C’est Varsovie qui signait cette année la reprise des tournois du Grand Chess Tour (GCT). Nous étions dans la vieille ville, c’était plutôt sympathique et agréable pour se promener. Sinon, le reste était un peu comme d’habitude, même hôtel et mêmes lieux de jeu, même format de compétition. J’aime toujours lancer le GCT, puisque c’est quand même un circuit qui me réussit bien depuis 10 ans, même si je ne l’ai toujours pas gagné 😊 (4e et 6e au début, puis cinq fois 2e et deux fois 3e ! Ed.)
Au niveau de la compétition, ça a très, très mal démarré le premier jour, avec une première défaite dans une position gagnante contre Prag, suivi d’une nulle dans une position qui m’a semblé assez délicate contre Aronian. Et enfin une autre défaite, contre Topalov cette fois-ci. Je me suis remis progressivement dans la compét, en revenant à 50% à la fin du Rapide. Ce n’était pas forcément terrible, mais vu la première journée de cauchemar, ce n’était pas si mal.
Ensuite, le blitz a très mal commencé lui aussi, avec quelques défaites. Mais soudainement, quelque chose a changé. La fin de la première journée, et quasiment toute la deuxième journée, ça s’est très bien passé. Ça m’a permis de remonter, pas vers la première place, puisque Fedoseev avait été déjà très fort sur le rapide et encore plus sur le blitz, gagnant à peu près n’importe quelle position qu’il pouvait obtenir ! Il a d’ailleurs fini le tournoi avec un score quasiment digne de Magnus, et s’est imposé trois ou quatre rondes avant la fin. Mais en tout cas, cela m’a permis de remonter et de finir finalement deuxième. Un bon résultat comptable, puisque Fedoseev disposait d’une wild card, ce qui m’a permis d’engranger le maximum de points parmi les joueurs du Tour qui étaient présents à Varsovie.

J’ai pu me reposer quelques jours à Paris entre Varsovie et Bucarest, lieu du premier des deux tournois classiques du GCT. J’ai vite réalisé en arrivant en Roumanie que je n’étais pas forcément dans les meilleures dispositions et que le tournoi allait être compliqué. Je me sentais malade, fiévreux, avec mal de tête. Et je ressentais une grosse fatigue.
Rien qui m’empêchait véritablement de jouer, mais cela m’a pris beaucoup d’énergie pendant le tournoi.
Le premier jour a été un des plus durs, notamment contre Firouzja où, au bout de quelques heures de jeu, j’ai compris que j’étais en incapacité de réellement réfléchir ; cela s’est notamment vu après le 40ème coup. Mais d’un autre côté, ce dernier avait fait une très bonne partie et méritait sa victoire. Ensuite, ce qui est paradoxal, c’est que les quelques jours suivants, je souhaitais essayer de me reposer et récupérer des forces ; des nulles assez rapides auraient donc fait l’affaire. Mais les choses ont tourné différemment et j’ai eu finalement des parties longues, qui ont quand même bien tourné 😊. En effet, contre Wesley So, j’ai obtenu une finale avec un pion de plus, certes nulle, mais où j’ai réussi à mettre graduellement beaucoup de pression. J’ai même laissé échapper le gain à un moment, mais j’ai fini par le récupérer. Une autre victoire a été celle, étonnamment rapide, contre Gukesh, le champion du monde en titre.

Une nulle avec les noirs contre Prag au terme d’une très bonne partie m’a amené à la journée de repos avec +1, mais en ayant dépensé beaucoup d’énergie, et en me sentant toujours malade. Ici, j’ai eu de la chance. En effet, une de mes pires journées en termes physiques, ça a été cette journée de repos, où j’étais incapable de rien faire. Cela ne m’a donc pas coûté trop cher, si ce n’est qu’à la reprise du lendemain, sans prépa, je n’ai pas pris de risques et j’ai décidé de faire nulle assez rapidement (contre Abdussatorov), ce qui m’a permis aussi de récupérer. Et au final, je me suis senti vraiment mieux pour la ronde 8 contre Caruana, après une nulle avec les noirs que je qualifierais de « sans histoire » contre Deac ; même si la position n’était pas si claire, elle est néanmoins toujours restée équilibrée. En revanche, contre Caruana, c’était très tendu et cela aurait pu très mal tourner pour moi. Je ne m’en suis pas forcément rendu compte pendant la partie, et lui non plus ! En fait, il cherchait « le » gros avantage, mais sans vraiment le trouver. Il faut admettre à sa décharge que ce n’était pas simple, quoi qu’en dise notre ami l’ordinateur. Enfin, cela nous amène à la dernière ronde, où Prag était en tête après sa victoire ronde 8. Firouzja, Caruana et moi étions un demi-point derrière. De mon côté, je jouais contre Duda avec les blancs. Ce dernier fermait la marche du tournoi, c’était donc une opportunité de gain à saisir. Il a décidé de jouer une Arkhangelsk plutôt qu’une Berlinoise par exemple, ou une Petrov, qu’il m’avait déjà jouée à quelques reprises. J’ai été peut-être un petit peu surpris, mais il se trouve que j’avais quand même revu mes fichiers sur cette variante, et que j’avais des idées. Cette ligne spécifique avait étonnamment été jouée pour la première fois en avril 2025 ; mais, je me suis dit que ce n’était pas très grave, la position restant assez compliquée. Le début de ma préparation s’est donc bien passé. Duda a pris beaucoup de temps, et il n’a pas forcément trouvé les meilleures réponses. C’est d’ailleurs cette partie que l’on va analyser plus en détail ci-dessous…
J’ai donc fini par l’emporter, et à me qualifier pour le tie-break. Au terme d’une partie homérique, Firouzja s’est qualifié également et nous nous sommes donc retrouvés sur un départage à trois qui a été très tendu, avec deux nulles pour démarrer.

La troisième et dernière partie était donc décisive, c’est celle que j’ai disputée contre Prag avec les noirs. Malheureusement, j’ai fini par faire une erreur en finale et m’incliner. Donc, Prag a finalement remporté le tournoi de Bucarest de façon assez méritée, puisqu’il a été très convaincant et invaincu tout du long. Il a su prendre les risques aussi au bon moment, notamment contre Wesley So avec ce Gambit Benko.
En partageant les points à Bucarest et en capitalisant effectivement sur mon bon tournoi à Varsovie, je suis donc désormais en tête du Grand Chess Tour. C’est plutôt une bonne nouvelle, qui me place notamment en très bonne posture pour une qualification éventuelle à la finale de São Paulo fin septembre (Les 4 premiers seront du voyage. Ed.)

MVL – DUDA
1.e4 e5 2.Cf3 Cc6 3.Fb5 a6 4.Fa4 Cf6 5.0–0 b5 6.Fb3 Fc5 7.c3 d6 8.d4 Fb6 9.a4 Tb8 10.a5 Fa7 [10…Cxa5? 11.Txa5 Fxa5 12.dxe5 Cxe4 (12…dxe5 13.Dxd8+ Rxd8 14.Cxe5) 13.Dd5 est connu pour être perdant]
11.h3 Fb7 12.Te1 0–0 13.Fe3 exd4 14.cxd4 Cb4 15.Cc3 Fxe4 16.Cxe4 Cxe4 17.Tc1 Tc8 18.Fc2 d5 19.Fb1 Dd6 20.g3

20…Cc6 [Il n’y a pas de perpétuel après 20…Cxg3? 21.fxg3 Dxg3+ 22.Rh1 Dxh3+ 23.Ch2]
21.Ff4 Df6 [21…Dd7 22.Rg2 f6 23.h4 Cxa5 24.h5 était la suite dont je me suis souvenu]
22.Fxe4 [Première vraie réflexion, mais il n’y a pas vraiment le choix]
22…dxe4 23.Txe4 Df5 [Avec l’idée …Dd5. Après 23…Cxa5, je voulais jouer 24.Fe5 De6 (24…Df5 25.Tf4 et si 25…Dxh3? 26.Cg5 Dh6 27.Th4 Dxg5 28.Tg4 Dh6 29.Dd2! gagne) 25.Cg5 Dg6 (25…Df5 26.Tf4) 26.Fxg7! Dxg7 27.Tg4 f5 (27…Rh8 28.Cxh7!) 28.Ce6 fxg4 29.Cxg7 Rxg7 30.Dxg4+ et même si la machine donne égalité, ce n’est pas du tout l’impression que j’avais. En pratique, les noirs peuvent se préparer à souffrir !]

24.Ce5! [Dès que je l’ai vu, j’ai compris que ce sacrifice de qualité était puissant]
24…Cxe5 [24…Dxe4? 25.Cxc6 suivi de 26.d5, et le Fa7 est un zombie ; 24…Fxd4 25.Cxc6 Fxf2+ 26.Rxf2 Dxe4 27.Df3 ne devrait pas non plus permettre aux noirs de survivre ; 24…Cxa5? 25.De1! Cb3 26.g4 est tout aussi cauchemardesque]
25.Txe5 Dxh3 26.Te7? [Malheureusement, j’ai raté toutes les défenses à base de …Tce8, d’où ce coup inférieur. Le simple 26.d5! verrouillait complètement la position noire, avec un avantage stratégique déjà décisif.]
26…h6 27.d5 [Un coup trop tard !]
27…g5! 28.Fe5 [Mon idée première était 28.Fe3 Fxe3 29.Txe3 mais après 29…Df5 j’ai évidemment de la compensation pour le pion, mais sans doute pas plus]
28…Tce8!

29.d6 [La seule façon de continuer puisque 29.Tcxc7 Fb8! est une ressource-clé, tandis que 29.Txe8 Txe8 30.Fxc7 Fxf2+ 31.Rxf2 Dh2+ 32.Rf1 (32.Rf3? f5! serait suicidaire) 32…Dh1+ 33.Rf2 Dh2+ mènerait à l’échec perpétuel]
29…cxd6 30.Txa7 [30.Dxd6 se heurte toujours à 30…Fb8]
30…dxe5 31.Txa6 e4 32.Df1 Dg4 [32…Dxf1+ 33.Rxf1 pouvait mener à une finale de Tours piégeuse pour les noirs, à cause du pion a5. Mais 32…Dh5 était le plus naturel ici, et sur l’échiquier, je ne voyais pas d’autre alternative que d’accepter mon sort par 33.Dd1 Dh3 34.Df1 et nulle. Je pense qu’ici, Duda a voulu conserver l’option de jouer pour le gain]
33.Txh6 [Au début, je voulais forcer la nulle par 33.Dd1, jusqu’à ce que je voie que la poussée du pion e était risquée pour lui !]
33…e3?! [33…Rg7 34.Dh3 Dxh3 35.Txh3 maintenait l’équilibre]
34.Dd3! [A coup sûr, raté par Duda]

34…Te4? [Cette fois, l’erreur est décisive. Avec peu de temps à la pendule, Duda n’a pas mesuré les dangers sur la colonne h, et l’étonnante sécurité de mon Roi. Il fallait impérativement échanger les Dames par 34…De4 avec une finale de double Tours objectivement égale, mais sans doute plus facile à jouer pour les blancs]
35.Rg2! [Un très esthétique coup multi-fonction. Menace 36.f3 tout en protégeant g3, empêche la prise en f2 sur échec, et connecte les Tours !]
35…exf2 36.Tch1 f1=D+ [Il n’y a déjà plus de défense : 36…De2 37.Dxe2 Txe2 38.Th8+ Rg7 39.T1h7+ Rg6 40.Txf8 Rxh7 41.Txf7+ Rg6 42.Txf2 Te4 43.b3 gagne ; 36…Df5 37.Th8+ Rg7 38.T1h7+ Rg6 39.Dd6+ Te6 40.Th6+ Rg7 41.Dxf8# ; 36…Tfe8 37.Th8+ Rg7 38.T1h7+ Rf6 39.Th6+ Rg7 40.Txe8 Txe8 41.Dh7+ Rf8 42.Dh8+ Re7 43.Df6+ Rd7 44.Dc6+ suivi du mat]
37.Rxf1 Df5+ 38.Rg2 De5 39.Th8+ Rg7 40.Txf8! [Le dernier piège était 40.T1h7+?! Rf6 41.Txf8? (41.Th6+ Rg7 42.Txf8 Rxh6 43.Txf7 gagnait encore, mais plus laborieusement) 41…Dxb2+ et la cerise sur le gâteau était 42.Rf3?? (42.Rf1 Dc1+ 43.Rg2 avec échec perpétuel) 42…g4+! 43.Rxe4 De5#]
40…Dxb2+ [40…Rxf8 41.Dd8+ Rg7 42.Dh8+ Rg6 43.Dh6+ Rf5 44.Tf1+ ; 40…Te2+ permettait au Roi blanc de faire un joli aller-retour gagnant : 41.Rf3 g4+ 42.Rxg4 Te4+ 43.Rf3 Df5+ 44.Rg2]
41.Rf3 Td4

42.Txf7+! [Le plus expéditif]
42…Rxf7 43.Df5+ Re7 44.De5+ [La Th1 va rentrer en jeu et c’est bientôt mat]
1–0
Les parties de Maxime à Varsovie :
Les parties de Maxime à Bucarest :
Il y a quelques mois, Maxime s’est prêté au jeu de la vérité, que Chess.com a organisé plusieurs fois, dans le cadre de sa série « Lie Detector Chess ». Il s’agit de mettre face à face deux joueurs, qui s’interrogent l’un l’autre sous la supervision d’un opérateur qui détermine si la réponse donnée à chaque question est vraie ou fausse. L’occasion de voir Maxime avec son collègue et ami Levon Aronian, rivaliser de questions piégeuses ou amusantes, le plus souvent liées au monde des échecs bien sûr, mais parfois aussi plus personnelles.
Un « moment de vérité » passionnant !