Réunion géante à Berlin

C’est la deuxième fois que la Bundesliga se retrouvait dans les salons de l’Hôtel Maritim à Berlin, très proche du centre-ville. Avec les seize équipes présentes pour les trois dernières rondes de l’année, on peut dire que ce long week-end constituait le point d’orgue de la saison, une sorte de grande fête des échecs en Allemagne. Sur le plan sportif, nous (Baden-Baden) abordions cet ultime rendez-vous de l’année à égalité avec Solingen, et avec l’espoir de pouvoir gagner notre duel à distance lors de l’une des trois rondes.

Levon Aronian étant cette fois présent dans l’équipe, je jouais au 2e échiquier, et je savais que j’allais commencer avec les blancs face à notre adversaire le plus difficile du week-end, Hockenheim.

Aronian semble un peu blasé, mais voilà un vrai duo de choc sur les premiers échiquiers de Baden-Baden (Photo : ©Theo Heinze).
Aronian semble un peu blasé, mais voilà un vrai duo de choc sur les premiers échiquiers de Baden-Baden (Photo : ©Theo Heinze).

Opposé au n°2 anglais David Howell (2699), je répète la même variante contre la Berlinoise que lors de ma partie contre Jakovenko au Grand Prix FIDE de Sharjah. Ce n’est jamais grand-chose, mais j’ai quand même eu l’impression de garder l’initiative, notamment après qu’il ait dû pousser 19…h4, laissant ce pion affaibli sur le long terme. Je parviens à obtenir une finale Tour et Fous de couleurs opposées avec un pion de plus.

MVL-Howell après 42.g3!
MVL-Howell après 42.g3!

Elle est certainement tenable, mais comme à son habitude David n’a plus beaucoup de temps, et il n’anticipe pas 42.g3!, avec l’idée 42…Fxh3 43.gxh4, qui donne une finale de Tours peut-être encore nulle, mais à l’évidence très compliquée à défendre. C’est le chemin qu’il a choisi, mais je dois dire qu’avec les noirs, je crois que j’aurais plutôt opté pour 42…hxg3+ 43.Rxg3, même si la défense est moins facile qu’elle n’en a l’air, malgré le potentiel pion c passé ; en effet, les blancs en auront quand même deux, des pions passés ! Juste après, dans la finale de Tours qui survient juste après le 40e coup, David a utilisé tout son temps pour essayer de trouver une nulle forcée, ce qui l’a obligé à jouer sur l’incrément tout de suite après. Du coup, il s’est immédiatement trompé avec 47…Rd5?, qui laisse les blancs placer le coup gagnant 48.Th2!. Or, la nulle était là, mais il fallait trouver 47…Th1+! 48.Th2 (48.Rg4 Rd5 49.Rg5 c4 et le contre-jeu noir arrive trop vite) 48…Txh2+ 49.Rxh2 c4 50.h6 c3 51.h7 c2 52.h8=D c1=D 53.Db8+ Re7 54.Dxb5 Dc2+ 55.Rg3 Dxa2, avec une finale D+pB contre D théoriquement nulle, mais quand même cauchemardesque à défendre ! Malheureusement, dès le coup suivant, j’ai moi aussi commis une boulette en poussant 49.h6? sans échanger les pions en c4 ; or, 49.bxc4 gagnait en ligne après 49…bxc4 50.h6 c3 51.h7 Tf8 52.Rg4 Th8 53.Rf5 Rd4 (53…c2 54.Td2+) 54.Rg6 et après le sacrifice des deux Tours, le pion a blanc file.

MVL-Howell après 53.Rg6
MVL-Howell après 53.Rg6

Ce que j’ai oublié dans la suite de la partie, c’est que 53…b4! marchait pour lui, au lieu de 53…Rd3? qu’il a choisi et qui, pour le coup, perd irrémédiablement. Après 53…b4! 54.Th4+ (54.Rg7 Txh7+ 55.Txh7 c2 56.Th1 Rc3 57.Rf6 Rb2 58.Re5 Rxa2! [58…c1=D? 59.Txc1 Rxc1 60.Rd4 +-] 59.Rd4 Rxb3 60.Rd3 Rb2 61.Rd2 b3 62.Tg1 Ra2 63.Rc1 Ra1! avec une nulle positionnelle) 54…Rd3 55.Txb4 c2 56.Tc4 Ta8 57.Tc7 Rd2 58.Rg7, je croyais que c’était plié, mais il y a la ressource 58…Ta7! 59.Txa7 c1=D 60.h8=D Dc3+! avec perpétuel sur le triangle c3-c8-h3 ! Heureusement, David non plus n’a pas vu cette ressource, et j’ai pu conclure, cette fois sans trop de difficultés.

Début d’un long week-end… (Photo: Maria Emelianova/Chess.com).
Début d’un long week-end… (Photo: Maria Emelianova/Chess.com).

Le lendemain, contre le GMI hongrois Adam Horvath (2486), j’obtiens la position souhaitée dans la Najdorf 6.Fe2, avec notamment mon Cavalier en c5 contre son Fou de cases blanches, et la pression à l’aile-Dame.

Horvath-MVL après 35.Da3
Horvath-MVL après 35.Da3

De mémoire, j’ai regretté d’avoir joué 35…Td8 au lieu de 35…Tc7, car j’aurais alors interdit son bon regroupement Te2-e3, puisque si 35…Tc7 36.Te2? Cxb3! 37.Tb1 (37.Tb2 Ta7!) 37…Ta7 38.Db2 Cd4!. Malgré tout, j’ai quand même pu gagner un pion après le 40e coup. Mais avec tous les pions sur la même aile, les difficultés techniques pour convertir sont souvent considérables, d’autant que je n’ai pas pu – ou su – conserver les six pièces lourdes sur l’échiquier, et que j’ai dû rapidement échanger une paire de Tours. Après, j’aurais pu choisir la finale de Dames, mais j’avais déjà eu l’occasion de la défendre, et je n’avais pas trouvé ça si difficile. J’ai donc tenté ma chance dans la finale de Tours et heureusement pour moi, il n’a pas saisi l’occasion de liquider par 63.f4! Txg3 (63…exf4 64.Rxf4) 64.fxe5 fxe5 65.Rxe5, avec une nulle triviale.

72…Tb3 pour Maxime. La finale est nulle mais les blancs ne parviendront pas à le démontrer (Photo : ©Theo Heinze).
72…Tb3 pour Maxime. La finale est nulle mais les blancs ne parviendront pas à le démontrer (Photo : ©Theo Heinze).

Après, la finale avec les pions e et f contre le pion f n’est pas si facile à tenir en pratique avec trente secondes par coup. Les blancs doivent faire attention à beaucoup de choses ; à mon Roi qui fait le tour, comme dans la partie, à mon duo de pions fixé en e5-f4 qui crée de nouvelles possibilités… A sa place, j’aurais empêché le Roi noir de passer par 79.Td3 (au lieu de 79.Ta6+), mais le fait est qu’il y a toujours un écart entre savoir qu’une finale est nulle, et l’annuler effectivement, coup après coup, sous la pression de la pendule !

Horvarth-MVL après 88.Tg2+
Horvath-MVL après 88.Tg2+

Ensuite, après le périple de mon Roi jusqu’en h2 et le coup 88…Tg2+, je pensais être gagnant, ce qui est effectivement le cas après 89.Rf5? Rg3! : mais, ultime péripétie de cette finale, 89.Rh4! tenait encore la nulle pour lui !
Un deuxième point entier obtenu à partir de finales objectivement nulles, mais pratiquement difficiles…

Maxime commente sa victoire contre Horvath (Photo : Georgios Souleidis).

La dernière partie, comme d’habitude en Bundesliga une partie du matin, n’a pas produit le résultat escompté. Le GMI allemand Ginsburg (2428) a pris beaucoup de temps, mais il a joué de façon assez précise de bout en bout. Dans l’ouverture, j’ai décidé de reproduire le schéma est-indien de Carlsen contre Caruana au récent tournoi Grenke, lorsque les blancs mettent leur pion en e3. Le petit sourire en coin de Laurent Fressinet pendant la partie m’a fait comprendre que la manœuvre provocatrice …Cc6-b4 devait être une impro de la part de Magnus, ce dont je me doutais déjà… Mais le fait de suivre Magnus sur ce terrain-là était aussi une improvisation de ma part !

Ginsburg-MVL après 26...Fb3
Ginsburg-MVL après 26…Fb3

Dans la position finale après 26…Fb3, j’ai compris que les blancs allaient jouer 27.Dc3 suivi de Tac1 et Fc4 avec complète égalité. Je n’ai donc pas insisté et j’ai proposé nulle.

Les parties de Maxime :

Site officiel : http://schachbundesliga.de

[otw_shortcode_quote border=”bordered” border_style=”bordered” background_pattern=”otw-pattern-1″]Il faudra revenir !Baden-Baden et Solingen ont remporté leurs trois derniers matches et finissent donc ex-aequo la saison. Mais les deux équipes ont quitté Berlin sans savoir qui était champion !
Quel drôle de règlement que celui de la Bundesliga… En cas d’égalité aux points de matches, ce sont les point d’échiquiers qui servent de départage, sauf pour le titre ! En effet, en cas d’égalité à la première place, il faut rejouer un match de départage, et pas le soir même en rapides, solution qui aurait le mérite de la simplicité. Le règlement stipule plutôt que les deux équipes doivent se rencontrer à nouveau, à la cadence classique, dans la ville de l’équipe avec le meilleur tie-break (Baden-Baden), et sous quinze jours !
Avec une partie de l’élite mondiale qui est concernée par ce match, nul doute que son organisation va constituer un sacré casse-tête ![/otw_shortcode_quote]

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