Grand Swiss, petite forme

Grand Swiss

Le résultat de ce tournoi constitue bien sûr une déception, puisque c’était très probablement ma dernière cartouche pour ce cycle de championnat du monde, et que je n’ai pas pu exploiter cette chance (14-27e avec 6.5/11).

En arrivant sur l’Ile de Man, je ne pensais pas que ça allait être aussi compliqué pour moi sur le plan physique. Car malheureusement, je suis arrivé malade, physiquement affaibli et avec une toux constante. Même si je ne cherche pas d’excuses, il est évident que ça a été préjudiciable à mes résultats de la première moitié de tournoi (2/5). Et dans ces cas-là, malheureusement, il n’y a pas grand-chose à faire…

Mais en vérité, si je prends un peu de hauteur, je dois dire que cette non-qualification aux Candidats ne s’est pas vraiment jouée sur ce tournoi. De toute façon, mon état de forme sur toute la première moitié de l’année 2023 était vraiment trop faible. Du coup, je me suis retrouvé hors course pour la place au Circuit Fide, et avec un classement ne permettant pas vraiment de jouer la qualification au Elo : deux des quatre voies d’accès aux Candidats étaient donc d’emblée fermées pour moi…

Oublions un peu les enjeux, et revoyons quelques moments intéressants de mes parties sur l’Ile de Man !

Analyse avec les collègues (Esipenko, Maghsoodloo et Tari) (Photo : Fide).
Analyse avec les collègues (Esipenko, Maghsoodloo et Tari) (Photo : Fide).

Ronde 1 : Gledura (2633) – MVL 1/2

Ici, j’ai commis une erreur en jouant 21…Ta4?. J’avais calculé beaucoup de lignes où je sacrifiais une qualité et où je pensais avoir assez de compensation, mais à chaque fois l’ordinateur indique +1 ou +2 ! Gledura aurait pu prendre l’avantage par 22.c4!. Je n’ai pas cru à ce coup car j’ai raté le très fort 22…Txc4 23.Da2!, par exemple 23…Txd5 24.Dxc4 et les compensations semblent insuffisantes.

Il aurait donc été préférable que je choisisse le premier coup que j’avais envisagé, à savoir 21…Fa6 22.Tf2 Fc4 23.Fxa8 Txd2 24.Fxd2. Je voulais poursuivre ici par 24…Fd3 (idée …c4 puis …Da5), mais après 25.Ta1 c4 26.Fe3 j’ai pensé que les blancs étaient mieux car je ne peux plus jouer …Da5, tandis que les deux Fous seront parfaitement arrimés en d4 et d5.

Certes, après 24.Fxd2, la machine indique 24…Dg4!, avec l’idée …h5-h4, et trouve que les noirs ont assez de compensation. Mais honnêtement, ce n’est pas le genre de ligne dans laquelle un GM humain rentrera volontairement…

Ronde 5 : Saric (2647) – MVL 1-0

Clairement ma plus mauvaise partie du tournoi, émaillée de fautes. La finale de Cavaliers est beaucoup plus complexe que ne laisse penser l’évaluation de l’ordinateur (0.00 😊), qui ne rend pas compte de la difficulté à défendre pour les noirs.

Ici, nous venions de passer le 40e coup, et j’ai longuement réfléchi avant de jouer l’horrible 41…Rc7?, basé sur une grosse erreur de calcul. Tout d’abord, j’ai passé du temps à essayer de trouver un chemin clair vers la nulle en ne cédant pas de terrain au Roi blanc et en jouant un coup de Cavalier, comme 41…Cf4 ou 41…Cc7. N’ayant rien vu de limpide, je me suis laissé attirer par 41…Rc7? sur la base de la variante 42.Re5 f4 43.Ce6+ Rb6 44.Cxf4? Cxf4 45.Rxf4 Rb5 et la finale de pions est nulle. Malheureusement, je suis complètement passé à côté de 44.Cd4! et les noirs sont en zugzwang ; le Cavalier ne peut pas bouger à cause du pion f4, et si le Roi noir recule, b5! gagne. Une grosse gaffe de ma part qui rend parfaitement compte de mon niveau de forme dans les premières rondes…

Qui va là ? (Photo : Anna Shtourman).
Qui va là ? (Photo : Anna Shtourman).

Ronde 6 : MVL – Idani (2633) 1-0

La position blanche est préférable, mais il faut prendre des mesures rapides pour percer. En fait, j’ai compris que je n’avais pas vraiment le choix, et que j’étais obligé de jouer 20.Fxf5 exf5 21.e6! Dxe6 (21…fxe6 22.De5! montre la vulnérabilité du pion c5) 22.Tfe1 Dxe2 23.Txe2+ Rd7 24.Tae1. Malgré les Fous de couleurs opposées, la situation est délicate pour les noirs. Le Fb7 est joli, mais il tape dans le vide ; toutes les finales sont perdantes. Par exemple 24…The8 25.Txe8 Txe8 26.Txe8 Rxe8 27.Fxc5 est absolument sans espoir, les finales de Fous de couleurs opposées ne sont pas toutes nulles 😊.

Dans la partie, après 24…Rc6 25.Te7 a4 26.T1e5, la pression est rapidement devenue trop forte.

Ronde 7 : Nguyen Thai Dai Van (2618) – MVL 0-1

Dans cette position chaotique, je m’attendais à 26.Ced4, sur quoi j’avais prévu 26…Txd4 27.Cxd4 Dxd4 28.Dxe6 Fg5 29.Ff1 Dg4, mais après 30.h3, la position n’est pas claire du tout. Heureusement, il a joué 26.Cfd4? Fg5 27.Dxe6, qui se heurte au coup intermédiaire 27…Db7! 28.f3 Fe3+ et les blancs n’auront pas assez de jeu pour la pièce.

Pendant la partie contre Pichot… (Photo : Maria Emelianova)
Pendant la partie contre Pichot… (Photo : Maria Emelianova)

Ronde 8 : MVL – Pichot (2650) 1-0

Le dernier coup noir 17…Cb6 peut paraître étrange, car les noirs semblent abandonner l’aile-Roi (avec un Cavalier en a5, l’autre en b6 et le Fou en b7 !). J’ai répliqué par 18.Fh4 Fe7 19.Fxe7 Dxe7 20.b4 cxb4 21.cxb4 Cc6 22.a5 car il me semblait que je prenais l’avantage. L’alternative était de profiter de l’éloignement des pièces mineures noires pour jouer l’attaque par 19.Cf5 Fxh4 20.C3xh4 suivi du passage de la Dame en g4 ou h5. Mais j’ai trouvé ça moins fort ; je pensais que c’était moins dangereux pour lui car je me disais qu’il allait jouer …Rh7 puis …Df6, et qu’au final, on pouvait se demander ce que font réellement mes Cavaliers ? Certes, il était envisageable de renforcer l’attaque avec Te3 mais je n’étais pas du tout sûr que ce soit bon ; mon Fou en c2 n’attaque pas, les noirs vont rapidement avoir …Rh7, …Df6 et …g6, et il faut que je prouve que j’ai quelque chose.

Dans la partie, après 22…Cd7, j’avais l’intention de jouer 23.Dd2. Mais 23…Cd4 m’a semblé fort, par exemple 24.Cxd4 exd4 25.Cf5 Df6 26.f4 Tac8 27.Df2 Cb8! 28.Cxd4 Cc6 29.Cxc6 Txc6 ne me semblait pas clair du tout. J’ai donc changé mon fusil d’épaule pour 23.Cd5, mais après 23…Dd8 24.Fb3 Ce7!, les noirs étaient à deux doigts d’une égalisation totale.

Quelques coups plus tard…

Ici, je menace 35.Fxf7+! suivi d’une fourchette en d6. Pichot a joué 34…Ce6, ce qui m’arrangeait parce que je voulais 35.Fxe6 fxe6 36.Ce3, qui laisse tout loisir aux blancs de travailler la position pendant très longtemps. A la place de 34…Ce6, j’avais vu que 34…d5? ne marchait pas à cause de 35.Cxe5 Dc7 36.f4, et il ne peut jamais prendre en e4 à cause une nouvelle fois de Fxf7+. Mais j’ai surtout passé du temps à calculer la possibilité 34…Fxe4!? 35.dxe4 Cxe4 36.Dc2 (pas 36.Fxf7+? Rh8 avec chaos sur l’échiquier ! ; 36.Re3! Dxf5 37.Ch4 Dh7 38.Fc2 était fort également, mais je ne l’ai pas vu pendant la partie) 36…Dxf5 37.Re3 d5 38.Fxd5 Cxg3 39.Dxf5 Cxf5+ 40.Re4 g6 41.Cxe5 Rg7 42.Cxf7 et la finale est complètement gagnante à cause du pion a6 qui va tomber.

Le joueur espagnol ne s’est pas effondré sous la pression, jusqu’à la position suivante :

J’ai compris que l’activation des deux Dames 48.Da7 Df7 mènerait probablement à la nulle. J’ai donc dépensé énormément de temps, et j’ai trouvé 48.d4! exd4 49.e5 qui est fort, au moins en pratique. Peut-être était-ce quand même nulle après 49…d5 50.Dxd4 Cf4 51.Dc5+ Rf7 52.Dc2! Dxc2+ 53.Rxc2 Cxh3 54. Rd3 Re7 55.Rd4 s’il avait joué 55…Rd8 maintenant ? Toujours est-il que la difficulté à défendre cette finale en pratique était telle qu’après le naturel, mais erroné 55..Cf4? 56.Cf2!, j’étais sûr de gagner !

Excellent tournoi d’Etienne, qui aura été dans la course jusqu’au bout (Photo : Anna Shtourman).
Excellent tournoi d’Etienne, qui aura été dans la course jusqu’au bout (Photo : Anna Shtourman).

Ronde 9 : Sindarov (2658) – MVL 1/2

1.e4 c5 2.Cf3 d6 3.Cc3 Cf6 4.Fb5+ Fd7 5.De2. A la 4e ronde, j’avais remarqué que l’Indien Nihal Sarin avait joué cette petite ligne (contre Ter-Sahakyan, 1-0). J’avais analysé vite fait et j’avais vu qu’après 5…a6, les noirs égalisaient. Mais dans cette partie, je n’avais pas envie de faire nulle puisqu’il fallait que je continue mon rush de victoires pour espérer quelque chose. Et je craignais également une préparation… J’ai donc pris mon temps pour choisir 5…g6, puis après 6.e5 dxe5 7.Dxe5!?, pour jouer 7…Cc6!, qui est le bon coup, sacrifiant le pion c5.

Rapidement, la partie a pris un tour ultra compliqué, et Sindarov a même utilisé 48 minutes pour jouer 12.Ce5 😊.

Après 12…Cxc3 j’ai calculé une ligne assez folle. Étant donné que mon adversaire avait réfléchi aussi longtemps, je me doutais qu’il y avait une raison : 13.dxc3 Fxg2 14.Tg1 Dd5 15.Cg4 0-0-0 (je sais que la machine donne 15…Df3!, mais aucun humain n’accepte la position kamikaze résultant de 16.Txg2 Dxg2 17.Cf6+) 16.Ce3 Ff3 17.Cxd5 Fxe2 18.Cb6+ Rc7. Sindarov s’est arrêté là, mais moi j’ai poursuivi la variante et trouvé 19.Fg5!, et les problèmes noirs continuent, par exemple 19…Te8 20.Rxe2 Rxb6 21.Tad1 avec le contrôle de la colonne d. Ayant écarté cette variante, je me serais sans doute replié sur 14…Fc6, mais après 15.Cxc6 bxc6 16.De5!, c’était peut-être encore pire, ce dont je ne m’étais pas vraiment rendu compte sur l’échiquier.

Mais Sindarov a finalement repris de l’autre pion, 13.bxc3, et après 13…Fxg2 14.Tg1, j’ai choisi 14…Fc6 15.Cxc6 bxc6 et c’est mon seul regret dans cette partie. J’aurais également pu jouer 14…Dd5 15.c4 De4, mais après 16.d3, je pensais être un peu moins bien. En revanche, si je l’avais vu, et malheureusement ce n’était pas le cas, j’aurais joué le coup « lunaire » 14…Fh3!?. C’est dommage parce que je sentais qu’il y avait quelque chose quelque part, mais je n’ai pas trouvé. Les noirs menacent de consolider par …Ff5, et après 15.Df3 Dc7 16.Cxf7 Dxf7 17.Dxh3 Fd6, ils ont clairement de bonnes compensations pour le pion.

Dans la partie, après 16.De5 Tg8 17.Tb1, j’ai opté pour 17…Fg7 car j’ai eu peur d’une ligne spécifique après le plus normal 17…Fd6 : 18.De4 Dc7 19.d4 Rd7 (la case naturelle pour lier les Tours) 20.Df3 f5 21.Dh3 Tg7 22.Fh6 Tf7 23.Re2, et je trouvais que ma position n’était pas bonne du tout, ce qui n’est sans doute pas vrai.

Après quelques autres péripéties, la partie a été nulle au 31e coup, mettant un terme définitif à ma remontada

Classement final (chess-results.com).

Bien sûr, je suis déçu du résultat, mais franchement, j’ai eu le sentiment de ne pas avoir pu défendre pleinement mes chances en n’étant pas du tout à 100% sur le plan physique. La bonne nouvelle, c’est que je n’ai pas le temps de me lamenter puisque la tournée américaine commence le 14 novembre, avec les deux derniers tournois du Grand Chess Tour 2023 (St-Louis Rapid & Blitz puis Sinquefield Cup), suivis quelques jours après de la finale du Champions Chess Tour à Toronto.

Je suis arrivé dès le 8 novembre à New-York, et j’ai eu quelques jours pour effectuer plusieurs exhibitions à Manhattan et dans le Connecticut ; ce qui m’a également permis de m’acclimater au décalage horaire avant d’arriver à Saint-Louis.

Les parties de Maxime :

Dès qu’il a réalisé que son arrivée aux Etats-Unis précédait de quelques heures le premier match des Spurs de San Antonio et de leur nouvelle star française Victor Wembanamya à New-York, Maxime a immédiatement réservé son billet pour cette soirée de NBA au Madison Square Garden. Fan de nombreux sports, il ne rate jamais une occasion, quand elle se présente et que son calendrier le lui permet, d’assister à un événement sportif qui se déroule là où le destin échiquéen l’a emmené !

Speed Chess, Magnus et cadences lentes !

AI Cup

Après n’avoir disputé que 4 parties classiques en près de 4 mois (lors de la Coupe du Monde), et près de 5 mois après mon dernier tournoi (Bucarest, début mai), j’ai renoué avec les cadences lentes en Albanie, pour la Coupe d’Europe des Clubs.

Je vais y revenir, mais arrêtons-nous d’abord un moment sur les deux tournois en ligne qui m’ont occupé durant la deuxième quinzaine de septembre, car ils ont offert leur lot d’émotions !

Speed Chess Championship

Le Speed Chess, qui revient tous les ans sur chess.com, est un format de match très plaisant à disputer, où l’on enchaîne 90 minutes de 5+1, 60 minutes de 3+1 et 30 minutes de 1+1. Jouer ainsi plusieurs heures contre des adversaires de l’élite constitue un très bon entraînement et donne généralement un résultat assez légitime même si certains matchs se décident dans les derniers bullets ! Le seul défaut pour moi, c’est que je trouve parfois les matchs un peu lents ; notamment si c’est plié après deux heures de jeu, la dernière heure ne sert plus à grand-chose. Je préconiserais plutôt d’organiser des matches avec des sets. Hormis ce point, le Speed Chess est le plus spectaculaire des tournois en ligne, avec tous les meilleurs qui participent.

Cette année, j’ai réalisé des prestations relativement convaincantes contre Gukesh et Sarin, en 1/8e et en ¼ de finale (respectivement 21.5-8.5 et 19.5-11.5). Les choses ont tourné à mon avantage contre Gukesh en début de match, quand j’ai commencé par un 5-0 ; forcément ça aide, malgré quelques parties qui auraient pu mal tourner. Contre Sarin, c’était un peu la même configuration ; après deux ou trois parties qui étaient un peu chaudes, j’ai pris l’avantage et je ne l’ai jamais lâché.

En demi-finale, j’affrontais le très gros morceau Hikaru Nakamura, que je n’ai jamais battu sur ce format. J’ai déjà battu Magnus, j’ai déjà battu Wesley So… Enfin, j’ai battu pas mal de monde, mais Hikaru me fait mal à chaque fois ! Pendant les 45 premières minutes, j’étais sur un nuage et c’était une masterclass de ma part ! Sauf que je me suis rendu compte à la pause que ça allait être dur de garder un tel niveau d’intensité. Ce fut peut-être une prophétie autoréalisatrice, car la deuxième partie du 5+1 a vu des parties qui n’ont pas tourné à mon avantage et Hikaru a recollé au score. J’ai eu en regain de forme ensuite dans le 3+1, mais malheureusement, j’ai complètement implosé dans le bullet. Il a été trop fort dans cette cadence. De toute façon, je me doutais que je devrais avoir une certaine avance avant ce 1+1 pour avoir une chance. Je pensais au moins +2, et même plutôt +3.

Malgré la défaite finale (11.5-16.5), j’étais quand même satisfait d’avoir été devant contre Hikaru après les 5’ et les 3’, et globalement content de mon niveau de jeu, sur la lancée de ma victoire au Tata Steel Chess India.

Tableau final du Speed Chess 2023 (Image : www.chess.com).
Tableau final du Speed Chess 2023 (Image : www.chess.com).

AI Cup

Le dernier tournoi du circuit en ligne Champions Chess Tour 2023 offrait un vrai challenge pour moi ; avec seulement 8 qualifiés pour la phase finale de décembre à Toronto et sachant que je n’avais disputé qu’un seul des 5 premiers tournois, la marge de manœuvre était assez étroite. Il me fallait me qualifier pour la Division 1, et certainement la remporter !

Le Play-in (tournoi de qualification) consiste en un Open de 9 rondes, suivi immédiatement de matches à deux entre les mieux classés, afin de définir la répartition dans les trois divisions. J’ai été assez convaincant dans l’Open, malgré un petit moment de doute quand j’ai perdu une partie contre Meier avec les blancs alors que j’étais quasiment gagnant. Mais je me suis repris tout de suite après ; j’ai remporté les deux parties suivantes de façon assez nette, et ça m’a permis de me qualifier pour le match où j’ai été propre contre Duda (1.5-0,5). J’ai ainsi gagné ma place pour une petite semaine de compétition en Division 1. Comme je me sentais en forme, pourquoi pas en profiter pour continuer à bien jouer, contre les plus gros morceaux du circuit !

Le ¼ de contre Alireza a donné lieu à des parties très accrochées, notamment la troisième que j’ai fini par gagner au terme de séquences tactiques dignes de la Najdorf 6.Fg5 😊.
Dans la 4e, j’étais en maîtrise avant de faire une gaffe qu’il l’a remis dans la partie puis une deuxième faute qui a amené cette finale à 4 Dames sauvée miraculeusement alors que ce n’est pas moi qui donne échec en premier ! C’est la troisième fois que je sauve une finale à 4 Dames 😊. Mais là, c’était tellement perdant que j’ai même failli abandonner juste avant qu’il ne commette une gaffe incroyable !

Une qualification qui n’est pas illogique, même si ça s’est joué sur des petits détails qui ont fait pencher la balance de mon côté, en créant des différences notables dans le résultat (3-1).

J’ai ensuite joué Mamedyarov en ½ finale, un match que j’ai bien maîtrisé. Après 2 nulles, il y a eu dans la troisième partie une ouverture pas très bien maîtrisée de sa part avec les noirs. Punie par mes soins, car il se trouve que j’avais regardé cette ligne de la Steinitz différée et l’avais moi-même jouée avec les noirs dans le Top 16 contre Andreï Sokolov. Après 1.e4 e5 2.Cf3 Cc6 3.Fb5 a6 4.Fa4 d6 5.0-0 Fd7 6.c4, je connaissais la réfutation de 6…g5?! 😊 (7.d4 g4 8.d5!). Même si la conversion n’a pas été parfaite, la position est toujours restée très très difficile pour lui (1-0, 43 cps).

La dernière partie, un Gambit-Dame Accepté, fut un peu moins bien maîtrisée mais c’est passé avec deux ou trois petits petits calculs précis, notamment ici :

Mamedyarov est tombé à pieds joints dans mon piège en jouant 27.Dc3? (27.Fd4 =), oubliant le très esthétique 27…Cf6! (27…Dg3+? 28.Rh1 et 27…f6? 28.Fxe6+ perdaient bien sûr sur le champ) 28.Ce5 (28.gxf6 Dg3+ ; les menaces 28…Dg3+ et 28…Fxe4 sont dévastatrices) 28…Cxe4 0-1.

Ensuite, j’ai affronté Magnus en finale, et je pense que ce fut d’un très haut niveau des deux côtés. En termes de qualité de jeu, je crois que c’est un des tout meilleurs matches depuis longtemps, et j’ai l’impression que c’est un sentiment partagé par pas mal de monde. En tout cas, par Magnus lui-même, puisqu’on en a discuté récemment en Albanie et qu’il m’a confirmé partager cet avis.

Évidemment il y a eu quelques erreurs, mais dans des positions très compliquées et avec peu de temps à la pendule. Nous avons tous deux eu pas mal d’idées intéressantes. Les parties ont été intenses, avec de la dramaturgie, tout y était ! Évidemment c’est décevant de perdre ce match à l’Armageddon (2-2 dans le temps réglementaire), mais c’était dur d’être déçu par mon niveau de jeu !

Cela dit, le tournoi n’était pas fini puisqu’avec le système à double élimination, j’allais être reversé dans le loser bracket pour y affronter Nepo…

J’ai bien maîtrisé la première partie contre sa défense Petroff. Il y a eu une ou deux petites imprécisions de sa part, que j’ai bien punies au terme d’une partie très positionnelle.

Dans la deuxième partie j’ai été à mon tour en difficulté, et je me suis même retrouvé perdant. J’ai dû jouer au « Roi volant » sans vraiment maîtriser la situation ! Mais ça restait très compliqué et Nepo n’a pas trouvé le chemin. Encore une fois, les éléments ont été plutôt pour moi. Mais quand on joue bien, c’est souvent le cas 😊.

Comme cette finale du loser bracket était en 2 parties, je retrouvais Magnus pour une revanche dans la Grande Finale. Avec la tâche ingrate de le battre une première fois dans le match en 4 parties, et si j’y arrivais, de devoir le battre une deuxième fois dans un match en 2 parties !

J’avais conscience que si Magnus conservait le niveau de jeu de notre précédent match de l’avant-veille, ce serait un peu mission impossible pour moi. Bien sûr, je savais que je revenais en grande forme mais Magnus, c’est le test ultime pour voir où on en est ! Etre en forme contre des adversaires du Top 20-25 mondial, c’est une chose. Contre les Top 10, c’en est une autre. Mais contre le numéro 1 incontesté, c’est complètement à part…

Je trouve que j’ai peut-être un peu moins bien joué cette Grande Finale, mais ça ne s’est pas trop vu parce que j’ai eu des oublis qui, soit n’ont pas été punis, soit en fait n’étaient pas graves ; par exemple, j’oublie une variante mais en fait c’est sans conséquence parce qu’elle ne marche pas pour telle ou telle raison. J’ai eu plus d’oublis de ce genre, mais il y avait aussi pas mal de fatigue parce que c’était une longue et difficile semaine. Du côté de Magnus, son niveau a été bien plus erratique, notamment en termes de calcul. Il a fait beaucoup de fautes dont j’ai pu profiter, dans le premier match notamment.

Dans la finale de la première partie, il m’a expliqué avoir bluffé un peu avec 28.Fd6 au lieu du naturel 28.Ce5 ou 28.Fe5. Il s’en est voulu, même s’il n’y avait aucune raison qu’il perde la finale de Fous après 28…Fxf3 29.gxf3 Fxd4 😊.

J’ai été un peu dominé dans le reste de ce match ; disons que ça n’aurait pas forcément été un scandale qu’il égalise, notamment dans la troisième partie. Mais encore une fois, je m’en suis sorti grâce à quelques fautes de calcul de sa part. J’ai bien maîtrisé la 4e partie, ce qui m’a permis de gagner ce match (2.5-1.5), et d’avoir le droit d’en jouer un autre en deux parties pour la gagne du tournoi… et la qualification pour Toronto !

La première partie de cette nouvelle finale a été marquée par un long débat théorique avec sacrifice de Dame dans le Gambit-Dame Accepté 3.e4.

Nous avions tous deux analysé plus ou moins jusque-là, avec une position rocambolesque où deux Fous et deux pions luttent contre ma Dame ! Il y a eu toute la dramaturgie du monde dans cette partie, qui fut clairement la meilleure de la journée. Malgré quelques fautes de calcul des deux côtés, ça reste une partie d’assez grande qualité (0-1, 47 coups).

Dans la deuxième partie où je pouvais me contenter de la nulle avec les blancs, je lui ai rapidement laissé des chances.

J’ai alors considéré que ce ne serait pas raisonnable de rester passif et j’ai pris le risque de changer radicalement le caractère de la position par 23.Fxh7+!?. Je sentais que ça ne passerait peut-être pas mais c’était suffisamment spéculatif pour être tenté. Je me suis dit que je n’avais pas vraiment le choix car la jouer petit bras en étant un peu moins bien ne me plaisait vraiment pas !

Après 23…Rxh7 24.Th3+ Rg8 25.Dh5, Magnus a lâché instantanément le naturel 25…f5?, mais c’était 25…f6! qu’il fallait jouer !

J’avais anticipé 25…f6, mais je pensais qu’après 26.Dh7+ Rf7, ça laissait des options comme 27.Tg3 ou 27.exf6 et je n’étais pas certain d’être perdant (mais pas 27.Th6? comme dans la partie, à cause de de la nuance fatale 27…Cxd1! 28.Dg6+ Re7 et le pion f6 fait obstacle au mat en e6 !). De plus, 25…f6 ne me semblait pas gagner pas en ligne, il y a encore des essais pour les blancs, même si la machine est implacable dans son jugement : après 25…f6!, les noirs ont un avantage décisif !

D’ailleurs, j’ai trouvé bizarre qu’il joue 25…f5 a tempo, et aussi qu’après 26.Dh7+ Rf7 27.Th6, il réfléchisse 5 minutes pour jouer le catastrophique 27…Dxc4??, oubliant qu’après 28.Tf6+! Re8 29.Dxg7, les noirs se font mater en dépit du tempo disponible en défense.

Et c’est gagné ! (Image : www.chess.com).

29…Txf6 30.exf6 1-0.

Au lieu de 27…Dxc4??, s’il avait choisi 27…Re8! 28.Txe6+ Rd7, j’aurais encore dû me battre pour le demi-point synonyme de victoire finale, et le fait que la machine délivre ici son sempiternel verdict à 0.00 ne dit rien de la difficulté de la tâche des blancs en pratique.

Avec cette victoire 2-0 lors de l’ultime match, j’ai remporté la IA Cup, et je dois dire que j’ai passé une très, très bonne semaine dans l’ensemble. En termes de résultats et de niveau de jeu, bien sûr, mais aussi en termes de confiance engrangée.

Les huit qualifiés pour la grande finale de Toronto (9-16 décembre) (Image : championschesstour.com).
Les huit qualifiés pour la grande finale de Toronto (9-16 décembre) (Image : championschesstour.com).

Mais dès le lendemain matin, je prenais l’avion pour l’Albanie, où il me restait encore à transformer l’essai de ce regain de forme en parties rapides, dans les parties longues…

Coupe d’Europe des Clubs, Durres (Albanie)

Une unité de plus sur ma liste des pays visités ! Notre équipe d’Asnières avait une nouvelle recrue en la personne de Martyrosian et sur le papier, nous faisions clairement partie des favoris.

Je n’ai pas joué les deux premiers matches. L’équipe a fait le travail proprement et j’ai fait mon entrée en jeu contre l’équipe turque de Gokturk, contre Sanal (2603) :

Une position issue de la fameuse finale de la Berlinoise, que je n’ai pas tellement jouée ces derniers temps, et qui a d’ailleurs connu un regain d’intérêt dans cette Coupe d’Europe.

Ici, je sentais que je pouvais essayer de profiter de la position acrobatique de sa Tour en c4. Ma première idée était 22.Tf3, mais simplement 22…Fe7 suivi de 23…Fb4. J’ai alors évalué 22.g5 mais je ne suis pas parvenu à le faire marcher ; le Fh4 enfermé est inattaquable et les noirs auront toujours un …h6 quelque part.

En fait il se trouve qu’il existe une autre idée plus forte : 22.Td2! Rb7 23.Td3, pour jouer 24.b3 sans craindre 23…fxg4 24.f5!. Mais cette manoeuvre est assez contre-intuitive dans la position, c’est le moins qu’on puisse dire ! Même en jouant 23…Td8, après 24.Tfd1 Txd3 25.cxd3 Tb4 26.b3, ça reste dur à jouer pour les noirs. C’est une position un peu atypique parce que justement la Tour ne se retrouve jamais en c4 ou b4. Dès lors, de nouveaux thèmes émergent. Mais la Tour sur la colonne d ouverte manque aux noirs ; ce qu’il a payé cher un peu plus tard.

Dans la partie, j’ai préféré 22.exf6 Fxf6 23.f5 Ff7 24.Ff4 Tb4 25.Cd1.

Ici, il fallait voir que 25…Fc4! 26.Te4 Fxf1 27.Txb4 Fe2 28.Ce3 (on a l’impression que c’est mieux pour les blancs, c’est en tout cas ce que je pensais pendant la partie…) 28…Ff3! mène à l’égalité, après 29.Rf2 (29…c5! intermédiaire) comme après 29.g5 (29…Fe7 et 30…Fc5).

Sanal a raté cette opportunité pas facile du tout et a opté pour 25…Rb7 26.b3 Td4 27.Fe5!. Il voulait probablement jouer 27…Te8 mais je crois qu’il a oublié 28.Fxf6! vu sa tête quand j’ai joué 27.Fe5. Après 27…gxf6 (27…Txd1 28.Txe8 Txf1+ 29.Rxf1 Fxe8 30.Fxg7 +-) 28.Txe8 Fxe8 29.Te1, la finale ne laissait en effet guère d’espoir.

Il s’est donc replié sur 27…Fxe5 28.Txe5 Tad8, mais après 29.Te7, la finale reste tout aussi difficile à défendre (1-0, 58 coups).

J’ai souffert pour annuler ma deuxième partie contre Sarin (2694) parce que je n’ai pas été assez précis dans mon Gambit-Dame Accepté. Mais l’équipe a signé sa 4e victoire, et il s’agissait maintenant d’affronter la tête de série n°1, l’équipe roumaine de Superchess, sponsorisée par Superbet et emmenée par Rapport et Anand…

Pourquoi tu me regardes comme ça ? (Rapport-Mvl, Ronde 5) : (Photo Niki Riga).
Pourquoi tu me regardes comme ça ? (Rapport-Mvl, Ronde 5) : (Photo Niki Riga).

Dans ce match, je doublais les noirs contre Rapport (2752). J’ai très bien maîtrisé un milieu de jeu dans lequel nous avons tour à tour pris des risques, mais le vent a tourné en ma faveur après de bonnes décisions stratégiques :

J’étais content de ma manière de jouer pour obtenir cette position, notamment avec l’échange des Fous de cases noires en h6, ainsi que les petites manœuvres pour augmenter graduellement la pression sur le pion faible en e4. Malheureusement ici, il m’a manqué le KO…

La finale de pions était gagnante après 36…a3 37.b3 f5! 38.Df4 (j’avais vu 38.exf5 Dxf3+ 39.gxf3 Txe2 40.Txe2 Txe2 41.Rxe2 et la pointe 41…g5!) 38…fxe4+ 39.Txe4 Txe4 40.Txe4 Dxe4+ 41.Dxe4 Txe4 42.Rxe4. A un moment quand il jouera Re4 avec mon Roi en f6, je répondrai …g5! et je savais évidemment que dans ce cas, la partie était gagnée. C’est pourquoi il me faut gagner l’opposition car si je peux amener mon roi en e5 ou f5 la partie est terminée. Ce qui m’a manqué en temps limité, c’est de comprendre comment empêcher le Roi blanc de rester en e4 et f4. En fait, il faut trianguler avec le Roi, par exemple 42…Rf6 43.Rf4 Re7! 44.Rf3 Rf7, et on recommence la manœuvre s’il joue 45.g3.

J’ai raté une deuxième occasion nette plus tard dans la finale.

Il y a toujours des ressources cachées dans ces finales de Tours !

Mon choix de 52…Txc4? 53.bxc5 Re5 n’était pas le bon : 54.Te2+ Rd5 55.Te8! Txc5 56.Rd2 et la Tour blanche va réussir un harcèlement permanent par derrière (1/2, 67 coups).

Pourtant, il existait un chemin… 52…cxb4! 53.Txd4 b3 54.Rd2 (54.Txf4+ Re5 55.Tf2 Txc4 gagne, les pièces noires sont trop actives) 54…Tc2+ 55.Rd3 et ça devient quasiment une étude dont la ligne principale serait 55…Rf5! 56.Td5+ Rg4 57.Tg5+ Rxh4 58.Tg8 Tc1 59.Tb8 Rg3 60.Txb3 Rxg2 -+. Mais pendant la partie je n’étais pas sûr de moi et je n’ai pas fait le bon choix.

En fait dans cette partie, à chaque fois j’avais deux choix tentants. J’ai voulu aller au plus simple et à chaque fois j’allais au plus compliqué (un grand classique 😊).

Malheureusement, ce demi-point raté nous a empêché d’arracher le match nul dans ce duel au sommet.

Nous nous sommes vengés le lendemain en dominant les Israéliens de Beersheva. Je l’ai emporté de mon côté contre Mikhalevski (2527).

La compétition s’est donc conclue sur un match de tous les possibles contre l’équipe norvégienne d’Offerspill, emmenée par le n°1 mondial Magnus Carlsen :

Le Gambit-Dame Accepté a tenu bon ! (Photo : Niki Riga).

J’ai joué une bonne partie, grâce à une bonne préparation avec les noirs, qui m’a très rapidement amené à la position suivante :

La finale était en réalité un peu plus délicate que ce qu’il m’a semblé au premier abord quand je suis rentré dedans.

Un coup normal, par exemple 24…Thd8, aurait été possible à la condition d’activer ma majorité à l’aile-Dame. Mais dans ce cas, ses deux Tours seraient entrées en piste. Échanger une paire de Tours, par exemple en d3, n’aurait pas été une option, car son pion e serait alors devenu trop fort. Avec les 4 Tours, il aurait facilement pu jouer Tg1 pour forcer …g6 puis continuer par h4-h5. Son Roi se serait trouvé en e4 relativement protégé, prêt à s’infiltrer en f5 et à soutenir le pion e. Tant qu’il y a les 4 Tours sur l’échiquier, je ne peux jamais jouer …b6 et …c5 car les blancs répondent par a5-axb6 et tapent sur le pion b, tout en s’infiltrant sur la colonne a, après quoi son pion e avance tout seul. Il fallait donc avant tout que j’empêche h4.

J’ai donc pris mon temps pour organiser la défense, je me suis mobilisé et j’ai trouvé les bons coups, avec tout d’abord la bonne séquence 24…Tf8 25.f4 g5! (empêcher h4 – bloquer la phalange de pions blancs) 26.a5 (26.fxg5 Tf5 ; 26.Tb4 c5! 27.Tb5 b6 28.a5 Rc7 29.axb6+ axb6 30.Ta6 – sinon 30…Rc6, le Roi noir soutient ses pions et ça joue pour trois résultats ! – 30…gxf4+ 31.exf4 Td3+ 32.Rg4 Td4, on va échanger tous les pions et rester bons amis !) 26…gxf4+ 27.exf4 Td4 28.Tf3 Tf5! et j’ai réussi à créer les conditions d’un blocus sur cases blanches (½, 47 cps).

Grille américaine des 10 premiers de la Coupe d’Europe (Image : www.chess-results.com).
Grille américaine des 10 premiers de la Coupe d’Europe (Image : www.chess-results.com).

Malheureusement, l’équipe s’est inclinée au final sur la plus faible des marges, après un match qui s’est joué à rien. Au lieu d’un podium, voire d’une victoire finale sur le fil, nous avons dû nous contenter de la 7e place. Le triplé Coupe – Championnat – Coupe d’Europe n’a pas eu lieu, mais je crois qu’Asnières peut quand même être fier des résultats de son équipe cette saison ! Et n’oublions pas de féliciter l’équipe de Magnus pour son titre européen !

Sur le plan individuel, je me prépare maintenant pour le Grand Swiss de l’Ile de Man (25 octobre – 5 novembre), qui offrira 2 nouvelles places pour les Candidats 2024, juste avant de partir sur le continent américain pour une longue tournée puisque le retour à Paris est prévu le 18 décembre !

Les parties blitz de Maxime au Speedchess :

Les parties de Maxime dans l’AI Cup :

Les parties de Maxime en Albanie :

Jean-Philippe Toussaint, auteur prolifique récompensé par de nombreux prix, dont le Médicis en 2005, a souvent émaillé son œuvre de références au jeu d’échecs. Son premier ouvrage est d’ailleurs intitulé « Echecs ». Début septembre, en germanophone averti, il a publié aux Editions de Minuit une nouvelle traduction française de la célèbre oeuvre de Zweig « Le joueur d’Echecs », qu’il a d’ailleurs renommée « Echecs ». En parallèle, Jean-Philippe Toussaint a également sorti une autobiographie qu’il souhaite lui-même être « l’échiquier de [sa] mémoire ». Intitulée en effet « L’échiquier » elle contient de nombreux récits liés à sa passion du jeu et à ses rencontres avec des personnalités échiquéennes. A l’occasion de cette publication, « Philosophie Magazine » a souhaité organiser un (long) entretien croisé entre Jean-Philippe Toussaint et Maxime, au cours duquel de nombreux thèmes ont été abordés. Les échecs et l’écriture y tiennent la place principale, bien sûr, même si l’entretien dérive de temps en temps vers d’autres rivages métaphysiques !

Image : Philosophie Magazine

A Calcutta pour rebondir

Winners

Trois semaines après la déception de la Coupe du Monde, j’ai eu l’occasion de revenir à la compétition par le biais d’un tournoi atypique à Düsseldorf, qui n’offrait pas trop d’enjeu sportif, en dépit d’un plateau particulièrement relevé. Puis d’enchaîner avec un très fort tournoi rapide et Blitz sur le modèle du Grand Chess Tour, à Calcutta.

DUSSELDORF : Championnat du Monde Rapide par équipes

Ce nouveau championnat par équipes a été un peu monté de toutes pièces mais il a permis de mettre sur pied des compositions sur mesure originales. Pour ma part, j’ai participé au sein d’une équipe de copains imaginée pour l’occasion, le ASV Alpha Echecs Linz, sorte de mix entre les copains d’Etienne [Bacrot] et les joueurs du club de Linz en Autriche. Je jouais avec Étienne, Sacha [Alexander Grischuk], Parham Maghsoodloo, Arkadij Naiditsch. Marc Llari, le champion du monde U8, occupait l’échiquier des moins de 2000, ce qui n’était a priori pas une bonne nouvelle pour nos adversaires 😊. Kateryna Lagno complétait l’équipe sur l’échiquier féminin. Sur le papier, nous avions une très solide formation. La compétition se déroulait sur 3 jours, c’était à la fois intense, avec quand même quatre parties rapides par jour, mais d’un autre côté, il y avait des longueurs, à cause de la bonne demi-heure entre les rondes.

L’organisation sur place était très bonne, et de très nombreux joueurs de premier plan avaient répondu présent. Dont l’équipe WR, montée expressément pour gagner, avec So, Abdusattorov, Nepomniachtchi, Duda, Praggnanandhaa, Keymer, Yifan Hou, Kosteniuk (excusez du peu !), et Rosenstein, leur échiquier moins de 2000 qui s’est très bien débrouillé par moments.

Nous aussi, on voulait clairement gagner, mais disons que pour WR c’était un peu différent, ça semblait vraiment hyper important 😊. Contrairement à eux, même si nous n’avons pas pris la compétition à la légère, il n’y a pas eu de préparation spécifique.

WR a survolé la compétition, donc rien à redire à leur victoire ; ils avaient tout simplement une équipe monstrueuse.

Quant à nous, nous avons perdu cinq matches sur douze, ce qui est énorme ; même si quatre d’entre eux l’ont été d’un demi-point seulement…

A titre personnel, je pense avoir produit un résultat correct, mais sans relief. Dans tous les matchs où nous nous sommes inclinés, j’ai fait nulle, donc j’ai eu une influence limitée. On va dire que sur la compétition, j’ai fait le job mais sans plus.

La salle de jeu à Düsseldorf (photo : Fide).

Voici deux moments intéressants dans mes parties :

Mvl – Anand 1/2

Dans cette finale Dame et Tour avec un pion de plus sur la même aile, ça fait un moment que je tourne ! Ici, j’ai évité l’échange des Dames par 56.De4+ Dxe4 57.fxe4 car malgré de réelles chances pratiques, j’ai pensé qu’Anand l’annulerait certainement. Et je sentais aussi qu’il pouvait craquer avec les pièces lourdes sur l’échiquier, alors j’ai gardé les Dames par 56.De3, avec l’idée d’aller en f4 pour commencer à créer des menaces sur le Roi noir. Et il a effectivement craqué ! 56…Tc4?? (pour empêcher 57.Df4), mais je n’ai malheureusement pas puni car j’ai raté le coup gagnant – pourtant pas très difficile – 57.Db3!, qui cloue la Tour et menace 58.Db1+. Les noirs sont incapables d’empêcher cela, par exemple 57…Td4 58.Dc2+ Td3 59.Te3 et gagne. Une belle occasion gâchée !

Eljanov – Mvl 0-1

C’était la dernière ronde et dans cette position, j’étais très content de placer la combinaison 16…Cxd4!?, que je croyais gagnante. L’antidote à ce coup était assez joli : 17.Cxd4! (au lieu du perdant 17.Dxd4? Dxd4 18.Cxd4 Fxd2 joué par Eljanov) 17…Tc3 18.Ta8+ (18.Db1? Dxd4) 18…Re7 19.Cc4! (le coup qu’il fallait voir !). Sur 19…dxc4? 20.De4 puis Dh4 gagne, et sur 19…Txd3? 20.Cxb6 Txd4 21.Cxd7 Rxd7 22.Tc1! suivi de 23.Fb5+ et 24.Tc7 mat ou 24.Te8 mat ! Je dois donc jouer 19…Txc4 20.Df3 Tg6 21.Fxc4 Dxd4 (21…dxc4? 22.Td1 et l’initiative blanche est trop forte) 22.Fd3 Dxe5 23.Fxg6 hxg6 et avec trois pions pour deux qualités, c’est un joyeux bordel, au lieu de la position perdante que les blancs ont obtenue dans la partie.

Au final, l’équipe termine seulement à la 6e place, mais on s’est bien amusés et c’est le principal. C’est mieux de finir 6e si c’est pour gagner la prochaine fois, que de faire deux fois 3! On va dire que c’est ma philosophie 😊.

TATA STEEL INDIA

Après quelques jours à Paris, direction Calcutta pour la visite de mon 41e pays, loin derrière le globe-trotter en chef Nigel Short qui lui, a dépassé la centaine 😊. Le voyage s’est très bien passé, je suis arrivé vers 3h du matin heure locale, la veille du tournoi.

Présentation des joueurs (Photo : Tata Steel India).
Présentation des joueurs (Photo : Tata Steel India).

La sélection de joueurs était très intéressante, très homogène, avec beaucoup de jeunes qui peuvent tous potentiellement devenir champion du monde plus tard ! Même si je crois que certains noms sont plus probables que d’autres 😊. Je m’attendais donc à un tournoi très costaud et surtout, avec aucune partie facile, aucune partie de détente, même si j’en ai eu une finalement dans le Rapide [nulle rapide contre Radjabov à la dernière ronde lorsque le gain du tournoi était déjà assuré].

Les parties rapides étant assez intenses, je n’ai fait que hôtel / salle de jeu / hôtel pendant trois jours : avec juste deux petits matchs d’entraînement en blitz contre Sacha, un avant le début du Rapide, et un avant le début du Blitz. D’ailleurs, il a même dit à la remise des prix que j’avais été son « secret coach » ! [Grischuk a remporté le tournoi de blitz].

Voici quelques morceaux choisis de mes parties :

Rapide

Ronde 2 : MVL – Praggnanadhaa, 1/2

Le premier jour, j’étais un peu « en dedans » Après une première partie assez normale, il y a eu un petit raté dans l’ouverture contre Praggnanadhaa ; on se dirigeait toutefois vers la nulle dans la finale, jusqu’au moment suivant :

40.Rh3? (ne rien faire n’était pas une bonne idée, il fallait contre-attaquer d6 par 40.De6!). Avec seulement l’incrément de 10 secondes par coup, aucun de nous n’a vu 40…b5! ; soit le pion b file, soit 41.axb6 Dxb6, et c’est le pion a qui s’échappe. A noter tout de même que l’évaluation à +8 de la machine occulte les difficultés pratiques qui auraient subsisté pour la conversion ! A la place, Prag a répété une fois par 40…Dg4+? 41.Rh2 Db4 42.Rh3? avant de rater une deuxième fois le coche ! 42…Dxa5? 43.Fxd6 et il a dû se contenter du perpétuel car les blancs ont trop de jeu avec les Dames et le pion passé en d5.

Ronde 3 : Vidit – MVL 0-1

La 3e partie fut celle de tous les dangers ! Je m’attendais surtout à 1.d4, et 1.e4 m’a un peu surpris. J’ai opté pour une Najdorf et comme j’étais en mode expérimentation dans les ouvertures (mais moins que dans le Blitz 😊), sur 6.Fg5, j’ai voulu éviter la variante du Pion empoisonné. Après 6…Cbd7 7.a3!?, je me suis souvenu que Vidit avait déjà joué en rapide cette ligne un peu venimeuse. Malheureusement, sur l’échiquier, je ne me suis rappelé de rien et j’ai été obligé d’improviser ! Dans une situation qui me semblait déplaisante, j’ai tenté une suite tactique qui ne marchait pas du tout, oubliant simplement un enfermement de ma Dame. J’ai donc dû sacrifier du matériel, m’accrocher comme j’ai pu, en évitant les lignes forcées qu’il avait forcément calculées, pour finalement arriver dans la misérable position suivante, où j’ai une Tour nette de moins, et un contre-jeu en voie d’extinction totale :

A peu près tous les coups gagnent, sauf celui que Vidit a choisi avec, il est vrai, assez peu de temps à la pendule ! 34.Rb2?? Td3!, et non seulement ça s’est retourné, mais comble de malchance pour l’Indien, j’avais même maintenant un gain forcé après 35.De1 ! Il fallait jouer 35…Td2! mais j’ai eu beau chercher, je ne trouvais pas. Certes, j’avais toutes les idées de la position en place, mais il me manquait juste le repli de la Dame en d6 ; par exemple 36.Dxd2 Dxd2 37.Ta3 Dd6 (d’autres coups gagnent également), mais surtout 36.Tc1 Dd6! (seul coup cette fois !) 37.Ta4 Fxc3+! 38.Rb1 (38.Rxc3 Dd4 mat) 38…Txc2 et gagne. A la place, j’ai joué 35…Txc3? 36.Dxc3 Fxc3+ 37.Rxc3 et la finale est vraiment très chaude. 37…Dxh4 et 38.Tg1 ne sont pas les meilleurs coups, nous apprend la machine, mais qu’importe ! Et surtout, après 38…Fd5!, Vidit n’a pas vu le très joli motif géométrique 39.Fb3? (39.Fd3 restait dans la partie) 39…Dh8+! 40.Rc2 Dh2+ 41.Rc3 De5+ gagnant le Fou après 42.Rc2 De2+ 43.Rc3 De3+.

Un retournement de situation très heureux qui m’a permis d’achever sur une bonne note une première journée compliquée.

Dès le début de la 2e journée, mon choix d’ouverture (l’Ecossaise) a fonctionné à merveille, encore plus que je n’espérais…

Ronde 4 : MVL – Keymer 1-0

Même si cette finale issue de l’Ecossaise  n’est pas spécialement avantageuse, elle permet de continuer à poser des problèmes, notamment après mon coup 23.Cg1!, dont j’étais assez content. J’étais persuadé qu’il voulait jouer 21…Fg2, pour empêcher le redéploiement Ch3-f4. Mais il a raté ce qui était en effet le meilleur coup ; après 22.f4 Cc6 23.Fg4+ Rb8 24.Td2?, les noirs sauvent avantageusement la pièce par 24…Thg8!, tandis que 22.Fh5, laissant le passage au Cavalier via e2, ne marche pas spécialement non plus à cause de 24…f5, et si 25.Ce2?! Ff3! 26.Fxf3 Cxf3 et les noirs prennent le dessus.

Keymer a préféré 23…Thg8 et m’a laissé manœuvrer mon Cavalier d5 pour l’échanger contre son Fou, et nous avons atteint la position suivante :

Ici, le sacrifice de qualité 31.Tdxd4! coulait de source pour moi. Je n’appelle même pas ça un sacrifice, car j’ai toutes les colonnes ouvertes et des pions passés. Après 31…cxd4+ 32.Txd4 c6 (32…Ta8 33.Tb4+) 33.dxc6+ Rxc6 34.Txa4, je ne savais pas si c’était gagnant car je me disais que ça pouvait peut-être se défendre objectivement, mais en pratique les noirs vivent avec certitude un enfer !

En route vers la victoire ! (Photo : Tata Steel India).
En route vers la victoire ! (Photo : Tata Steel India).

Ronde 6 : MVL – Abdusattorov 1-0

Après une ouverture ratée de sa part, j’ai pris un net ascendant. Ensuite, j’ai essayé de laisser le moins de contre-jeu possible. Néanmoins, je sentais que je passais peut-être à côté d’options plus percutantes à certains moments, mais sans les identifier.

Par exemple ici, la machine indique que 28.De8! aurait été clairement gagnant, contrairement à mon choix de 28.Dc4 qu’elle ne gratifie que d’un léger plus, alors que j’étais quasi certain d’avoir un avantage positionnel décisif ! Mais c’est intéressant à noter parce que même si j’avais vu 28.De8, je sais que je ne l’aurais pas joué de toute façon ! En effet, il aurait fallu calculer les variantes après 28…Rg7 29.Cxc5 ou 28…Dxd3 29.Dxg6+ Fg7, qui ne sont pas du tout évidentes pour un humain en cadence rapide.

A noter qu’après Keymer, Gukesh [nulle solide avec les noirs] et Abdussatorov, j’affrontais ronde 7 un quatrième grand espoir mondial consécutivement, l’Indien Erigaisi ! [gain de Maxime avec les noirs].

Du coup, avant la 8e ronde contre Harikrishna, j’avais un point d’avance sur mes poursuivants.

Ronde 8 : Mvl – Harikrishna 1-0

Je savais que j’allais avoir une dernière partie qui pouvait potentiellement être compliquée [noirs contre Radjabov], donc je voulais quand même jouer pour le gain, mais sans prendre le risque de perdre. Malgré une ouverture tranquille, j’ai réussi à mettre pas mal de pression, d’autant que mon camarade de club à Asnières n’a pas forcément été hyper précis.

Ici, j’ai déjà un petit avantage, mais après 24…Fe7, la position noire reste solide. Mais il a joué 24…Te8?. Il y avait trop de pièces sur la colonne e, et je n’ai pas fait attention à la possibilité 25.f4!, qui gagne sur le champ ! Les noirs sont complètement impuissants face à la menace 25.f5, car si 24…f5 25.Cxf5!. Après 25.Cf5? Ff6 26.Cg3 h6?, j’ai de nouveau eu la possibilité de jouer 27.f4!. Je ne sais pas comment je l’ai raté car quand j’ai opté pour la manœuvre Cf5-g3, mon idée était de jouer f4 ! Même si cette fois, les noirs ont 27…Fxd4+ intermédiaire, ils restent totalement dénués de ressources après 28.Rh2 qui menace, et 28.Fxg6, et 28.f5 ; et si 28…Ch4 29.f5! quand même, tablant sur la surcharge de la Dame en d7. A la place, j’ai joué 27.Ch5? Fh4 28.Dc2 après quoi il a pas mal réfléchi, et lâché la réplique 28…Ff5?, le coup de tonnerre que je n’avais pas du tout envisagé. J’ai tout de suite eu le sentiment que ça ne pouvait pas marcher et j’ai rapidement trouvé 29.Txe8+ Dxe8 30.Fxf5 De1+ 31.Rh2 Fxf2 32.Db1! qui réfute complètement ! Je ne peux pas dire que j’ai tremblé dans la conversion, mais je me suis peut-être rendu la tâche un tout petit peu trop compliquée.

Une nulle rapide pour finir contre Radjabov m’a permis de remporter le tournoi avec 7/9 et 1.5 point d’avance sur lui.

Une victoire qui fait du bien au moral…

Classement final du Tata Steel India Rapide (www.chess-results.com).
Classement final du Tata Steel India Rapide (www.chess-results.com).

Blitz

Dès le lendemain, les hostilités reprenaient avec le tournoi de Blitz en aller-retour sur deux jours et 18 rondes.

J’ai effectué un très mauvais début [0/3 puis 1/5], je n’étais sans doute pas bien réveillé ! Ce mauvais départ compromettait mes chances de gagner le tournoi, même si vers la fin de la deuxième journée, je me suis pris à rêver d’une remontada, avant de finir un peu n’importe comment [finalement 5e avec 9.5/18]. Mais de toute manière, sur ces deux jours, je n’étais pas vraiment dedans, ce qui confirme mes problèmes d’irrégularité en blitz, que je n’avais pas du tout il y a quelques années. Or, maintenant, je n’ai plus ce problème dans les parties blitz en ligne, c’est le monde à l’envers ! Je suis sans doute devenu plus fort en ligne que sur l’échiquier en blitz 😊. C’est donc un axe de travail pour le traditionnel championnat du monde de Blitz de fin d’année.

Enfin, il faut quand même ajouter que le niveau est beaucoup plus élevé qu’avant. Je ne peux plus être aussi dominateur en blitz que je pouvais l’être, par exemple en 2015 au championnat du monde, ou dans certains tournois où je faisais des performances à plus de 3000 Elo. Ce n’est plus possible, parce que le niveau des autres a augmenté, et aussi parce que ma constance n’est plus la même. Par exemple ici à Calcutta, j’ai fait des gaffes, des trucs inexplicables… Certes, j’ai osé pas mal d’expérimentations dans les ouvertures, car je voulais gagner en instinct, en feeling… Mais certaines parties me font douter de la pertinence de ce choix 😊.

Félicitations à Sacha [Grischuk], qui a très bien joué et a dominé le tournoi de blitz.

Classement final du Tata Steel India Blitz (www.chess-results.com).
Classement final du Tata Steel India Blitz (www.chess-results.com).

PARTIES MVL

Les parties de Maxime à Düsseldorf:

Les parties rapides de Maxime à Calcutta :

Les parties blitz de Maxime à Calcutta:

La Ville d’Asnières, en proche banlieue parisienne, est un des épicentres du jeu d’échecs en France. Elle héberge notamment les locaux de la Fédération Française, et son club est champion de France en titre. La municipalité et son maire, Manuel Aeschlimann, soutiennent donc activement le jeu d’échecs, y compris dans son versant pédagogique, par l’intermédiaire des écoles primaires de la ville.

Pour symboliser l’attachement de la commune au Roi des Jeux, plusieurs champions d’échecs ont déjà donné leur nom à des rues ou des allées de la ville (rue Vladimir Kramnik, rue Alexandra Kosteniuk, allée Anatoli Vaisser).

Le 13 septembre, Asnières a franchi un nouveau cap en inaugurant le « Parc Maxime Vachier-Lagrave » ! Situé au cœur d’un nouveau quartier, celui-ci offre un espace vert de 8.000 m², orienté vers la Seine. Outre des jeux pour enfants et un « espace prairie » qui sera prochainement opérationnel, on y trouve en bordure des bancs et des tables d’échecs qui viennent rappeler pourquoi le Parc porte désormais ce nom…

Mvl avec le maire d’Asnières, Manuel Aeschlimann (Photo : Mairie d’Asnières).
Mvl avec le maire d’Asnières, Manuel Aeschlimann (Photo : Mairie d’Asnières).

Midnight express

Salle de jeu

J’ai quitté Bakou dans la nuit qui a suivi mon élimination de la Coupe du Monde en 32e de finales contre Sindarov… Un peu de déception bien sûr, mais aussi la hâte de pouvoir au moins retrouver les joies de Paris au mois d’août !

Afin d’arriver dans les meilleures conditions, j’étais parti en Azerbaïdjan le 31 juillet, pour un début de compétition le 2 août. Je m’étais préparé en amont pour au minimum les deux premiers tours, contre Dragnev ou Kobo, puis contre Sindarov ou Ragger.

Je suis arrivé plutôt reposé, assez en forme. J’ai retrouvé sur place tous les Français présents lors du tour préliminaire dont j’étais exempté.

Pour moi, la Coupe du Monde reste un tournoi assez excitant. On y trouve beaucoup plus de joueurs que dans les tournois de l’élite, ce qui donne une ambiance et une atmosphère toujours assez particulières.

L’organisation sur place était assez propre, bien rodée. C’est clair que l’expérience joue ; au fur à mesure que les éditions passent, la FIDE a pris la mesure des choses à faire. Et puis l’Azerbaïdjan a quand même l’habitude d’organiser de grandes compétitions sportives.

Il y a juste un point qui m’a surpris, c’était le fait que les parties soient retransmises en direct. J’ai interpellé la FIDE et je n’ai pas eu de réponse claire à ce sujet. Certes, les mesures anti triche sur place étaient satisfaisantes. Mais quand bien même, je ne vois pas quel aurait été l’inconvénient d’implémenter un délai de trente minutes par sécurité…

Retour en images sur les 6 parties que j’ai disputées à Bakou :

MVL – DRAGNEV, match aller 1/2

Une entrée en matière compliquée contre un joueur toujours bien préparé. Je ne m’attendais vraiment pas à cette variante du Gambit-Dame.

Après le verrouillage de l’aile-Dame par 14…a4!, je n’ai jamais réussi à faire marcher le break en e4 et je n’ai strictement rien obtenu.

DRAGNEV – MVL, match retour ½

Après une première répétition par 17…Td8 18.Fb6 Td6 19.Fc5 et avec une certaine avance à la pendule, j’ai hésité à refuser la nulle, ce qui pouvait être fait de deux manières différentes. Tout d’abord par 19…Tf6, mais j’ai eu un peu peur de 20.Te1 (mais certainement pas de 20.Dxd5+ Fe6) 20…Rg8 21.Ff1 menaçant 22.Te3 qui gagne la Dame, tout en attaquant vraiment d5, et éventuellement e7. Après 19…Td8 20.Fb6, l’autre façon de continuer aurait été de sacrifier la qualité par 20…Ff5!? 21.Fxd8 Txd8, et la paire de Fous couplée au duo de pions centraux offre une compensation évidente.

Au final, j’ai préféré répéter les coups et m’en remettre aux tie-breaks, mais ce n’était peut-être pas la meilleure décision objectivement.

Début du tie-break contre Dragnev (Photo : Fide).
Début du tie-break contre Dragnev (Photo : Fide).

MVL – DRAGNEV, Tie-break (2) 1-0

Après un premier tie-break annulé sans trop d’histoire avec les noirs, j’ai obtenu une bonne position au sortir de l’ouverture dans le deuxième :

Ici, le jeune autrichien m’a donné la qualité en un coup par 18…c6?? 19.Fd6 cxd5 20.Fxf8 Ce6. Mais là, j’ai sans doute trop voulu la perfection en cherchant la solution technique la plus propre. Bien sûr, j’ai vite rejeté 21.Dxd5 Dxg4+ 22.Dg2 Dxg2+ 23.Rxg2 Rxf8 qui me semblait tout sauf facile à convertir. Ma première idée était donc l’évident 21.Fxg7 dxc4 22.Fxf6 Dxf6, mais je ne trouvais pas de coup décisif tandis que je voyais le Cavalier noir surgir en d4 ou en f4. Or, simplement 23.Dd5! et je vais gagner c4 ou optimiser le placement de ma Dame en e5. Du coup, j’ai finalement opté pour 21.Ce5? qui me paraissait plus sécurisant, mais qui n’a pas du tout atteint ce but après 21…Fxe5 22.Txe5 Txf8, et l’avantage devient très complexe à démontrer. J’aurais pu essayer de garder la maîtrise de la situation par 23.Txd5 h5! (23…De4 24.f3 De3+ 25.Rh1 Cf4 26.Td8 g6 ne me rassurait pas non plus, mais j’ai raté le difficile 27.Db3!, qui doit être suffisant puisque la Dame noire ne peut pas venir en e2 ou f2 à cause de l’échange en f8 suivi de 29.Db4+ qui gagne le Cf4 !) 24.Txh5 De4 25.f3 De3+ 26.Rh1, mais après 26…Cf4, qui gagne un tempo crucial sur la Tour, l’activité du couple Dame/Cavalier compense le déficit matériel.

J’ai donc décidé de faire contre mauvaise fortune bon cœur par 23.Df3 d4 24.De4, mais si j’ai restreint l’activité des pièces noires, c’est en laissant leur pion d aux noirs !

Heureusement, Dragnev s’est un peu emballé et au lieu de continuer à défendre par un coup comme 29…Ce6, il a cru qu’il pouvait se permettre 29…d3?, tombant dans un joli piège ; 30.Te8! et il a compris que 30…d2? n’était pas possible à cause de 31.T1e7!, et face à la menace 32.Dxf7+, les noirs n’ont pas d’autre choix que d’abandonner leur pion d par 31…d1=D+. 30…Rg7 31.g5! ne donnant pas vraiment envie non plus, il a opté pour 30…Ce6, mais après 31.Txf8+ Cxf8 32.Td1, les blancs empochent le pion d, et je n’ai pas raté la réalisation technique cette fois-ci 😊.

Jules et Maxime sortiront tous les deux au 3e tour… (Photo : Fide).
Jules et Maxime sortiront tous les deux au 3e tour… (Photo : Fide).

SINDAROV – MVL, match aller ½

Après une partie plutôt bien maîtrisée de ma part, nous avons obtenu la position suivante :

Nous commencions tous les deux à manquer un peu de temps, et je n’ai malheureusement pas réussi à faire marcher 34…Ff8!, qui était pourtant le bon coup. Après 35.Txb7? (les blancs auraient alors dû se contenter d’un coup comme 35.Rf1 ou 35.Td5, mais l’avantage noir est indéniable) 35…d3! 36.Ce3 (36.Txd7 dxc2 37.Tc3 Ta1+ -+), il existe un coup que j’ai raté et qui fait très mal, 36…Fh6!.

Je me suis donc résigné à protéger b7 par 34…Ta7?, mais Sindarov m’a offert une nouvelle opportunité avec 35.Ta3? (l’échange des Tours favorise les noirs en libérant leur pion d). Malheureusement, je n’ai pas cru à la force du pion d et j’ai joué 35…Ff8? et offert la nulle, immédiatement acceptée ; après 36.Txa7 Cxa7 37.Td5, les blancs récupèrent effectivement leur pion avec égalité. Peut-être qu’avec un peu plus de temps, j’aurais accordé une meilleure attention à 35…Txa3 36.Cxa3 d3!. On dirait que le pion d va être encerclé, que le Cavalier blanc arrive en c4 et que les noirs ne vont rien tirer de bon de cette poussée, mais à y regarder de plus près, il n’en est rien et les blancs souffrent. 37.Td5? Cb4! perd immédiatement. 37.Cc4 Fc3! pose également beaucoup de questions. 37.Rf1 ou 37.Tb1 sont sans doute meilleurs, mais les blancs vont devoir souffrir pour espérer gagner leur demi-point.

Une autre « demi opportunité » ratée avec les noirs, qui laisse évidemment quelques regrets, surtout au vu du scénario de la deuxième partie…

MVL – SINDAROV, match retour 0-1

Je ne rentrerai pas dans les détails de cette variante sauvage de l’Arkhangelsk, disons juste que Sindarov et moi avions tous les deux cette position qui n’est pas théorique dans nos fichiers. Je ne me suis pas souvenu du meilleur coup 19.Df5!, très difficile à trouver sur l’échiquier. C’est en fait un coup prophylactique, les blancs anticipent …Te8, se préparent à positionner la Dame en f3 ou d3 si elle est chassée, et surtout à répondre à 19…c5 par 20.d5. Après une longue réflexion, j’ai choisi l’approche plus humaine 19.Cd2 c5 20.Cf3 cxd4 (la machine nous apprend que 20…Te8! d’abord est plus précis) 21.cxd4 Te8. Ici, 22.Df5 était trop tentant, la menace 23.Cg5 me semblait trop forte pour que les noirs aient le courage de prendre en d4. On sait objectivement après la partie que 22.Da5! était le meilleur coup, mais c’était tout sauf évident dans le cours du jeu. Après une longue réflexion, Sindarov a donc osé 22…Fxd4! 23.Cg5 h6, et après 24.Dh7+ Rf8 25.Cf3 Db6, nous avons atteint la position décisive suivante :

J’ai réfléchi près d’un quart d’heure. Bien sûr j’ai vu tout de suite que sur 26.Cxd4, les noirs avaient le coup intermédiaire 26…Txa6. J’ai ensuite analysé 26.Fd2 Fxb2 27.Tb1 Dxa6+ 28.Rg1 et j’ai compris que la position devait être égale ou équilibrée, après par exemple 28…Tab8 29.Fb4+! Txb4 30.Dh8+ Re7 31.Te1+ De6 32.Txe6+ fxe6 33.Dh7 comme après 28…Da3 29.Ch4, car la menace 30.Cf5 devrait permettre de récupérer la qualité. Malheureusement, j’ai ensuite été attiré par une idée « brillante » qui me semblait mener à une nulle plus limpide… 26.Cxd4?? Txa6 27.g3!? (la pseudo-pointe qui donne tout sur échec, mais dans notre noble jeu, la prise n’est pas obligatoire 😊). Si les noirs encaissent le matériel par 27…Txa1? 28.Cf5! Txc1+? (28…Db5+ et c’est encore nulle après 29.Rg2 Dxf5 30.Dxf5 Txc1 31.Dh7 f6), ils devront baisser pavillon après 29.Rg2 Db7+ (seule façon d’éviter le mat) 30.Rh3 f6 31.Dh8+ Rf7 32.Dxg7+ Re6 33.Dxb7 Rxf5 34.g4+ Re5 35.f4+ et 36.Dxe6. Si après 27.g3!?, les noirs optent pour 27…Dxd4, alors 28.Txa6 Dc4+ 29.Rg2 Dxa6 30.Dh8+ Re7 31.Dxg7 avec une finale nulle.

Malheureusement, le tranquille 27…Db7! est apparu sur l’échiquier, un petit coup intermédiaire qui m’avait complètement échappé ! Une douche froide qui m’a vite fait comprendre que la Coupe du Monde était terminée pour moi…

La partie s’est conclue par 28.Dh8+ Re7 29.Dxg7 (29.Dxe8+ Rxe8 30.Txa6 Dxa6+ 31.Rg2 Dd3 32.Fe3 n’offrait aucune perspective de forteresse, les noirs pousseront leurs pions de l’aile-Roi pour déstabiliser la construction blanche) 29…Txa1 30.Cf5+ Re6 31.Cd4+ Rd5 et les blancs peuvent abandonner.

Le tombeur de Maxime en pleine concentration avant la partie décisive (Photo : Fide).
Le tombeur de Maxime en pleine concentration avant la partie décisive (Photo : Fide).

Evidemment, le bilan de la Coupe du Monde ne correspond pas à ce que j’en attendais, sachant que ce tournoi constituait vraiment mon gros objectif de l’année. C’est donc une déception par rapport au résultat, mais en réalité, ça l’est beaucoup moins en termes de contenu. Je pense que je dois continuer sur la lancée de cette Coupe du Monde. Bien sûr, il reste quelques détails à régler, mais je trouve mon niveau de jeu clairement supérieur à ce que j’avais pu montrer depuis un an.

Je disputerai quelques tournois rapides ou en ligne à la fin du mois d’août et pendant le mois de septembre, avant de retrouver les parties classiques pour la Coupe d’Europe des Clubs, qui se déroulera en Albanie du 1er au 7 octobre. Mon club d’Asnières visera clairement le podium, donc c’est un objectif sportif important, en même temps qu’une excellente préparation avant le Grand Swiss (25 octobre – 5 novembre), ma dernière chance de qualification pour les Candidats 2024. En tout cas, j’ai l’intention d’arriver sur l’Ile de Man avec ambition et en étant bien préparé…

Les parties de Maxime :

Juste avant de partir à Bakou, Maxime a réalisé un exploit que seuls Wesley So et Nakamura avaient réalisé avant lui, à savoir remporter les deux éditions du fameux « Titled Tuesday » sur chess.com. Tous les mardis, deux tournois de blitz successifs réunissent en moyenne environ 500 joueurs titrés. Ce 25 juillet, Maxime s’est imposé dans les deux, avec un score de 9.5/11 puis de 10/11. Parmi les participants, Carlsen, Nakamura, Caruana, So, Duda, Kramnik, Kamsky, Fedoseev etc, et une pléiade de GMI. Il n’aura manqué pour Maxime que la cerise sur le gâteau : après s’être assuré le gain du deuxième tournoi avec 10/10, Maxime a concédé sa seule défaite du jour face à Nakamura, en essayant d’atteindre la perfection du 11/11 !

Le temps des équipes

La cathédale de Chartres

Le mois de juin a été rythmé par deux grandes compétitions par équipes, la première étant le Championnat de France, organisé une nouvelle fois dans une très confortable salle de la mairie de Chartres, la ville dont d’aucuns prétendent qu’elle possède la plus belle cathédrale du monde…

Top 16 à Chartres

J’ai rejoint mon équipe d’Asnières en cours de route à Chartres, pour le match de la troisième ronde en forme de derby contre Clichy, malheureusement perdu. Sur mon échiquier, j’ai fait nulle avec les blancs contre Amin Bassem, dans une Espagnole où je n’ai pas réussi à faire fructifier l’avantage que j’avais pris dans l’ouverture. Un résultat qui nous a tout de suite mis un peu dans le dur, mais on s’est bien rattrapé après 😊.

Au niveau personnel j’ai fait beaucoup de nulles. En fait, je n’ai fait que des nulles ! (6, dont 4 avec les noirs).

MVL-Bacrot
Une ultime nulle contre un vieil ami… (Photo : Ffe).

Il y a eu notamment cette nulle avec les noirs contre Andreï Sokolov qui a duré 6 heures (Mulhouse-Asnières, Ronde 4). Il a montré dans cette finale inférieure de grandes ressources en défense, car peu de gens auraient tenu cette position ; en tout cas, à son Elo (2464), quasiment personne ! Et même à des Elo supérieurs, j’ai du mal à croire qu’ils sont si nombreux, ceux qui auraient défendu cette finale. Il l’a fait, rappelant ainsi son statut d’ancien finaliste des Candidats, et tout le mérite lui en revient !

SOKOLOV – MVL ½

Ici, j’ai considéré que 47…Tfd3 ou 47…Tad3 n’offraient guère de chances de gain et j’ai donc décidé d’abandonner le pion d6 par 47…Rxg5. Andreï m’a dit après la partie qu’il pensait que mettre une Tour en d3 donnait de meilleures chances ; de mon côté, j’avais estimé que c’était l’échange de mon pion d6 contre ses deux pions g qui offrait les meilleures perspectives en pratique. Après 48.Txd6 Rxg4, il a commencé à trouver tous les bons coups, à commencer par 49.Rg2!. Tout autre coup perdait, par exemple 49.Txc6? Ta1+ 50.Rg2 Tg3+ 51.Rh2 Th3+ 52.Rg2 Tah1! avec un joli réseau de mat ; ou encore 49.Txf3? Rxf3 50.Tf6+ Rxe4 51.Txf7 Tf3+! et la finale de pions est gagnante. Après 49…Tg3+ 50.Rh2 Th3+ 51.Rg2 Tag3+ 52.Rf1 Th1+ 53.Re2 Ta3, il a encore dû trouver 54.Td3! (54.Txc6? Ta2+ 55.Re3 Th3+ est trivial, mais la réfutation du naturel 54.Td2? l’est moins : 54…Rg3! et les blancs sont en zugzwang. Si la Tf2 bouge, c’est 55…Th2+ ; si la Td2 bouge sur sa colonne, c’est la même à l’envers [55…Ta2+] ; et si 55.Tb2 Th4! ramasse le pion e avec intérêts, idem sur 55.e5 Th5) 54…Taa1, et seulement maintenant 55.Td2!, qui est à nouveau un seul coup (55.Tg2+? Rf4 56.Tf2+ Re5! et le recentrage du Roi est décisif, évitant au passage 56…Rxe4?? 57.Te3+ Rd4 58.Tf4 mat !). J’ai encore continué 55…The1+ 56.Rd3 Ta3+ 57.Rc2 Ta7 58.Rd3 Tg1, mais après 59.e5 et quelques derniers coups précis, Andreï a empoché son demi-point mérité !

MVL-Sokolov
A l’analyse avec le finaliste des Candidats 1987… (Photo : Ffe).

Quelques jours plus tard, je suis revenu à Chartres pour disputer la poule haute, avec uniquement des matchs décisifs au programme, notamment celui contre le multiple tenant du titre Bischwiller. Je dois avouer que mes parties en elles-mêmes dans cette poule haute n’ont pas été passionnantes. J’ai eu trois fois les noirs et une fois les blancs.

Avec les noirs, je me suis fait neutraliser dans les trois parties de manière très nette. Et avec les blancs contre Vidit, je n’ai rien pu faire de mon tout petit avantage.

Mais le plus important, c’est qu’au terme de deux matchs très animés en fin de poule haute, contre Chartres et Bischwiller, nous avons enfin raflé le titre de champion ! Un grand bravo à toute l’équipe, au capitaine, et au soutien toujours actif de la ville d’Asnières !

Cerise sur le cadeau, en dépit de mon absence pour cause de Global Chess League à Dubaï (cf. ci-dessous), Asnières a réalisé le doublé en remportant la Coupe de France début juillet 😊.

L'équipe d'Asnières
Asnières champion de France 2023 (Photo : Ffe).

Global Chess League à Dubaï

Global Chess League (GCL). Voilà un événement nouveau et complètement différent de ce à quoi on est habitués. Sous la férule du géant indien Tech Mahindra et de la FIDE, cette nouvelle Ligue voit s’affronter en parties rapides des équipes représentant des franchises. Pour cette première édition, 6 équipes avaient été formées, avec les joueurs draftés, un peu comme en NBA. Les autres particularités étaient les suivantes ; chaque équipe de 6 est composée d’un joueur Icône, de 2 super-GMI, de 2 féminines et d’un junior. Dans chaque match, une équipe a la même couleur sur tous les échiquiers. Pour le décompte des points, la victoire est valorisée à 3 points (comme au football par exemple), et la victoire avec les noirs octroie même un point bonus. Enfin, c’est un système de championnat aller-retour, les deux premiers disputant une grande finale le dernier jour.

Avec la participation de plusieurs joueurs du Top 10 (Carlsen, Nepo, Anand, Rapport), cette première édition avait quand même fière allure. Pour ma part, j’étais le joueur Icône de l’équipe Mumba Masters, du nom de la société indienne U Sports de Mumbaï

Ce qui m’a vraiment plu, c’est de pouvoir construire une bonne ambiance d’équipe, ce qui a été le cas. Bien sûr je connaissais Sacha (Grischuk), mais j’étais moins familier de nos amis indiens Vidit, et des féminines Dronavili et Koneru. Le junior ouzbek Sindarov complétait le tableau. Autour du capitaine le GMI Narayanan, qui a bien joué son rôle, nous sommes parvenus à créer d’excellentes relations. A noter qu’il y avait également un certain nombre de membres du staff de U Sports qui étaient là pour nous faciliter la vie et pour amplifier la cohésion.

L'équipe Mumba Masters
Présentation de l’équipe Mumba Masters (Photo : GCL).

Au niveau des matchs, c’était assez bizarre parce qu’on jouait en moyenne une partie par jour, ce qui cassait un peu le rythme. Dès lors, nous disposions de pas mal de temps libre pour les préparations, même si, pour la première moitié du tournoi, nous n’avions connaissance des couleurs que 30 minutes avant la partie. Dans l’ensemble, cette nouvelle compétition s’est avérée plutôt sympa, quoique assez épuisante nerveusement les deux derniers jours, où nous avons obtenu notre qualification pour la finale à l’arraché, avant de disputer un tie-break homérique en finale !

Avant ce sprint final, j’avais joué pas mal de parties intéressantes, même si la plupart d’entre elles s’étaient soldées par la nulle ; pas mal de neutralisation mutuelle, que ce soit avec les blancs comme avec les noirs.

Voici un petit aperçu de mes deux seules parties décisives :

ANAND – MVL 1-0

Contre Vishy, j’ai employé la Petroff et je suis resté assez longtemps dans ma préparation. Je savais qu’il y avait des positions dans cette ligne où il ne fallait pas avoir peur « d’envoyer du bois ». Je me suis senti pousser des ailes. Je savais que c’était un peu optimiste mais que ça pouvait aussi très bien se passer, ce qui a failli être le cas…

Ici, Vishy a vu au dernier moment que sur 24.Ch5?, il y a 24…g4! qui fait très mal, à cause entre autre du rayon X entre la Tc5 et le Ch5. Du coup, il a joué 24.Fxd4 et c’est là que j’aurais dû prendre le Cavalier bien sagement et obtenir une position pas claire après 24…fxg3 25.Fxc5 bxc5 26.Dxc5 gxh2+ 27.Rxh2 Tf7 ; c’est très chaud car j’ai les 2 Fous. Certes, le Fh4 est enfermé mais je peux toujours jouer …g4 si besoin et de son côté, il ne peut pas rentrer sur la colonne e.

Au lieu de ça, je me suis emballé et j’ai commencé à calculer comme un fou furieux 24…a5? 25.Db3+ Fd5 26.c4 Fxc4 (j’avais aussi envisagé26…Fxf3 27.Fxc5 Fxe2, mais après 28.Fxf8 [28.Dxb6 doit marcher également], je n’ai pas l’ombre d’une compensation 😊) 27.Dc3 Td5, mais j’ai oublié 28.Ff6!, qui n’était d’ailleurs pas le seul bon coup et après, ça tourne vraiment très mal. 28…fxg3 29.Te7 Dd6 30.Tg7+ Rh8 31.Tf7+ Rg8 et preuve supplémentaire de mon aveuglement à ce moment-là, j’ai cru que Vishy allait prendre la nulle, mais il a effectivement répété une fois, avant de délivrer le létal 32.Fe7! qui met un terme au débat !

C’était une partie compliquée où je sentais que je pouvais passer d’où la prise de risque maximale. Bon, ça n’a pas marché, mais l’équipe a gagné ce match !

MVL – CARLSEN 1-0

Carlsen--MVL
En route vers la victoire ! (Photo : GCL).

Le match suivant contre Magnus, j’ai fait face à une Berlinoise dans laquelle j’ai réussi à avoir une bonne pression à l’entrée de la finale. J’étais content mais Magnus m’a plus ou moins neutralisé dans la phase suivante, au prix cependant d’une grosse dépense de temps.

Il ne lui restait plus qu’à trouver 34…c5! 35.bxc5 Tc6 (ou même 35…Te6), et dans les deux cas, c’est nulle. En revanche, après son erreur 34…Td6? 35.Te3 Td2? (mieux valait encore reconnaître son erreur et défendre par 35…Tc6 36.Rxh4 Tc4) 36.Txc3 Txf2 37.Rxh4, il y a trop de faiblesses (en fait, tous ses pions !) et c’est devenu indéfendable en pratique, surtout avec si peu de temps à la pendule.

A la fin de la phase retour, Nous avons été chercher notre place en finale en écrasant l’équipe de Magnus lors de la dernière ronde (4 victoires noires et 2 nulles !).

CARLSEN – MVL ½

Ici, j’ai commis ce que Magnus appellera par la suite une « lucky blunder ». Ma première idée était le naturel 33…Td7 mais j’ai vu ensuite que 33…Td6 semblait possible, avec la possibilité supplémentaire de transférer la Tour en f6. Mais en jouant 33…Td6?, j’ai compris qu’il y avait 34.Ce2, avec surcharge de la Dame noire. Heureusement, j’ai réussi à garder la « poker face » le temps qu’il joue son coup ! Après son gain de qualité 34…De4 35.Dxd6 Dxe2, Magnus avait cependant un coup très dur à trouver pour maintenir l’avantage. 36.Tf1! m’aurait mis en difficulté car après 36…Fd3 (36…Dxb2 37.Dc5! est surpuissant) 37.Ta1 Dxb2 38.Te1 Dd4 39.De7 c3 (39…Dxd5 40.Te5!) 40.d6 avec la même position que dans la partie, sauf que le Fou a été attiré en d3 et ne contrôle donc plus la case d7 ! Les blancs sont gagnants. Une astuce très difficile à envisager en partie rapide, et Magnus a continué plus naturellement par l’immédiat 36.Ta1? Dxb2 37.Te1 Dd4 38.De7 c3 40.d6, mais avec le Fou en f5, j’ai eu le temps de jouer 40…Rg6! et de forcer la nulle après 40.Df8 c2 41.Dg8+ Dg7 42.De8 Dc3 43.Dg8+ Rh6 44.Df8+ Rg6.

MVL-Aronian
Avant la finale… (Photo : GCL).

Le véritable clou de cette Global Chess League aura été sans conteste la finale entre mon équipe Mumba Masters et les Triveni Continental emmenés par Aronian. Ayant gagné un match chacun tant en rapide qu’en blitz, nous avons dû nous départager en mort subite, une autre nouveauté de la Ligue, qui ressemble un peu aux tirs au but du football. On tire au sort un des 6 échiquiers, et le vainqueur du blitz rafle la mise. En cas de nulle, on en tire au sort un autre etc… Il aura fallu 4 blitz de mort subite pour nous départager ! Et c’est sur l’échiquier junior que tout s’est finalement décidé. Notre coéquipier Sindarov avait déjà battu quatre fois le Norvégien Bjerre dans le tournoi (!), et il était encore en train de pousser avec un pion de plus en finale quand il a complètement oublié un mat en 1 coup, clôturant de manière particulièrement cruelle cette belle et nouvelle compétition !

Bjerre
Le moment historique où Bjerre délivre le mat et offre la victoire finale à son équipe (Photo : GCL).

Ce scénario inédit a certainement été très excitant pour les spectateurs, mais c’était aussi très stressant à jouer, et encore pire à regarder dans la séance de mort subite ! Au début de celle-ci, je préférais ne pas être tiré au sort, mais après la deuxième partie (nulle entre Grischuk et Yu Yangyi), j’ai senti qu’il valait peut-être mieux que je monte sur scène pour en découdre avec Aronian, mais le sort ne m’en a pas donné l’occasion.

Evidemment il y a des regrets, mais au bout d’un moment ça va trop vite, il y a de trop de tension, et ça se joue vraiment à rien…

Bon été échiquéen à tous !

Pour ma part, la prochaine échéance sera la Coupe du Monde à Bakou, où je débuterai en 64e de finale le 2 août, contre le vainqueur du match de tour préliminaire entre l’Autrichien Dragnev (2576) et l’Israélien Kobo (2548).

Les parties de Maxime :

Les parties de Maxime au Championnat de France par équipes :

Les parties de Maxime à Berlin :

Les parties de Maxime à Dubaï :

Entre les deux compétitions par équipes traitées dans cet article, Maxime a passé une semaine à Berlin pour y disputer l’étape européenne du circuit Armageddon. 8 joueurs, un format blitz à élimination directe, avec la formule en vogue d’un tableau principal et d’un tableau des perdants, garantissant que personne ne soit éliminé sans avoir perdu 2 matches.

Particularité de cet Armageddon, toutes les parties se disputent en studio à Berlin et sont filmées pour un format télé.

Maxime a terminé 3e du tournoi, derrière Rapport et Duda, qui raflent les deux places qualificatives pour la grande finale de septembre.

https://worldchess.com/news/all/richard-rapport-and-jan-krzysztof-duda-are-the-winners-of-the-ar/
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