Grand Chess Tour 2017 : 2e derrière Carlsen

Retour sur le London Chess Classic qui a clôturé le Grand Chess Tour 2017, le circuit d’élite des joueurs d’échecs professionnels. Je reste donc sur une série de cinq nulles avant la seconde journée de repos ; le problème que j’ai eu à Palma perdure, c’est cette difficulté à concrétiser les positions avantageuses… Pendant le jour off, je ne me prends pas la tête et je privilégie le repos, profitant également du côté sympa du tournoi londonien, à savoir que de nombreux français disputent l’Open (Ndlr, notamment 8 titrés français participaient, à savoir les GMI Sébastien Mazé – co-vainqueur -, Matthieu Cornette, Jules Moussard, Jean-Pierre Le Roux, Thal Abergel, et les MI Anthony Bellaiche, Sophie Milliet et Andreea Navrotescu).

Je dois faire mon mea culpa

Du coup, on peut sortir un peu ensemble le soir, se changer les idées. La plupart d’entre eux logent dans un appartement à côté de l’hôtel, ce qui permet aussi de se retrouver sur place, et de se lancer quelques challenges sur Fifa par exemple !

Maquette de l’écran de retransmission des parties (Etienne Mensch)
Maquette de l’écran de retransmission des parties (Etienne Mensch)

La partie de la 6e ronde contre Caruana est typique de ces ouvertures frustrantes, qui sont un petit peu mieux pour les blancs mais qui, au final, n’offrent guère de chance de gain si l’adversaire connaît bien la ligne, comme c’était le cas de Fabiano. Peut-être aurais-je pu être un tout petit peu plus précis, mais ça se joue vraiment sur des micro-détails et je ne pense pas que ça aurait changé grand-chose au résultat. J’ai compris que je ne gagnerais pas après 24…Cg6, et avec l’implantation d’un cavalier noir en f4, le contre-jeu est trop important.

Le lendemain contre Karjakin, je me retrouve encore dans cette variante spécifique de la Najdorf Pion empoisonné avec 9.a3. Tout le monde semble s’être donné le mot pour jouer ça contre moi ! Sur l’échiquier, je n’ai pas pu me souvenir de tout sur la ligne secondaire 14…g5 15.h4. D’où mon petit quart d’heure de réflexion pour jouer 17…hxg5, une suite qui semble dangereuse de prime abord car elle laisse filer la colonne h. Mais en réalité, les blancs n’ont pas de moyen de l’exploiter et au contraire, c’est finalement le pion blanc en g5 qui se retrouvera un peu faiblard. Karjakin a montré à l’analyse qu’il aurait dû jouer 21.g6!, un coup compliqué qu’il a mis une demi-heure à rejeter ! Après 21…Tg8 22.gxf7 Txg2 23.Th8+ Cf8 24.Cxe6 Dc4!, les noirs ont sans doute assez de ressources pour conserver l’égalité. Mais je dois faire mon mea culpa, car j’ai complètement zappé cette possibilité 21.g6!, et je ne l’ai vue que juste après avoir joué mon coup 20…0-0-0.

Un coup imprécis provoque l’abandon

Evidemment, ce genre de bévue ne devrait pas arriver, mais le bon côté des choses, c’est que du coup, j’ai économisé dix minutes de vérifications tactiques !

Ensuite, je crois avoir plutôt bien maîtrisé les événements, et je suis assez content du coup 23…Tg7!, qui n’a l’air de rien, mais qui m’a permis au final de reconquérir la colonne h. Je refuse ensuite la répétition de coups car je sens que j’ai pris l’initiative, notamment grâce à la manœuvre standard …Fd8-b6. Après 33…Th4, la pression sur e4 s’intensifie, et je sais que j’ai un net avantage. Sergeï est alors mal au temps, et je sens qu’il craint de garder les Dames. De mon côté, j’ai la conviction qu’en fait, l’échange des Dames va très mal se finir pour lui, et effectivement, il se retrouve ensuite quasiment en position de zugzwang !

Un jeune garçon joue le premier coup de Karjakin contre Maxime (photo Spectrum Studios)
Un jeune garçon joue le premier coup de Karjakin contre Maxime (photo Spectrum Studios)

Après la manœuvre 44…Cf3+ suivi de …Ch4-g6, même si là encore, ça n’a l’air de rien, en fait mon aile-Roi est stabilisée et je peux amener tranquillement mon Roi de b8 en e7 afin de protéger le pion f7. Sergeï craque avec 56.Cf4?, qui perd directement le pion g5, mais je pense que de toute façon, celui-ci était condamné à terme. Certains se sont demandé si son abandon après 59…d5 n’étais pas prématuré. Evidemment, Sergeï a vu que j’allais obtenir deux pions passés liés, et il n’a pas insisté. De mon côté, j’avais anticipé 60.Th8 Fc6 61.exd5 (61.Tc8? Rd7 62.Tf8 d4! 63.Txf7+ Re8 64.Tc7 dxc3 65.Txc6 Tg1 mat) 61…Fxd5 62.Tb8 Fg2 63.Tb6 Tc5 suivi de …Tc6, mais en fait, après 64.Ca2! (que je n’avais pas vu) 64…Tc6 65.Tb7+ Rf6 66.Ta7 suivi de 67.Cb4, les blancs trouvent un peu de jeu et vont sans doute gagner le pion a6, même si ce n’est sans doute pas suffisant pour sauver la partie. Du coup, il est vrai que mon dernier coup 59…d5, même s’il provoque l’abandon de mon adversaire, n’était certainement pas le plus précis ! Je ne dois jamais laisser cette possibilité de contre-jeu, et aurait certainement dû commencer par 59…Fc6.

En tout cas, voilà une victoire qui fait vraiment du bien, dans une partie contenant pas mal de coups sympa et que j’ai l’impression d’avoir très bien maîtrisée, si l’on met de côté les petites imprécisions mentionnées ci-dessus !

Pas le choix du coeur

Le lendemain, avec les blancs contre un Anand en petite forme, j’étais donc particulièrement motivé. Malheureusement, il s’est montré extrêmement bien préparé sur le Giuoco Piano, et il a joué de façon impeccable jusqu’à la fin. Pourtant, j’étais moi-même assez au courant de cette ligne, que je connaissais jusqu’à 17…Fe8. Sur le coup, j’étais plutôt content de mon idée 18.Fxd5 suivi de 19.c4, mais en réalité, après 21.d4, que je dois jouer sinon je n’ai rien, les noirs égalisent de manière forcée avec la manœuvre 23…Fc5 et 24…Fb6 ; je n’avais pas anticipé cela lorsqu’ai joué 18.Fxd5.

Le lendemain, j’ai éprouvé de gros regrets lorsque j’ai vu sa partie catastrophique contre So. Peut-être aurais-je dû choisir une ligne plus risquée ? Mais Anand a déjà montré qu’il était bien préparé en général, par exemple contre la Catalane de Carlsen lors de la troisième ronde, et qu’il ne suffit pas de jouer un quelconque b3/Fb2 pour le sortir de ses connaissances !

Maxime tout sourire avant le début de la ronde (photo Spectrum Studios)
Maxime tout sourire avant le début de la ronde (photo Spectrum Studios)

Quand j’aborde la dernière ronde, je sais que si je veux avoir une chance de rattraper Carlsen au classement du Grand Chess Tour, il me faudra très certainement battre Nepo avec les noirs. Je n’étais pas non plus certain de ce que seraient les intentions de mon adversaire. Allait-il forcer la nulle, au risque de se laisser rattraper au classement du tournoi par Caruana ? Ou allait-il essayer de garder son destin entre les mains en jouant pour le gain ? Il a finalement opté pour la première solution et je ne lui jette pas la pierre car au vu de son score très négatif contre moi, il a pris une décision que je comprends, et que j’aurais sans doute prise également moi-même dans sa situation. C’est le genre de choix que le cœur n’approuve pas, mais que la tête recommande chaudement !

A peine 20% de chances

De mon côté, même si j’aurais préféré éviter toute suite qui annule en force, j’étais « dans la boîte » dès 6.Ff4, car je n’ai plus de bonne déviation après. Et il n’était guère envisageable de jouer contre un Maroczy, et de prendre le risque de me retrouver moins bien, sans contre-jeu, dans un type de position que je ne connais pas très bien. Dès lors, j’ai accepté de rentrer dans une suite dont je sais depuis longtemps qu’elle peut mener à la nulle par répétition que l’on a vue dans la partie.

Dernière ronde contre Nepo : le temps est suspendu en attendant que le Fou de Maxime atterrisse en b4… (photo Spectrum Studios)
Dernière ronde contre Nepo : le temps est suspendu en attendant que le Fou de Maxime atterrisse en b4… (photo Spectrum Studios)

Au final, je partage la 3e place ex-aequo à Londres, et je conserve ma 2e place au classement 2017 du Grand Chess Tour. Au début du tournoi de Londres, avec 3 points de retard sur Magnus, et une partie noire de plus que lui, je savais que mes chances de le rattraper n’étaient pas énormes, j’imaginais de l’ordre de 20% maximum. J’étais tout de même décidé à tenter le coup !

A ma place sur la deuxième marche

Malheureusement, je n’ai pas su conclure les opportunités en début de tournoi, notamment avec les blancs. C’est toujours désagréable de ne pas pouvoir pousser un peu plus avec les blancs, mais sur mes quatre parties blanches à Londres, ça ne m’est arrivé que contre Caruana et Anand. Dans les deux autres (contre Carlsen et Nakamura), j’avais obtenu un bon avantage, certes pas concrétisé !

L’excellence française également représentée à Londres par le MI Etienne Mensch, en charge de la retransmission des parties (photo Spectrum Studios)
L’excellence française également représentée à Londres par le MI Etienne Mensch, en charge de la retransmission des parties (photo Spectrum Studios)

Il est vrai que tout le monde a eu un peu ce même problème à Londres, à savoir la difficulté à prendre l’avantage avec les blancs. On a bien vu que les ouvertures d’Aronian avec les blancs marchaient moins bien par exemple, ce qui est quand même un signe qui ne trompe pas. D’ailleurs, dans ce tournoi, il faut remarquer que les noirs l’ont emporté 6 victoires à 4 !

Bien sûr également, à ce niveau de compétition, il ne faut pas rêver ; on ne peut pas espérer ramener un point entier de toutes les positions favorables. Néanmoins, il est clair que sur les trois parties nulles contre Nakamura, Carlsen et Aronian, je dois au moins en remporter une. Bref, ne pas être récompensé à la fin parce qu’on n’a pas su exploiter les possibilités offertes, c’est quelque chose de normal, et je suis à ma place sur la deuxième marche du podium !

Le prochain rendez-vous arrive vite, c’est le championnat du monde de parties rapides et de blitz, qui se déroulera à Riyad (Arabie Saoudite), du 26 au 30 décembre.

[otw_shortcode_quote border= »bordered » border_style= »bordered » background_pattern= »otw-pattern-1″]Jamais rassasiés !
A la fin d’un tournoi, l’heure est à la décompression et à la légèreté. Le Maître International anglais Lawrence Trent, commentateur apprécié du circuit professionnel et également connu pour avoir été un temps le manager de Fabiano Caruana, a disputé une série de blitz contre Maxime. Même s’il est réputé être dangereux en cadence rapide, l’Anglais disposait de 3 minutes contre une seule à Maxime, histoire de rendre le challenge plus équilibré. L’histoire ne retiendra pas le résultat final, mais on gardera avec gourmandise la vidéo de la fin d’un de ces blitz, quand Lawrence oublie un léger détail à la fin…
Vous trouverez également, outre la vidéo, cet extrait de partie retranscrit dans le viewer ci-dessous.[/otw_shortcode_quote]

Site officiel : http://www.londonchessclassic.com/

Les parties de Maxime

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