L’art difficile de la conversion

Tout juste rentré de la Coupe du Monde esport à Riyad (voir encadré à la fin) et après avoir changé essentiellement de valise 😊, je suis arrivé aux États-Unis quelques jours avant le début des tournois du Grand Chess Tour, histoire de m’acclimater tranquillement. En effet, outre le décalage horaire, la vie aux États-Unis est toujours un petit peu différente de celle en Europe. Du coup, je suis passé voir des amis, puis je suis arrivé à Saint-Louis le 9 août, soit deux jours avant le début du Rapide. La petite nouveauté sur place, c’est que comme le club était toujours en travaux, nous jouions à 15 minutes en voiture, dans un bâtiment qui abrite normalement le studio des commentateurs. Les conditions de jeu étaient un peu différentes, mais tout aussi bonnes, pas de souci là-dessus.

La reprise a été un peu compliquée… Même si de manière générale, dans le Rapide, je m’en suis bien sorti, notamment sur les dernières parties de la journée (contre Shankland, contre Oparin où je gagne au temps et contre Wesley, contre qui j’ai joué une bonne partie). Mais les deux premières journées ont été particulièrement compliquées. +1 au niveau du score, mais ça aurait pu être beaucoup plus grave et ça aurait pu largement être -3. Mon jeu n’était pas bien maîtrisé dans l’ensemble, à commencer par la toute 1re partie contre Fabiano, où je me trompé dans l’ouverture et où j’étais perdant au bout de dix coups ! (mais nulle quand même 😊). Après ces 2 journées compliquées, j’ai remis de la solidité dans la troisième journée du Rapide, et c’était beaucoup mieux.

Regard tourné vers l’horizon et les prochains objectifs (Image : Stl Chess Club).
Regard tourné vers l’horizon et les prochains objectifs (Image : Stl Chess Club).

Dans les Blitz, c’était aussi pas mal, surtout la 1re journée, mais avec un thème qui va revenir plus tard, beaucoup d’occasions manquées…

Au final, l’opération comptable à la fin du tournoi était plutôt bonne avec cette 3e place, qui me permettait de mener le Grand Chess Tour et garantissait quasiment la qualification pour la finale à São Paulo. Mais au niveau du jeu, c’était un peu en demi-teinte, un peu comme en Arabie saoudite (Riyad) où il y a eu des hauts et des bas (certes, avec beaucoup moins de parties).

Sur ce, on arrive sans transition sur le tournoi Classique, où là l’objectif était simple : garantir les deux points et demi ou trois qui (d’après mes calculs !) étaient nécessaires pour assurer plus ou moins la qualification. Dans mon esprit, je pouvais quasiment finir dernier et me qualifier, même si ça n’aurait finalement pas été le cas avec le même trio que celui du podium final : en effet, si j’avais fini dernier, Wesley aurait pris ma place !

J’étais assez confiant, j’avais cinq fois les blancs, j’étais quand même plutôt en bonne forme et j’avais pu revoir mes lignes d’ouverture. Je trouvais que je m’étais plutôt bien préparé. Dans les ouvertures, ça s’est globalement très bien passé. Peut-être parfois un peu léger avec les blancs, mais c’était le cas de tout le monde ; même Fabiano a fait nulle tout de suite contre Levon, sans vraiment essayer. C’est tout dire !

Dans les parties en elles-mêmes, le vrai regret c’est évidemment beaucoup d’occasions (ou de demi-occasions) manquées. Une demi-occasion contre Alireza, où je fais une imprécision dans une position certes gagnante pour la machine, mais pas aussi triviale pour l’humain. Derrière, avec pourtant très peu de temps à la pendule, il a sorti la défense parfaite. C’est presque un fait de jeu, il est coutumier de ces défenses, mais en tout cas, disons que ce n’est pas un énorme raté.

Le duel franco-français en ouverture du tournoi (Image : Stl Chess Club).
Le duel franco-français en ouverture du tournoi (Image : Stl Chess Club).

Voici en revanche les 3 occasions de but, une franche et deux immanquables, que je me suis procurées sans les convertir :

MVL – ARONIAN, Ronde 3

Après une partie chaotique, j’ai pris l’ascendant, et suis délibérément rentré dans cette finale gagnante, même si j’avais sans doute à ma disposition une solution plus directe quelques coups plus tôt. Mais il me semblait que cette finale serait facile à convertir, et je me suis peut-être un peu trop relâché.

48.Fb2?! (pas une erreur à proprement parler car le verdict de la position reste inchangé, mais sans doute un premier pas dans la mauvaise direction. Plus simple était 48.Fc5 avec l’idée de mettre le Fou en b4 et le pion en a3 avant d’aller s’en prendre au pion h avec la Tour) 48…Rc7 49.Rh3 Te4 50.Rg3 Rc6 51.Ta5 h5 52.Rf3?! (un deuxième pas de côté. Comme on va bientôt le voir, mettre le pion en a3 rapidement constituait une assurance tous risques !) 52…Tc4

53.Ff6?? (et la gaffe arrive ! Les noirs n’avaient qu’une façon de s’en sortir ; en échangeant les Tours ou en gagnant le pion a. Ce coup catastrophique va leur permettre de faire un chantage à la première menace pour parvenir à la deuxième ! Après 53.a3 Tc2 54.Fd4 h4 55.Th5 Ta2 56.Fc5 h3 57.Fb4 h2, la machine confirme que la position reste gagnante, mais avec le pion noir en h2, la tâche aurait déjà été nettement plus ardue) 53…Tc5! 54.Ta6+ Rb7 55.Txe6 Ta5! (la douche froide ! Le pion a est perdu car si 56.Te2 Tf5+ profite de la position malencontreuse du Fou en f6). Après quelques coups à tenter de jouer la finale T+F c T, j’ai dû me résoudre à partager le point…

GUKESH – MVL, Ronde 4

J’ai réussi à ne pas me laisser envahir par le gain facile raté contre Aronian, et j’ai produit une très bonne partie contre le champion du monde. Malheureusement, j’ai commis dans cette position une stupide erreur de calcul, qui me coûtera un autre demi-point. Il fallait jouer la suite la plus naturelle, à savoir 31…Tg8+ 32.Rh2 Tf2, et les blancs ne peuvent pas s’en sortir : 33.Ff3 (33.e5+ Re6 34.Ff3 Fc6 35.Fxc6 bxc6 36.Tg1 c3! est sans espoir) 33…c3! 34.Tac1 (34.e5+ Re7! 35.Fxb7 Ff5 suivi de 36…c2 et les blancs sont ligotés) 34…c2, et là j’ai vu 35.Rg1?, oubliant complètement 35…Txf3! (35…Td2 gagne aussi d’ailleurs !). Du coup, j’ai changé mon fusil d’épaule pour 31…cxb3? 32.axb3 a6, qui laisse filer l’avantage après 33.Ff3. (1/2, 53 cps).

Une discussion amicale avec des gars sympa ! (Image : Stl Chess Club).
Une discussion amicale avec des gars sympa ! (Image : Stl Chess Club).

ABDUSSATOROV – MVL, Ronde 6

Après avoir effectué une belle prestation contre un Abdussatorov certes hors de forme, j’ai obtenu cette position gagnante au contrôle de temps. J’ai compris qu’il y avait 4 chemins possibles et qu’il y avait donc un choix important à faire. Le premier, le plus évident, était 41…Te6. Mais je n’étais pas certain que la finale après 42.Txe6 Rxe6 soit gagnée à coup sûr car, en dépit des deux pions de moins, les blancs ont un blocus sur cases blanches. 41…Te3 42.Txb6 Txd3 43.Cxf5 Tc3 semblait gagnant aussi, mais pas de manière limpide et linéaire. Idem pour 41…Tb1 42.Rf3 (mais pas 42.Txb6 c4!).

Je me suis donc penché sur la solution linéaire, à savoir la finale de pions après 41…Te2+? 42.Rf3 Th2 43.Rxf4 Txh4+ 44.Rxf5 Th5+ 45.Tg5 Th3 46.Tg6 Tf3+

47.Rg4? (Nodirbek m’a dit à la cérémonie de clôture qu’il avait rapidement rejeté 47.Re4 Te3+, oubliant le retour 48.Rf5) 47…Rxg6? (poursuivant sans réfléchir ma transition vers une finale de pions que j’estimais gagnante. Ici, avec le Roi blanc en g4 et pas en e4, la finale de Tours après 47…Txd3 48.Txb6 Re7! était bien gagnante, elle !) 48.Rxf3 Rg5 49.Rg3 et contre toute attente, cette finale s’est avérée nulle, ce qui est vraiment un coup de « pas de chance » ! Les blancs doivent jouer une longue série de « seuls coups » avec leur Roi, mais quelle que soit la façon dont je prépare la poussée …b5, puis la poussée …a4, il y a toujours un trou de souris pour le Roi blanc, dès lors qu’il respecte tous les principes des fameuses « cases conjuguées ». Malgré tous mes efforts, Nodirbek sera à la hauteur de la tâche pour sauver le demi-point.

Après cette litanie d’occasions manquées, ma partie contre Sevian constituait la dernière chance de jouer la gagne dans le tournoi. J’ai fait une préparation sans doute un peu légère, mais qui a bien fonctionné, et j’ai pris l’avantage. Après j’ai pêché par « excès de choix ». J’ai fini par prendre les mauvaises décisions et la situation s’est un peu retournée.

Dès lors, les deux dernières rondes perdaient un peu leur intérêt : contre Fabiano, je n’avais pas envie de me préparer contre les 10 000 lignes qu’il pouvait me jouer (d’ailleurs, il m’en a joué une que je n’avais pas prévue !). J’ai préféré jouer la sécurité, le petit avantage sans histoire. Et à la dernière ronde, Duda avec les blancs a choisi de jouer une ligne de nulle théorique.

Classement du Grand Chess Tour avant la finale de Sao Paulo (Image : Wikipedia).
Classement du Grand Chess Tour avant la finale de Sao Paulo (Image : Wikipedia).

Annuler toutes ses parties, ce n’est jamais très agréable, mais dans le contexte, le bilan comptable n’est pas mauvais, avec quand même un petit regret de ne pas avoir capitalisé sur ma bonne forme pour remonter au classement Elo ; j’aurais pu quasiment revenir dans le Top 10 mondial dès maintenant. Mais d’un autre côté je reste optimiste. Je me dis que la solidité et le niveau de jeu affichés, c’est quand même de bon augure avant les échéances de l’automne (Grand Swiss, finale du Grand Chess Tour et Coupe du monde). Il y a cinq places qualificatives pour le tournoi des Candidats qui sont en jeu, 2 au Grand Swiss, 3 à la Coupe du Monde ; l’objectif est d’en prendre une de ces cinq, et aussi d’essayer de gagner pour la 1re fois le Grand Chess Tour, après tant de 2e places !

Les parties rapides de Maxime à Saint-Louis :

Les parties blitz de Maxime à Saint-Louis :

Les parties classiques de Maxime à la Sinquefield Cup :

Cet été, les échecs ont fait une entrée fracassante dans le monde du esport, en intégrant la prestigieuse Coupe du Monde regroupant les principaux jeux de la discipline. Maxime avait pour ma part signé dès le début de l’année avec l’équipe Vitality, l’une des meilleures du monde, qui a également l’avantage pour lui d’être française ! Les choses se présentaient plutôt bien puisque, tout comme son coéquipier Javokhir Sindarov, il avait franchi les difficiles étapes de la qualification et intégré la liste des 16 joueurs qualifiés pour la finale de Riyad, qui s’est déroulée du 29 juillet au 1er août. Mais la cadence de jeu (10’ sans incrément) est impitoyable et ni Javokhir ni lui ne sont parvenus à finir dans la première moitié de tableau, celle qui attribue des points aux équipes. C’est d’autant plus dommage que Maxime a échoué à un cheveu, à la toute fin d’un départage épique contre l’Indien Nihal Sarin. Il ne le savait évidemment pas à l’époque, mais les quelques points d’équipe lâchés à cette occasion feront la différence entre la 3e place à la Coupe du Monde finalement conquise par Vitality, et la seconde ! Avec accessoirement un manque à gagner d’1M$ pour l’équipe…

Il se consolera avec cette présence sur le podium qui améliore le résultat de Vitality l’année dernière (4e), et laisse augurer de très belles choses pour 2026…

Top