Un long week-end d’enfer !

Après la fin du tournoi de Gibraltar, le 31 janvier, mon emploi du temps des mois de février et mars était particulièrement léger. Ce qui m’a permis de recharger les batteries et de m’entraîner plus en profondeur, dans la perspective d’une période de huit mois, entre le 20 avril et Noël, qui s’annonce clairement comme la plus dense de ma carrière. Mais je ne serai pas seul dans ce cas, la plupart de mes collègues devront eux aussi en passer par là ! La faute à un calendrier qui n’a pas pu être harmonisé, et qui nous oblige à jouer tous les tournois FIDE (Grand Prix, Coupe du Monde et Grand Swiss), tous ceux du Grand Chess Tour, ainsi que les tournois privés et le Top 12, entre fin avril et décembre !
J’ai toutefois eu ces derniers jours comme un avant-goût de la période de folie qui m’attend, et qui commencera le 20 avril avec le Grenke Classic, où je retrouverai notamment Carlsen, Caruana, Anand et Aronian.
En effet, tout a commencé jeudi 4 avril, avec une journée consacrée au tournage d’un reportage pour Eurosport, qui devrait être diffusé très prochainement.

Séquence blitz pour Eurosport, tournée dans le Jardin du Luxembourg à Paris, avec le GMI Jules Moussard (photo : 7L Brand Agency).


Le lendemain à la mi-journée, j’ai pris un vol pour Düsseldorf. Je devais rejoindre mon équipe de Baden-Baden, qui disputait le dernier week-end de Bundesliga à Solingen, distante d’une trentaine de kilomètres. Le match décisif pour le titre était programmé le samedi après-midi, contre Solingen justement.

Mvl-Harikrishna (Baden-Baden vs Solingen).
Mvl-Harikrishna (Baden-Baden vs Solingen).

Au premier échiquier, j’ai fait face au n°2 indien, Pentala Harikrishna (2723) :

Jusqu’ici, Hari a suivi ma partie contre Anand disputée l’année dernière au Grenke Chess (1-0, 39 cps).

23.Db3+! Dxb3 24.Cxb3.

Un choix surprenant car il a réfléchi longuement, et je me demandais où il comptait améliorer. Mais dans la position du diagramme, j’ai été le premier à dévier avec 19.Tee2. En effet, je me suis souvenu que contre Anand, après 19.Fxf8 Thxf8 20.f4, les noirs auraient pu jouer 20…Dc4! 21.Dxd7 Ff7! et la double menace 22…Tfd8 et 22…Da2 leur permet de maintenir l’équilibre. Je savais que 19.Tee2 était le meilleur coup, mais il m’a fallu du temps pour comprendre pourquoi après 19…e5 ! J’ai finalement trouvé l’astuce 20.b3 Da5 21.Dh3!, et si 21…Dc3 22.Dxd7+ Rg8, qui a l’air fort pour les noirs, j’ai en réserve 23.Td3! donnant la case d2 au Roi (23…Fxd3? 24.De6 mat). Il a donc opté pour 21…Td8, mais j’ai pu prendre un énorme avantage après 22.b4 (la Dh3 protège a3 !) 22…Da4

Maxime sur le point de jouer 23.Db3+! (photo : Guido Giotta).
Maxime sur le point de jouer 23.Db3+! (photo : Guido Giotta).

23.Db3+! Dxb3 24.Cxb3.
Malheureusement, j’ai mal joué la phase technique. En voulant éviter les complications et stopper tout contre-jeu noir, je l’ai laissé revenir dans la partie, jusqu’à un moment où il pouvait forcer une nulle claire, qu’il a laissé passer ! Nous nous sommes alors retrouvés dans la finale suivante :

Mvl-Harikrishna
Mvl-Harikrishna

Ici, la dernière chance des noirs était 57…Rg7 58.Ce5 Ta5+ (58…Fc8? 59.Tg6+) 59.Rd6 (59.Rd4 Fc8 60.Tg6+ Rh7 61.Txg5 Ta7! et le pion c7 tombe) 59…Fc8 et l’issue reste incertaine. En revanche, après le choix de Hari 57…Re7?, j’ai pu jouer le simple 58.Tg6 Ta2 59.Txg5 après quoi j’étais presque sûr de l’emporter, surtout que je voyais mon adversaire devenir d’une grande fébrilité (1-0, 67 cps).

Nous avons donc battu Solingen, et le lendemain, il nous fallait confirmer contre une équipe beaucoup moins forte sur le papier (Düsseldorf), afin de garantir le titre de champion 2019. J’ai eu l’occasion de jouer pour la première fois de ma vie contre une légende, toujours actif à 67 ans, Jan Timman (2549).
J’ai joué assez rapidement avec les noirs, essayant d’éviter les variantes de nulle forcée et de laisser de la vie dans la position. Timman a plutôt réagi correctement et a maintenu l’équilibre jusqu’à la position suivante :

Timman-Mvl (Düsseldorf vs Baden-Baden).
Timman-Mvl (Düsseldorf vs Baden-Baden).

Ici, au lieu de 29.g4 ou 29.h4, Timman a choisi le catastrophique 29.Db3? qui perd du matériel. Ce n’est pas apparent tout de suite, mais après 29…b6 30.Tb5 (30.Tc4 Rh8! et les blancs ne devraient pas survivre à la menace 31…f5) 30…Dc6!, le clouage sur la grande diagonale blanche s’avère décisif. La partie s’est poursuivie par 31.Tb4 (31.f3 Txe4! suivi de 32…Td2+ et 33…Dd7 avec attaque de mat) 31…Rh8 32.Rh2 f5 33.Cg5 Td2! 0-1

A nouveau champion d’Allemagne avec Baden-Baden ! (photo : schachbundesliga.com).
A nouveau champion d’Allemagne avec Baden-Baden ! (photo : schachbundesliga.com).

Le calendrier étant ce qu’il est, www.chess.com n’avait pas pu trouver de date idéale pour organiser son premier championnat de Bullet en ligne, finalement programmé en même temps que le dernier week-end de Bundesliga, mais en soirée. Le Bullet, surtout sans incrément, est un format impitoyable (une minute chacun KO), qui fait la part belle à la rapidité de calcul, au maniement de la souris, et à la science du « premove » ! (anticiper son coup avant de voir celui de l’adversaire afin de gagner du temps). Du coup, la hiérarchie n’est pas forcément la même, et de vrais experts de cette cadence, comme l’Ukrainien Oleksander Bortnik ou le prodige iranien Alireza Firouzja, ont intégré le tableau final a 8 joueurs.

Tableau final du premier championnat de Bullet en ligne.
Tableau final du premier championnat de Bullet en ligne.

Ma « vraie » partie du samedi contre Harikrishna ayant été assez longue, j’ai juste eu le temps d’avaler un morceau avant de foncer dans ma chambre pour mon quart-de-finale contre le GMI argentin issu des qualifications, Federico Perez Ponsa. Je me suis imposé de justesse dans le temps additionnel (8.5-7.5), avant de retrouver Bortnyk en demi-finale plus tard dans la soirée. J’avais déjà eu l’occasion de faire de longues séries de Bullet contre lui il y a de nombreuses années, avec un score très légèrement en ma faveur. Mais c’était peut-être un peu trop d’échecs en une seule journée , et je me suis incliné 12.5-16.5.
Le lendemain soir, après avoir empoché le titre en Bundesliga, j’ai enchaîné avec le match pour la 3e place contre Aronian, joué au meilleur des trois sets de 6 victoires. Je me suis imposé (6-2, 6-0), tandis que quelques instants plus tard, Nakamura décrochait facilement le titre face à Bortnyk (6-1, 6-2, 6-1).

Il était temps alors d’aller se coucher, car le marathon n’était pas fini ! Le lendemain matin, je devais rejoindre Gonfreville l’Orcher, près du Havre, où j’allais assister à la cérémonie de clôture de leur 50e Open International et donner une simultanée sur 28 échiquiers. Sous la houlette de Cyrille Vaugeois, le sympathique club normand est réputé pour ses organisations très réussies, et j’avais d’ailleurs pu le constater lorsque j’étais passé en spectateur au Championnat de France Jeunes 2016.

Séance de dédicaces après la simultanée de Gonfreville l’Orcher (photo : Cyrille Vaugeois).
Séance de dédicaces après la simultanée de Gonfreville l’Orcher (photo : Cyrille Vaugeois).

Bien sûr, le résultat d’une simultanée reste anecdotique, mais je dois signaler que seul le rouennais Bilguun Bat (2163), âgé d’à peine 12 ans, m’a pris un demi-point. Ca n’aurait d’ailleurs pas été un scandale s’il m’avait battu ! D’autres jeunes joueurs ont essayé de placer des propositions de nulle malicieuses, mais j’ai été impitoyable ! 🙂
Après la séquence dédicaces, le cocktail dînatoire, et l’inévitable session nocturne de blitz, j’ai pu rejoindre mon hôtel et goûter un repos bien mérité après ces cinq intenses journées !

Jouer une compétition d’échecs online, ce n’est pas toujours facile. Il faut une connexion fiable, une bonne souris, un environnement calme… Jouer depuis un hôtel à l’étranger n’arrange rien à l’affaire. C’est pourtant ce que Maxime et son camarade de Bundesliga Levon Aronian ont dû faire, depuis le lobby de l’hôtel Maritim à Solingen, afin de disputer le Championnat de Bullet. Ayant tous deux perdu leur demi-finale, ils devaient s’affronter pour la petite finale le lendemain. Heureusement, ils ont pu échapper à un duel en ligne à deux mètres l’un de l’autre – qui aurait été certes cocasse – puisque Maxime avait réservé une chambre hôtel à l’aéroport de Düsseldorf, afin d’être sûr d’attraper l’avion du lundi matin (à 6h40  !) qui lui permettait d’arriver à la mi-journée à Gonfreville l’Orcher !

Les parties de Bundesliga :

Les parties du tournoi de bullet sur chess.com :

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