n’étaient pas au niveau d’exigence attendu et notamment avec les blancs, où il s’est montré globalement inoffensif. Il a aussi payé son départ calamiteux ; 0/2 dans un Tournoi des Candidats, ça plombe forcément la suite. D’autant plus que quand il a menacé de tenter une remontée, après sa seule victoire dans le tournoi, il a immédiatement rechuté face à Karjakin !

Karjakin-So, R7 ; l’horrible 36…Re8? plombera définitivement le tournoi de l’Américain.

S’il s’est montré plutôt entreprenant quand il en a eu l’opportunité, ses imprécisions et sa préparation trop légère ont à mon sens plombé son tournoi.

Grischuk (6e avec 6.5/14 ; +2, =9, -3)
Encore une fois, il a été pénalisé par ses zeitnot chroniques, et ce dès la première ronde !

Kramnik-Grischuk, R1 ; en zeitnot, Grischuk va rapidement perdre pied dans cette position presque égale.
Kramnik-Grischuk, R1 ; en zeitnot, Grischuk va rapidement perdre pied dans cette position presque égale.

Il s’est bien rattrapé juste après, avec une victoire maîtrisée contre So.

Grischuk-So, R2 ; toutes les pièces blanches convergent vers le Roi noir !
Grischuk-So, R2 ; toutes les pièces blanches convergent vers le Roi noir !

Après une série de cinq nulles, il a battu Kramnik au terme d’une partie bizarre, mais plutôt pas mal conduite dès lors qu’il a eu le pion de plus. Je trouve qu’il a eu beaucoup d’inventivité, et il a posé pas mal de problèmes dans l’ensemble. Je pense à son idée dans l’Anti-Marschall, qui ne fait certes pas partie des coups les plus effrayants à première vue, mais qui n’est jamais facile à affronter sur l’échiquier.

Grischuk-Aronian, R12 ; 9.Fd2, un concept nouveau et subtil.

Il a eu l’opportunité d’obtenir un sérieux avantage dans cette partie de la ronde 12, et s’il l’avait emporté, le sprint final aurait pu être différent. Ensuite, vu la situation du tournoi, il cherche à conserver des chances de gain contre Mamedyarov à l’avant-dernière ronde, et il oublie un affreux détail tactique !

Mamedyarov-Grischuk, R13 ; 35.e6!, le coup intermédiaire qui fait mal !
Mamedyarov-Grischuk, R13 ; 35.e6!, le coup intermédiaire qui fait mal !

Il aborde ensuite la dernière ronde contre Caruana avec de belles intentions, ce qui est tout à son honneur, mais Fabiano était tout simplement trop fort dans ce tournoi.

Kramnik (5e avec 6.5/14 ; +3, =7, -4)
L’attraction du tournoi ! Je pense que tout aurait pu être très différent s’il l’avait emporté contre Caruana à la ronde 4. Il a d’abord été très mal, avant que la partie connaisse de nombreux rebondissements et ne se termine mal pour lui.

Kramnik-Caruana, R4 ; la finale reste complexe, mais les blancs sont proches du gain.
Kramnik-Caruana, R4 ; la finale reste complexe, mais les blancs sont proches du gain.

Rater une telle occasion d’un démarrage de rêve avec 3.5/4, c’est un scénario difficile à vivre. Il a certainement subi le contrecoup de cette défaite par la suite, à cause de l’énergie, tant physique que nerveuse, déployée dans une telle partie. Sur la fin du tournoi, il s’est cependant refait une santé. C’était très sympa de le voir prendre autant de risques, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y avait de l’action dans ses parties ! J’imaginais quand même qu’il chercherait un peu plus à gérer son tournoi, mais il a vraiment refusé d’être calculateur et a été très généreux. Mais pour que cette stratégie s’avère vraiment efficace, il aurait fallu qu’il se montre plus précis dans ses calculs. Mais cela n’a pas été le cas, et il a raté trop d’occasions, et commis beaucoup trop de fautes.

Ding Liren (4e avec 7.5/14 ; +1, =13, -0)
Il a montré qu’il méritait vraiment sa place, et je trouve que pour un premier Tournoi des Candidats, c’est une vraie réussite. En effet, +1 et seul joueur invaincu du tournoi, c’est un résultat d’ensemble assez impressionnant pour le joueur chinois, qui a commis très peu d’erreurs et s’est montré très résistant en défense. Même confronté à des surprises de taille, par exemple contre Grischuk (ronde 4), il a su réagir avec beaucoup de sang-froid et d’opportunisme. Le fait qu’il ait été objectivement perdant dans cette partie n’est qu’un détail !

Grischuk-Ding Liren, R4 ; les deux joueurs ont raté 22.Fh4+ Ff6 23.Dg4! qui gagnait pour les blancs.
Grischuk-Ding Liren, R4 ; les deux joueurs ont raté 22.Fh4+ Ff6 23.Dg4! qui gagnait pour les blancs.

Petit bémol sur quelques parties un peu plus fébriles, et sur sa difficulté à poser de vrais problèmes avec les blancs. Je pense par exemple à sa partie contre Caruana, où il se fait surprendre un peu vite.

Ding Liren-Caruana, R2 ; les noirs sortent de l’ouverture avec un pion et du jeu pour la qualité, ainsi qu’une très confortable avance au temps.
Ding Liren-Caruana, R2 ; les noirs sortent de l’ouverture avec un pion et du jeu pour la qualité, ainsi qu’une très confortable avance au temps.

Il a su être précis dans une grande majorité de parties, même s’il a raté quelques opportunités de conclure, mais elles n’étaient vraiment pas faciles, à part contre Grischuk.

Ding Liren-Grischuk, R11 ; au lieu de 29.Cf4, 29.Cd8! scellait le sort du Roi noir.
Ding Liren-Grischuk, R11 ; au lieu de 29.Cf4, 29.Cd8! scellait le sort du Roi noir.

Je me sens d’une certaine façon assez solidaire, car je sais d’expérience combien il est difficile de toujours concrétiser les avantages !

Ding Liren-Aronian, R8 ; Ding ne parviendra pas non plus à remporter cette finale avec un pion de plus.
Ding Liren-Aronian, R8 ; Ding ne parviendra pas non plus à remporter cette finale avec un pion de plus.

Contre Caruana (ronde 9), sa résistance a été mise à mal et il a dû céder, pour finalement bénéficier d’un demi-point cadeau de son adversaire ! Mais afin de se mêler vraiment à la lutte pour la victoire finale, il aurait fallu un petit plus, et notamment qu’il se montre « tueur » quand l’occasion se présente.

Karjakin (3e avec 8/14 ; +4, =8, -2)
Il a fait un début vraiment catastrophique (1/4 avec trois fois les blancs !), et on le voyait parti pour être inexistant ! Il perd d’entrée une mauvaise partie contre Mamedyarov, enchaîne certes avec une Berlinoise solide contre Kramnik, mais perd à nouveau avec les blancs face à Aronian lors de la ronde 4. Tout était en place pour qu’il soit le « client » du tournoi ! Là où d’autres se seraient écroulés, lui il s’accroche… Après deux nouvelles nulles, il y a eu un tournant ronde 7 avec ce don du ciel de Wesley So, qui lui a permis d’enchaîner ensuite les bons résultats. Avec en point d’orgue cette victoire de la 12e ronde contre Caruana, qui l’a propulsé en tête à deux rondes de la fin !

Karjakin-Caruana, R12 ; le sacrifice 17.Fxd5! est très déplaisant pour les noirs.
Karjakin-Caruana, R12 ; le sacrifice 17.Fxd5! est très déplaisant pour les noirs.

On s’est alors dit qu’il allait refaire le coup de 2016 ! Ce ne sera finalement pas le cas, mais au final, et comme d’habitude devrais-je dire, il a fait preuve de très belles ressources mentales en dépit d’un démarrage calamiteux, et il montre à nouveau qu’il est toujours présent dans les rendez-vous importants.

Mamedyarov (2e avec 8/14 ; +3, =10, -1)
Il a montré un très bon niveau de jeu, et beaucoup de régularité. Sa deuxième place est amplement méritée, il a joué la gagne pendant tout le tournoi, et n’était finalement pas si loin. Une seule erreur de Caruana lors de la dernière ronde, et c’est lui qui aurait gagné le droit d’affronter Carlsen ! Il a été souvent entreprenant dans ses choix, mais parfois un peu timoré aussi. Il a tenté des choses intéressantes, notamment avec les noirs ; je pense à son Espagnole avec …g6 contre Karjakin, ou à la Najdorf contre Caruana. J’ai même eu le sentiment qu’il essayait peut-être plus de pousser avec les noirs dans la première moitié de tournoi. Tout s’est bien passé pour lui et son tournoi était sous contrôle, jusqu’à ce qu’il se brûle les ailes dans la 12e contre Ding Liren.

Mamedyarov-Ding Liren, R12 ; 33.g5?, le début d’une contre-offensive désespérée à l’aile-Roi qui ne portera pas ses fruits.
Mamedyarov-Ding Liren, R12 ; 33.g5?, le début d’une contre-offensive désespérée à l’aile-Roi qui ne portera pas ses fruits.

Peut-être a-t-il pêché par excès de confiance ou d’optimisme dans cette partie, comme si ses vieux démons étaient revenus le hanter…

Caruana (1er avec 9/14 ; +5, =8, -1)
Je ne vais pas dire que je manque de superlatifs, mais la performance de Caruana est exceptionnelle. Dès la première partie, il a annoncé la couleur, avec une très belle idée dans l’ouverture qui a posé beaucoup de problèmes à So, qui n’est pas forcément le meilleur client pour cela ! Dans beaucoup de parties, il a lui-même recherché les complications, et si parfois auparavant, ça pouvait lui retomber dessus, ça n’a pas du tout été le cas à Berlin. Il est arrivé frais pour le tournoi, avec pas mal d’idées en poche et une bonne dose de sang-froid. Ses parties ont presque toutes été intéressantes, et il a eu le petit coup du pouce du destin dans cette partie de la ronde 4 contre Kramnik. Du coup, il s’est rapidement retrouvé en pole position. Après, il n’a pas forcément profité de toutes les opportunités qui lui ont été offertes. Je pense notamment à ses parties des rondes 8 et 9 : contre So, il a poussé avec la Petroff dès qu’il a compris qu’il avait l’avantage, mais finalement sans succès.

So-Caruana, R8 ; après la jolie manœuvre 15…Ca7-c8, ce sont les noirs qui pressent.
So-Caruana, R8 ; après la jolie manœuvre 15…Ca7-c8, ce sont les noirs qui pressent.

Et surtout contre Ding Liren le lendemain, il a raté un gain très net…

Caruana-Ding Liren, R9 ; les blancs ratent 66.Cf8+! Rg8 67.h6 qui gagnait en force.
Caruana-Ding Liren, R9 ; les blancs ratent 66.Cf8+! Rg8 67.h6 qui gagnait en force.

Ensuite, il enchaîne avec deux autres nulles solides contre Mamedyarov et Kramnik, et c’est là qu’arrive sa seule médiocre prestation, ronde 12 contre Karjakin. En fait, il a payé toute la partie sa mauvaise décision de permettre un sacrifice de qualité prometteur ; j’ai tout de suite compris pendant le direct que ça risquait de mal tourner pour lui. Mais je dois tirer mon chapeau à Fabiano pour avoir trouvé les ressources physiques et mentales lui permettant de remporter les deux dernières parties et d’assurer sa victoire sans tenir compte des autres résultats. Au passage, je comprends qu’il ait choisi de ne pas proposer nulle à Grischuk au moment où il a appris que le demi-point suffirait. Sa position était techniquement gagnante, le risque de perdre nul, il n’a vu aucune raison de ne pas conclure.
Pour l’ensemble de son œuvre à Berlin, Fabiano mérite amplement son statut de challenger officiel, qui vient sanctionner un véritable travail d’orfèvre.

Au final, ce Tournoi des Candidats a ressemblé à celui de 2013 (remporté par Carlsen), et aussi à celui de 2016 (remporté par Karjakin) pour son finish. Il a été très spectaculaire, personne ne s’est vraiment retenu, tout le monde a lâché ses coups et a pris des risques. Il y a eu beaucoup de choses à voir et à apprécier en tant que spectateur.
Clairement, le match Carlsen-Caruana de novembre sera assez sympa à suivre. Je m’attends à ce que Fabiano cherche à obtenir l’initiative, et on devrait donc assister à une confrontation très intéressante !

[otw_shortcode_quote border=”bordered” border_style=”bordered” background_pattern=”otw-pattern-1″]Simultanée des Grandes Ecoles
Le week-end des 24-25 mars se déroulait la 25e édition du Trophée des Grandes Ecoles, organisé par EY dans ses locaux de la Tour First, à La Défense. On peut dire qu’avec plus d’un quart de siècle d’existence, cet événement est désormais bien ancré dans la vie échiquéenne française. Conçu comme une compétition entre des grandes écoles issues de tout l’Hexagone, le tournoi initial se dispute en parties rapides, et il a réuni cette année près de 200 étudiants, représentant 43 grandes écoles. L’originalité du Trophée réside dans l’offre qui est faite aux 8 meilleures équipes d’affronter un grand champion en simultanée à la pendule. Pour l’édition 2018, c’est Maxime qui avait été convié, et ce pour la troisième fois après 2007 et 2013. On peut dire qu’il n’a pas fait dans le détail, remportant ses huit parties avec une large avance à la pendule, même si deux d’entre elles furent loin d’être aussi simples que ne laisse supposer le score ![/otw_shortcode_quote]

Video :

Les parties de Maxime

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