Maxime passé au crible

Mvl, ce sont les autres qui en parlent le mieux…

Profitant de l’actualité un peu creuse de ce début d’année, nous avons demandé à cinq de ses compatriotes, personnalités des échecs français, de nous livrer un éclairage un peu personnel sur Maxime.

Voici donc 5 thèmes, présentés par :

Eric BIRMINGHAM (MF, premier entraîneur de Maxime)

Eric Birmingham

Eloi RELANGE (GMI, Président de la Fédération Française des Echecs)

Eloi Relange

Pauline GUICHARD (GMIF, coéquipière de Maxime en club et en équipe de France – médecin gynécologue)

Pauline Guichard

Marc LLARI (CM, champion du monde U8 en 2022)

Marc Llari

Manuel AESCHLIMANN (Maire d’Asnières, ville du club de Maxime)

Manuel Aeschlimann

Ton tout premier souvenir personnel de Maxime :

Eric BIRMINGHAM

Un petit bout de chou suit pour la première fois mon cours collectif pour les jeunes à Créteil. Il lève le doigt, il propose un coup et une variante. Il a trouvé ! « Damn », me dis-je, il voit à peine au-dessus de sa table ! Le gamin n’a que cinq ans. Je lui demande son prénom ; « je m’appelle Maxime »…

Eloi RELANGE

Quand Maxime était très jeune, je ne jouais pas les mêmes compétitions que lui, donc je n’ai pas eu l’occasion de le rencontrer à ce moment-là. Mais bien sûr, j’avais entendu parler de ce petit gamin à la réputation grandissante, que la légende urbaine présentait comme un potentiel champion du monde. Quand on ne le voit pas de ses yeux, ce genre de prédiction fait toujours un peu sourire, mais elle s’est finalement avérée tout à fait juste !

Quant à la première fois où j’ai vu Maxime, c’était bien plus tard…

Pauline GUICHARD

La première fois qu’on a fait le même championnat de France Jeunes, c’était je pense en 1999. Mais mon premier véritable souvenir de lui, c’était en 2002 au championnat de France Jeunes à Hyères. Il avait 11 ans et jouait en minimes (U16) ; il était largement surclassé et il a quand même gagné cette année-là.

Maxime en 2002

Je me souviens surtout qu’il était tout petit, c’était assez marrant par rapport aux garçons de 16 ans… Et c’est là où je me suis dit : « c’est impressionnant, il est vraiment, vraiment bon ! ».

Marc LLARI

Au championnat de France Jeunes en avril 2023, alors que je me dirigeais vers l’estrade pour jouer, Maxime était en pleine séance photo dédicace juste devant l’escalier, alors on a fait une photo ensemble avant la ronde.

Manuel AESCHLIMANN

Quand nous avons demandé à Maxime de jouer pour le club d’échecs d’Asnières. Pour un si jeune club, cela paraissait un peu prétentieux de solliciter un joueur de ce niveau. Au contraire, Maxime m’a répondu avec gentillesse et humilité. J’ai compris que ça allait bien se passer.

Une anecdote personnelle avec Maxime :

Eric BIRMINGHAM

A l’occasion d’une remise de trophées à Cannes, dans le sud de la France, Maxime et moi nous baladons dans la ville ; Maxime a sept ou huit ans.


Nous nous retrouvons dans une rue commerçante plutôt chic. Je m’arrête devant une vitrine où des montres de luxe sont exposées. Le petit garçon et moi regardons les prix, et nous éclatons de rire. Malgré son très jeune âge, Maxime a les pieds bien sur terre ; il a parfaitement conscience de la valeur des choses de la vie courante. Pendant une bonne heure, nous avons regardé des bijoux, des montres, des robes etc… qui coûtaient plus cher que la voiture de son père ! (et Patrick, son papa, avait une bonne bagnole !). Pendant cette heure, malgré notre immense différence d’âge, nous étions en symbiose face à ces bizarreries de la société de consommation, et nous avons beaucoup ri.

Maxime en 2000

Eloi RELANGE

J’ai eu l’occasion de jouer plusieurs fois en blitz contre Maxime ces dernières années, et à chaque fois, j’étais archi gagnant dans la première partie ; mais je les ai évidemment toutes perdues ! J’ai le souvenir qu’il était vraiment en difficulté dans l’ouverture, contre la Philidor notamment. Mais systématiquement, il a remonté ces positions franchement désespérées. Bon ok, c’était dans un bar une fois, une autre fois chez un élu de la FFE, et une troisième fois encore ailleurs. Et puis je dois avouer que, comme toujours quand il y a un gros écart de niveau, tu donnes tout sur la première partie, lui n’est pas chaud, donc tu résistes plutôt pas mal, mais les parties suivantes, ce n’est plus du tout la même histoire !

Quant à la seule fois où j’ai joué contre Maxime en partie classique, j’avais les blancs et je m’étais préparé contre la Grünfeld, puisqu’à l’époque, il ne jouait que ça (Championnat de France par équipes 2012). Donc j’avais cherché des variantes particulièrement solides et au final, il m’avait joué une Ouest-Indienne ! J’étais très content, je me disais qu’il ne connaîtrait pas si bien ce genre de position et en plus, j’avais de bons résultats dans cette variante. Mais en fait, il a gratté petit à petit l’avantage et je n’ai rien pu faire. Bilan, l’ouverture blanche solide et anodine m’a donné une position complètement désespérée au 36e coup, dans laquelle j’ai perdu au temps.

La partie :

Pauline GUICHARD

En fait, les rares fois où j’ai joué contre Maxime, c’était lors de soirées ! Mais je me souviens de l’avoir battu dans la première, ou une des toutes premières parties, même si je dois avouer qu’il jouait toujours avec 30 secondes et moi 3 minutes ! Mais je préfère garder le simple souvenir d’avoir déjà battu Maxime une fois…

Marc LLARI

Durant le championnat du monde rapide par équipes à Düsseldorf (août 2023), le dernier jour, nous sommes allés au restaurant avec toute l’équipe.


J’étais en face de Maxime et il m’a proposé une énigme avec un lapin caché dans une boîte contenant 6 cages. Je devais proposer la cage où se cachait le lapin et le trouver en un minimum de coups. Ca m’a fait réfléchir pendant tout le repas !

Manuel AESCHLIMANN

A chaque fois que Maxime participe à un événement sur Asnières et qu’il y a de la presse, les médias me demandent toujours de jouer quelques coups contre lui sur un échiquier, histoire de filmer l’échange. C’est frustrant de s’arrêter une fois la prise faite, au bout d’une dizaine de coups. Cela doit faire la sixième ou septième partie inachevée que nous jouons ainsi. Cela dit, j’ai une petite idée de la façon dont ça se terminerait si nous allions au bout…

Une partie ou un moment de sa carrière qui t’a marqué :

Eric BIRMINGHAM

En 2009, Maxime a joué une Najdorf à Bienne face à Alexander Morozevitch. Cette partie est folle. Je n’ai rien compris à l’époque (ça ne m’a pas empêché de la montrer en cours à mes élèves… Mon Dieu, je suis un escroc !). J’ai revu la partie avant d’écrire ces lignes. Je ne comprends toujours rien. (ce jeu est vraiment trop difficile). Je n’ai jamais demandé à Maxime : « S’il y avait eu un contrôle anti-dopage après cette partie, aurait-il été positif ? ».

La partie :

Eloi RELANGE

J’ai deux moments marquants qui me viennent à l’esprit. Le premier, c’est quand il a battu Naiditsch dans un match de Championnat de France par équipes Evry-Clichy, en 2009. Je ne jouais pas ce match et j’ai pu assister à cette Najdorf fantastique remportée contre un Naiditsch au top de sa forme à cette époque, et très dur à jouer avec les blancs (2700, #31 mondial en 2009). Et Maxime le bat avec les noirs comme si c’était un touriste !

La partie :

Comme sans doute beaucoup, j’ai aussi en mémoire la finale du championnat du monde de Blitz 2021 contre Duda, que j’ai regardée en famille à la maison !

La partie :


Avec mes trois enfants qui sautaient en criant « Maxime, Maxime ! » ; donc, mis à part la performance exceptionnelle de ce premier titre de champion du monde pour un français, ça a été aussi pour moi un moment familial extrêmement sympa !

Pauline GUICHARD

Sans hésiter pour moi, c’est son titre de champion du monde de Blitz en 2021 à Varsovie. Je n’étais pas présente en Pologne cette année-là parce que j’avais trop de travail au cabinet à l’époque. Mais je me souviens très bien que je n’avais pas pu suivre la fin du tournoi car j’étais au cinéma avec des amis à ce moment-là ; il restait 5 ou 6 rondes et j’avais dû couper mon téléphone. En le rallumant à la fin du film, j’ai vu qu’il venait juste de battre Carlsen, et qu’il était en train de commencer les blitz de départage contre Duda !

La partie :

Je les ai donc suivis avec mes amis qui n’étaient pas du tout joueurs d’échecs, et qui ne comprenaient pas trop mon excitation du moment ! Je ne me souviens plus du tout du film que j’ai vu, mais je me rappelle avoir ressenti une grosse émotion quand Maxime a gagné ; j’étais vraiment super contente pour lui…

Marc LLARI

Sa victoire en Blitz contre Magnus Carlsen au Championnat du monde de Blitz 2023, quand Maxime a envoyé 5 pions contre 2 sur l’aile-Dame en finale !

La partie :

Manuel AESCHLIMANN

Je ne suis pas très original, mais je dirai que c’est son titre de champion du monde de Blitz. Au-delà des analyses échiquéennes relatant son remarquable parcours, c’est surtout la reconnaissance et les retombées médiatiques auprès du grand public qui m’ont marqué. Le jeu d’échecs est soudain redevenu populaire dans notre pays. Une consécration bien méritée. 

Imagine ce que fera Maxime après sa carrière :

Eric BIRMINGHAM

MVL est un immense champion, il est peut-être le plus fabuleux calculateur sur notre planète. Mais Maxime est aussi un chic type, très sociable, il a bon cœur. Je l’imagine patron d’un grand restaurant (il aime la bonne bouffe), il irait de table en table avec un mot gentil pour chacun. De temps à autre, un client lui parlerait de Carlsen ou de Nakamura. Et notre Tartarin des 64 cases raconterait une histoire ou deux. Mais, à la différence du héros de Daudet, tout ce que dirait le vieux champion serait vrai !

Eloi RELANGE

Déjà, j’imagine qu’il ne fera pas ce que fait Kramnik, à savoir se focaliser sur la triche aux échecs avec des statistiques discutables !

Je ne le vois pas non plus président de la fédération, car ça ne me paraît pas être très prometteur pour lui ; même si je pense qu’il ferait un très bon président parce qu’il a quand même une bonne lecture des choses, ainsi qu’une incarnation très forte. Et j’ai du mal à l’imaginer en dehors des échecs… Peut-être dans le conseil en stratégie pour des cabinets, mais je ne suis pas convaincu qu’il s’y plairait.

Pauline GUICHARD

Maxime est un grand fan de jeux et de sports, donc je le verrais bien commentateur sportif, plutôt spécialisé en basket NBA. Ou alors, dans le domaine du foot, speaker de l’Olympique Lyonnais au Groupama Stadium 😊.

Groupama Stadium – Lyon

Marc LLARI

Chasseur de sangliers – Tailleur de pierres – Eleveur de coccinelles ?

Ou alors programmeur en Intelligence Artificielle pour les moteurs d’analyse d’échecs !

Manuel AESCHLIMANN

D’abord, j’imagine et j’espère que l’« après-carrière » n’est pas près d’être à l’ordre du jour. Maxime a encore plein de victoires à décrocher, et de beaux challenges l’attendent pour de longues années.

Toutefois, un jour, je le vois bien influenceur web sur les nouvelles technologies, avec son flegme et son humour à froid. Il ferait merveille. 

Bonus :

Dévoile une facette méconnue de la personnalité de Maxime ou trouve une blague qui pourrait le faire rire

Eric BIRMINGHAM

Les gens ont oublié : adolescent, Maxime était terriblement timide. Il a réussi à gommer ce défaut relativement vite. Sous une apparence quelque peu débonnaire, le gentil garçon possède une volonté d’acier.

Eloi RELANGE

Une facette intéressante de la personnalité de Maxime, c’est le fait qu’il soit extrêmement souriant, sympa, accessible mais qu’en réalité, dans les discussions, il marque toujours un temps d’arrêt pour livrer une réponse en profondeur. En fait, il va vraiment chercher plus loin que la petite réplique évidente, et c’est ce qui tranche avec son côté super chaleureux que voient et ressentent tous ceux qui l’approchent. Je trouve ce paradoxe assez marrant.

Pauline GUICHARD

Je ne sais pas si c’est un aspect méconnu de sa personnalité et peut-être les gens s’en doutent-ils ?

Les échecs sont plutôt perçus comme un sport individuel, mais en réalité, il y a beaucoup de compétitions par équipes. Et ce que je trouve impressionnant chez Maxime, c’est son esprit d’équipe. Parmi les Top joueurs que je connais, et notamment les Français, c’est le seul qui ait autant cet état d’esprit. Il est toujours à fond, que ce soit en équipe de France ou avec Asnières. C’est vraiment un leader et un moteur. Et ce que je trouve bien, c’est que souvent il a une grosse pression parce qu’on attend des résultats de sa part et que, pour autant que je me souvienne, il répond quasiment toujours présent !

Marc LLARI

Je n’ai pas de blague mais j’ai une devinette pour me venger de l’énigme qu’il m’a posée à Düsseldorf !

Pourquoi les lapins ne jouent-ils qu’avec 39 cartes, et non 52 ?
Parce qu’ils mangent les trèfles !


L’énigme posée par Maxime : un lapin se déplace le long d’un couloir de 6 pièces, qui ont chacune leur porte. A chaque tour, vous avez le droit d’ouvrir une porte pour découvrir le lapin. Si vous ne l’avez pas découvert, et une fois la porte refermée, le lapin se déplace d’une pièce, vers la droite ou vers la gauche (bien entendu, s’il est est au bout du couloir, il ne peut plus se déplacer que dans une seule direction au prochain tour). En combien de tours au minimum pouvez-vous découvrir de façon certaine le lapin ?

Manuel AESCHLIMANN

Blague nulle :

J’ai offert un frigo en cadeau à ma fille pour son anniversaire. J’ai hâte de voir son visage s’illuminer quand elle l’ouvrira.

MVL homme de parole(s)

Mvl chez Blitzstream

En ce début d’année 2024, Maxime a eu l’occasion de revenir longuement sur certains sujets d’actualité du monde des échecs.

En français sur la chaîne Blitzstream, et en anglais dans le podcast de Fabiano Caruana. Le format du cycle de championnat du monde, le Champions Chess Tour, l’avenir des parties classiques, la proposition de nulle, la gestion des nerfs et de la pendule à haut niveau, ainsi que de nombreux autres sujets et anecdotes sont au programme de ces deux (longues) émissions.

En français :

En anglais :

40 jours en Amérique du Nordl

North america

Je suis arrivé en avance aux Etats-Unis, où j’ai passé quelques jours à donner des simultanées dans la région de New-York, avant de rejoindre Saint Louis, où j’ai eu le temps de prendre mes marques avant le traditionnel Rapide et Blitz et la Sinquefield Cup qui lui succède. Le plateau était assez familier, à ceci près que dans le rapide et blitz il y avait quelques joueurs américains qui n’ont pas tellement l’occasion de disputer ce type de tournoi, notamment Sam Sevian, Ray Robson et Le Quang Liem (qui est vietnamien, mais qui habite aux États Unis). C’était sympa, le plateau était un peu plus varié que d’habitude, il ressemblait plutôt à celui du championnat US.

Dans le tournoi rapide, j’ai terminé invaincu (8 nulles et une victoire), ce qui est peut-être une première pour moi sur un rapide en 9 rondes ! Malgré tout, il y a eu quelques occasions ratées, et des parties un peu chaudes qui auraient pu tourner d’un côté ou de l’autre.

En blitz, j’ai réalisé une très bonne première journée et une très mauvaise seconde, pour finalement terminer 2e derrière Caruana. Cette 2e place ne me satisfaisait pas sur le moment, mais c’était malgré tout une bonne opération comptable dans l’optique de la qualification pour le Grand Chess Tour de l’année prochaine (les trois premiers sont automatiquement qualifiés). Opération validée ensuite lors de la Sinquefield Cup avec 8 nulles (suite au forfait de Duda après la 1re ronde). Un tournoi un peu sans relief, je l’avoue, mais il était important d’assurer la qualification avant toute chose, et chaque nulle m’en rapprochait un peu plus.

Grâce à un bon concours de circonstances et des résultats favorables, j’ai même pris la deuxième place au classement final du Grand Chess Tour.

Après quelques jours de repos en Floride, direction Toronto pour la finale du Champions Chess Tour, avec un plateau de huit joueurs très impressionnant et très relevé. Le format était de 2 parties rapides avec un éventuel Armageddon, qui ne laissait guère de place à l’erreur. Pour schématiser, ma prestation d’ensemble a été assez horrible, renforcée par le fait que sur les Armageddon, j’ai cumulé un total famélique de 1/6, pour une 6e place finale (sur 8).

Voici quelques séquences intéressantes dans mes parties sur le continent américain :

Rapide et blitz St-Louis

Mvl – So (Blitz, ronde 7) : 1-0

Une anti-Marshall que j’avais jouée au Grand Swiss contre Durarbayli, avec l’idée 16.h4 qui était un peu nouvelle. Ce n’est pas forcément le meilleur coup, mais c’est du blitz et ça pose des questions aux noirs.

L’important pour moi était de conserver l’initiative, ce que j’ai réussi à faire à l’aile-Roi.

L’ordinateur n’est pas convaincu, car les noirs ont un pion de plus, la paire de Fous et le pion c4 passé, mais en pratique ce n’est vraiment pas facile.

Certes, les noirs ont objectivement l’ascendant, avec de meilleures possibilités, mais j’étais en confiance car ça reste très complexe et que je jouais bien ce jour-là. Donc, j’étais prêt à prendre plus de risques et ça s’est vu dans le jeu.

Ici, 28…Td8? laisse aux blancs la possibilité de jouer 29.Cf5 Ff8 30.Dc1. Après 30…Fc8 31.Dg5 f6, j’ai senti qu’il y avait quelque chose mais je n’ai vu que le perpétuel pendant un moment, puis au bout de 30 secondes, j’ai eu l’éclair ! 32.Ch6+ Rh8 33.Ce5! Td7 (la meilleure défense) 34.Cef7+ Txf7 35.Cxf7+ Rg8 36.Ch6+ (j’ai hésité un moment avec 36.Dh4 Rxf7 37.e5 qui était tentant également) 36…Rh8 37.Df4! gxh6 38.Dxf6+.

Ici, Wesley a joué le normal 38…Fg7? 39.Dd8+ Df8 40.Dxc7 Fg4 et j’aurais pu conclure par 41.f3! Fd4+ 42.Rh1 sans craindre 42…Fxf3+ 43.gxf3 Dxf3+ 44.Tg2 et la Dame noire n’aura qu’un ou deux échecs de consolation. Mais j’ai joué 41.Te3? qui autorisait 41…Fd4! 42.e5 Cd7 43.e6 Fxe3 44.fxe3 Cf6 que j’avais évalué comme gagnant dans ma tête, mais qui en réalité dilapide l’avantage, comme l’indique le 0.00 de la machine ! Heureusement dans la partie, j’ai pu avancer mon pion e après 41…Cd7? 42.e5 Df4 43.Dd8+ Cf8 44.e6 Fh5 45.e7 1-0, et enregistrer une victoire de haut vol pour un blitz !

Mais l’histoire n’est pas terminée car il y avait une nulle sortie de nulle part pour les noirs après dans la position du diagramme : après 38…Rg8 39.Te3 Fg4! et je n’aurais pas pu utiliser la colonne g car il y a toujours …h5.

Dans la 2e journée de blitz, je n’ai remporté qu’une seule victoire, contre Alireza, et j’ai même tremblé malgré une pièce de plus et 2 minutes contre 10 secondes à la pendule ! Avant la dernière ronde, un peu par miracle j’avoue, je me trouvais juste un demi-point derrière Fabiano ; les calculs étaient donc faciles 😊.

En mode décontracté avec les copains ! (Image : GCT).
En mode décontracté avec les copains ! (Image : GCT).

Caruana – Mvl (Blitz, ronde 18) : ½

Il fallait que je gagne avec les noirs pour remporter le tournoi (et une nulle suffisait évidemment à Fabiano) ; mais je devais aussi faire attention à ne pas perdre, pour ne pas risquer ma place sur le podium du Grand Chess Tour ! Donc, rester à tout moment en capacité de faire nulle. Dans un Gambit Dame accepté obtenu après un drôle d’ordre de coups, il n’a pas échangé les Dames, ce qu’il aurait pu faire assez tôt et lui aurait peut-être évité quelques soucis. J’ai réussi à implanter mes pièces, mais je n’avais pas de façon évidente de progresser. Malgré tout, j’ai bien poussé et réussi à gagner un pion. Mais dans cette finale, jouant quasiment sur l’incrément, nous avons tous les deux commis des erreurs, mais c’est moi qui ai fait la dernière !

Ici, 56.Ta7+ Rg6 57.Te7 conservait le pion et devait permettre d’annuler, mais Fabiano a paniqué et a joué 56.e5? fxe5 57.Fd2. Ici, je voulais jouer 57…Th3, mais pour une raison qui m’échappe j’ai décidé d’aller en e2 et au moment où j’ai lâché la pièce, je me suis rendu compte que ma Tour était enfermée après 57…Te2? 58.Rd3.

Du coup, Fabiano a annulé cette partie et remporté le tournoi.

Sinquefield Cup

Giri – Mvl (ronde 4) : ½

Anish réussit à me surprendre sur une variante spécifique (7.Te1) du Gambit Dame accepté. Comme il me l’a dit après la partie, il a passé énormément de temps sur cette position sans espérer qu’elle arrive sur l’échiquier, mais en se disant que dans l’éventualité où elle surviendrait, il puisse mettre le maximum de pression.

Il espérait que je ne trouve pas 18…Tc7, qui était un coup vraiment important pour reprendre le contrôle de la colonne c, sans quoi à terme son cavalier arrivait en c5. Avec la Tour blanche en c1, ma Ta7 n’aurait pas trop eu d’avenir, par exemple 18…Td8?! 19.Fe4 Rf7 20.Tac1 suivi de 21.Cb3 et ça devient très compliqué à défendre.

Anish était toujours dans sa préparation après 19.h3 Ch6 20.Fxe6 Fxe6 21.Cd4 Tc6 22.Cxc6+ Cxc6 23.Tac1 Tc8. La difficulté dans ces préparations monstres, on le sait, c’est de se souvenir de tout. Ici il savait qu’il y avait f4. Il a regardé superficiellement le coup 24.f4? sur l’échiquier, il n’a pas vu de problème et il l’a joué ; certes, ça semble empêcher 24…Cf5 à cause de 25.g4 et 26.f5. Il s’est dit que je devrais alors bouger mon Roi, mais en f7 il y a 25.Ce4 qui vise d6, et si je dois jouer 24…f5, alors car mon Ch6 se retrouve hors-jeu. Sauf que j’avais prévu que 24…Cf5! est en fait possible car si 25.g4 Cfd4 26.f5, j’ai la contre-pointe 26…Ce5! et sur 27.fxe6? Txc1!.

Ce dont il ne s’est pas souvenu, c’est qu’il fallait faire précéder f4 de 24.Tc5! Cf7 et seulement maintenant 25.f4, avec un bel avantage blanc.

Par la suite, j’ai vu toutes les possibilités qu’il avait de faire nulle et il n’en a choisi aucune. Je crois qu’il continuait à penser qu’il était mieux, et voulait accroître la pression. Assez surpris, je joue ce qui me semble être les coups logiques, et je commence à me dire que j’ai pas mal d’initiative !

J’ai vu qu’il pouvait encore forcer la nulle (par exemple par 30.Cf3 qui doit suffire), mais il ne l’a pas fait pas et a choisi 30.Ce4. Je commençais à me dire que j’allais peut-être avoir de vraies chances de gain 😊.

Après 30…C8c6 31.Txa6?, j’ai vu que 31…Fd5 était un coup, mais je me suis dit que j’avais le temps et j’ai préféré 31…Txb2?. Après 31…Fd5!, je savais que j’étais mieux mais je ne pensais pas du tout être gagnant. Pour moi, Anish cherchait encore le gain puisqu’il aurait déjà pu forcer la nulle à trois ou quatre reprises. En fait, comme il était passé à côté de beaucoup de mes coups depuis 24…Cf5, il était terrorisé de voir toutes mes pièces débouler et mon attaque devenir hyper forte. De mon côté, je voyais bien que j’avais une attaque, mais qu’il ne me restait que deux pions sur l’échiquier 😊. Certes de mes pièces se coordonnent bien, certes, mais je me disais qu’au pire, il pourrait donner une pièce et faire nulle ; donc autant prendre d’abord le pion b2… Mais en fait, je n’ai compris qu’après la partie à quel point le coup 31…Fd5! était crucial, et permettait à l’attaque de percer en force ; je menace 32…Ce2+, mais aussi …f5 ou …Rf5 selon les cas.

Après 31…Txb2?, Anish a beaucoup réfléchi et a trouvé la séquence 32.f5+! Fxf5 33.Cd6, et au lieu de continuer à mettre la pression par 33…Fd3 ou 33…Fd7, j’ai joué 33…Fxh3+?! un peu vite. Mon idée était qu’après 34.gxh3 Cf3+ 35.Rf1 Ch2+ 36.Rg1, je jouais 36…Cd4. Malheureusement, je me suis rendu compte trop tard qu’après 37.Te3 Cdf3+ 38.Rh1, il n’y avait plus rien ! Du coup, j’ai répété la position et accepté la nulle.

Une partie en queue de poisson, ce qui est encore plus évident après l’avoir analysée en détail…

Classement final du Grand Chess Tour 2023 (image : GCT).
Classement final du Grand Chess Tour 2023 (image : GCT).

Toronto, Finale du Champions Chess Tour 2023

Mvl – So (Armageddon, ronde 3) : ½

Entre les parties, on n’avait pas de temps, et de toute façon pas d’accès aux ordinateurs, donc la préparation était très limitée 😊. Dans ce départage, j’ai décidé de jouer 1.c4 au feeling. Je pense avoir plutôt bien négocié l’ouverture et avoir obtenu une position jouable. De plus, Wesley n’avait pas beaucoup de temps à la pendule (il avait enchéri moins de 9’ contre 15), donc je pensais avoir de bonnes chances. Puis j’ai oublié une séquence de deux coups pour les noirs après quoi je me suis immédiatement retrouvé en difficulté. Malgré tout j’ai trouvé des ressources et suis parvenu à la position suivante :

Ici, j’étais assez content car je menace 25.Fxg7 ainsi que 25.a4. Et là, il joue 24…f6? et je passe tout mon temps sur 25.Fxf6 gxf6 26.Cf4, que je n’arrive pas à faire marcher. Et j’oublie que 25.a4! est une possibilité ; option qui était quasi gagnante d’ailleurs après 25…Dc4 (25…Db3 26.Cc5) 26.Cf4 Db3 et maintenant 27.Fxf6!. Je suis alors reparti sur 25.Fxf6? gxf6 26.Dxf6 après une assez longue réflexion, et j’ai finalement joué cette ligne. Malheureusement, j’ai oublié qu’après 26…Df5 27.Dxh6, il y a 27…Fc3! qui colmate tout, et mon attaque patauge.

Un peu par miracle, Wesley m’a laissé quelques petites chances pratiques avec Tour, Cavalier et 3 pions contre Dame et Tour, qui est évidemment complètement perdant objectivement.

Mais c’est un Armaggedon et il n’y a aucun rajout de temps avant le 61e coup, et c’est seulement une seconde à partir de là. Petit à petit je suis parvenu à m’organiser, à lâcher mes pions. Je les ai poussés aussi loin que possible, même si mon Roi est devenu un peu vulnérable. J’ai senti qu’il n’était pas très serein. Mais c’est trop dur de créer des vraies menaces avec ce matériel, et j’ai fait vraiment ce que j’ai pu au vu des circonstances.

Ici, il a trouvé 73…Txg4 74.Rxg4 Dg6+ pour arrêter mon avalanche de pions et garantir la nulle.

Cette partie, et encore plus celle d’avant que j’ai perdue avec les blancs alors qu’il me suffisait de faire nulle, m’ont mis un coup sur la tête, et sans doute été un tournant dans le tournoi.

Mvl – Nakamura (Armageddon, tableau des perdants)

Ensuite, j’ai eu ma dernière chance contre Nakamura. On a répété ce qu’on avait joué dans le premier Armageddon dans la phase de poules. Je ne me rappelais malheureusement plus des détails, car je pensais qu’il se reporterait sur une autre ligne. Le début de partie a été raté de ma part…

Ici, j’ai pensé à 21.b3, qui ne me satisfaisait pas. Du coup j’ai joué 21.a4, mais j’ai vu immédiatement que 21…c6! pouvait être très fort. Après 22.b3, il avait le coup 22…Fb4+! 23.c3 Dxb3 24.cxb4 Fc8!. Une pointe pas si cachée objectivement, même si ce genre de coup de retrait diagonal est toujours difficile ; en tout cas, ça a été raté par nous deux 😊.
Après 22…Fg7? 23.Tb1? (23.c3 d’abord était impératif, il ne faut pas laisser la case d4 au Fou noir) 23…The8 24.Dc4, par miracle, il a joué 24…Da5+? un peu vite, qui me laisse une énorme chance (24…Fd4! était extrêmement fort, avec l’idée 25…Fe3+). Après 25.b4!, je me suis retrouvé soudainement mieux. Ensuite j’ai raté quelques options sans doute supérieures, mais tout de même obtenu la belle position suivante :

J’ai joué ici 30.Ta1? a tempo parce que c’était le coup que j’avais prévu. Evidemment, sur 30…Dxe4? j’ai 31.Txb5+ Ra8 32.Txa7+ et je mate L’idée était également que s’il échangeait en c3, je reprenais du Cavalier et récupérais b5. Mais j’ai raté son excellent 30…Td5! 31.Da5?? et même si on a tous les deux raté le mat en 6 qui suit 31…Txd3+!, il a joué 31…Td7, a tout maîtrisé et forcé la nulle depuis une position de force. Dommage que je n’ai pas pris le temps de trouver le simple 30.Dxe5+! Txe5 31.Cf6 Txe1 32.Txb5+ Rc7 33.Rxe1 suivi de 34.Txg5 avec une finale complètement gagnante, ce qui m’aurait permis d’avoir une autre chance dans le tournoi…

De toute façon, vu mon niveau de jeu, même si j’avais gagné cette partie, ça aurait été plus un sursis qu’autre chose (même si on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise 😊). Mais ça fait mal quand même. Cette partie est à l’image de ma performance dans le tournoi, une assez mauvaise gestion du temps pendant tout le tournoi, où j’ai vraiment joué trop vite, et des difficultés dans les parties Armageddon qui étaient flagrantes.

Cette année 2023 a été mauvaise d’un point de vue comptable car j’espérais un rebond au classement Elo qui ne s’est pas concrétisé.

Du point de vue des titres, j’ai remporté l’AI Cup et le Tata Steel India en rapide, ce qui constitue quand même une assez grosse performance, tout comme mes 3 victoires contre Magnus Carlsen.

Pour le reste, en parties longues, ça a manqué de tournoi référence ; la coupe du Monde s’est arrêtée trop tôt. Et concernant les 2 tournois classiques du Grand Chess Tour (Bucarest et Sinquefield Cup), le bilan est assez neutre dans l’ensemble, avec beaucoup de nulles (+1, -1, =15).

Mais pas mal de choses ont été faites en 2023, et si ça a parfois mal tourné, je suis assez optimiste pour l’année prochaine malgré tout. En dehors des Ligues, je vais avoir du temps sans tournoi majeur entre janvier et avril, ce qui me permettra de travailler sur ce que je dois encore améliorer afin d’être vraiment fin prêt pour une grosse saison 2024.

Prochaine échéance, le championnat du monde Rapide & Blitz, qui se déroulera du 26 au 30 décembre à Samarcande (Ouzbékistan). Je compte encore beaucoup sur ce dernier événement de l’année 2023, alors rendez-vous dans le prochain épisode 😊.

Les parties de Maxime à la Sinquefield Cup :

Les parties de Maxime en rapide à St Louis :

Les parties de Maxime en blitz à St Louis :

Les parties de Maxime au Champions Chess Tour :


Communiqué de Maxime Vachier-Lagrave :

Disons-le franchement : la série de mini-matches organisés à Chartres à la dernière minute, sur mesure, pour Alireza (Firoujza), dans l’objectif avoué de le qualifier aux Candidats, ne correspond pas à mes valeurs sportives. Cependant, je m’interroge sur le tollé que cela provoque alors que des tournois similaires ont été mis sur pied afin de favoriser la qualification d’autres joueurs aux Candidats – et parfois avec succès – sans provoquer de tels remous, et même sans aucune réaction des plus hautes instances. Des suspicions de parties arrangées ont même éclaté, mais comme pour les accusations de triche, il faudrait disposer d’éléments probants pour les étayer. Bien sûr, je compte sur Laurent Freyd, l’arbitre sur place, et sur les différentes instances, pour vérifier que les parties disputées à Chartres respectent l’intégrité du jeu.
A mon sens, cette situation désagréable résulte avant tout d’une grave erreur de la FIDE dans la construction et le libellé de ses règlements. Ce sont ces lacunes qui offrent aux joueurs la possibilité d’exploiter des failles, et il conviendra de résoudre au plus vite ce problème dans la perspective du prochain cycle de championnat du monde.

Sans revenir sur les voies de qualification aux Candidats, il ferait sens de prendre en compte la performance Elo de l’année plutôt que le classement Elo à un instant T, ou que la moyenne Elo de l’année qui est mathématiquement injuste ; j’étais déjà intervenu en ce sens par le passé. Bien sûr, il conviendrait alors d’imposer des règles claires permettant aux tournois d’être pris en compte pour le calcul de cette performance Elo annuelle, qui serait par exemple un calendrier de tournois fixé au début de l’année ; avec peut-être la possibilité d’ajouter des compétitions jusqu’à 3 mois avant la fin de l’année, sur dérogation.

A noter que ceci n’affecterait en rien le calcul du classement Elo en vigueur.

Depuis de nombreuses années, à chaque cycle de qualification, nous voyons les règles modifiées et les polémiques s’accumuler. Cela doit cesser et à mon avis, la création d’une commission spéciale qui examinerait de très près les méthodes de qualification pour les Candidats ne serait certainement pas un luxe, mais bien plutôt une nécessité imposée par les circonstances.

Grand Swiss, petite forme

Grand Swiss

Le résultat de ce tournoi constitue bien sûr une déception, puisque c’était très probablement ma dernière cartouche pour ce cycle de championnat du monde, et que je n’ai pas pu exploiter cette chance (14-27e avec 6.5/11).

En arrivant sur l’Ile de Man, je ne pensais pas que ça allait être aussi compliqué pour moi sur le plan physique. Car malheureusement, je suis arrivé malade, physiquement affaibli et avec une toux constante. Même si je ne cherche pas d’excuses, il est évident que ça a été préjudiciable à mes résultats de la première moitié de tournoi (2/5). Et dans ces cas-là, malheureusement, il n’y a pas grand-chose à faire…

Mais en vérité, si je prends un peu de hauteur, je dois dire que cette non-qualification aux Candidats ne s’est pas vraiment jouée sur ce tournoi. De toute façon, mon état de forme sur toute la première moitié de l’année 2023 était vraiment trop faible. Du coup, je me suis retrouvé hors course pour la place au Circuit Fide, et avec un classement ne permettant pas vraiment de jouer la qualification au Elo : deux des quatre voies d’accès aux Candidats étaient donc d’emblée fermées pour moi…

Oublions un peu les enjeux, et revoyons quelques moments intéressants de mes parties sur l’Ile de Man !

Analyse avec les collègues (Esipenko, Maghsoodloo et Tari) (Photo : Fide).
Analyse avec les collègues (Esipenko, Maghsoodloo et Tari) (Photo : Fide).

Ronde 1 : Gledura (2633) – MVL 1/2

Ici, j’ai commis une erreur en jouant 21…Ta4?. J’avais calculé beaucoup de lignes où je sacrifiais une qualité et où je pensais avoir assez de compensation, mais à chaque fois l’ordinateur indique +1 ou +2 ! Gledura aurait pu prendre l’avantage par 22.c4!. Je n’ai pas cru à ce coup car j’ai raté le très fort 22…Txc4 23.Da2!, par exemple 23…Txd5 24.Dxc4 et les compensations semblent insuffisantes.

Il aurait donc été préférable que je choisisse le premier coup que j’avais envisagé, à savoir 21…Fa6 22.Tf2 Fc4 23.Fxa8 Txd2 24.Fxd2. Je voulais poursuivre ici par 24…Fd3 (idée …c4 puis …Da5), mais après 25.Ta1 c4 26.Fe3 j’ai pensé que les blancs étaient mieux car je ne peux plus jouer …Da5, tandis que les deux Fous seront parfaitement arrimés en d4 et d5.

Certes, après 24.Fxd2, la machine indique 24…Dg4!, avec l’idée …h5-h4, et trouve que les noirs ont assez de compensation. Mais honnêtement, ce n’est pas le genre de ligne dans laquelle un GM humain rentrera volontairement…

Ronde 5 : Saric (2647) – MVL 1-0

Clairement ma plus mauvaise partie du tournoi, émaillée de fautes. La finale de Cavaliers est beaucoup plus complexe que ne laisse penser l’évaluation de l’ordinateur (0.00 😊), qui ne rend pas compte de la difficulté à défendre pour les noirs.

Ici, nous venions de passer le 40e coup, et j’ai longuement réfléchi avant de jouer l’horrible 41…Rc7?, basé sur une grosse erreur de calcul. Tout d’abord, j’ai passé du temps à essayer de trouver un chemin clair vers la nulle en ne cédant pas de terrain au Roi blanc et en jouant un coup de Cavalier, comme 41…Cf4 ou 41…Cc7. N’ayant rien vu de limpide, je me suis laissé attirer par 41…Rc7? sur la base de la variante 42.Re5 f4 43.Ce6+ Rb6 44.Cxf4? Cxf4 45.Rxf4 Rb5 et la finale de pions est nulle. Malheureusement, je suis complètement passé à côté de 44.Cd4! et les noirs sont en zugzwang ; le Cavalier ne peut pas bouger à cause du pion f4, et si le Roi noir recule, b5! gagne. Une grosse gaffe de ma part qui rend parfaitement compte de mon niveau de forme dans les premières rondes…

Qui va là ? (Photo : Anna Shtourman).
Qui va là ? (Photo : Anna Shtourman).

Ronde 6 : MVL – Idani (2633) 1-0

La position blanche est préférable, mais il faut prendre des mesures rapides pour percer. En fait, j’ai compris que je n’avais pas vraiment le choix, et que j’étais obligé de jouer 20.Fxf5 exf5 21.e6! Dxe6 (21…fxe6 22.De5! montre la vulnérabilité du pion c5) 22.Tfe1 Dxe2 23.Txe2+ Rd7 24.Tae1. Malgré les Fous de couleurs opposées, la situation est délicate pour les noirs. Le Fb7 est joli, mais il tape dans le vide ; toutes les finales sont perdantes. Par exemple 24…The8 25.Txe8 Txe8 26.Txe8 Rxe8 27.Fxc5 est absolument sans espoir, les finales de Fous de couleurs opposées ne sont pas toutes nulles 😊.

Dans la partie, après 24…Rc6 25.Te7 a4 26.T1e5, la pression est rapidement devenue trop forte.

Ronde 7 : Nguyen Thai Dai Van (2618) – MVL 0-1

Dans cette position chaotique, je m’attendais à 26.Ced4, sur quoi j’avais prévu 26…Txd4 27.Cxd4 Dxd4 28.Dxe6 Fg5 29.Ff1 Dg4, mais après 30.h3, la position n’est pas claire du tout. Heureusement, il a joué 26.Cfd4? Fg5 27.Dxe6, qui se heurte au coup intermédiaire 27…Db7! 28.f3 Fe3+ et les blancs n’auront pas assez de jeu pour la pièce.

Pendant la partie contre Pichot… (Photo : Maria Emelianova)
Pendant la partie contre Pichot… (Photo : Maria Emelianova)

Ronde 8 : MVL – Pichot (2650) 1-0

Le dernier coup noir 17…Cb6 peut paraître étrange, car les noirs semblent abandonner l’aile-Roi (avec un Cavalier en a5, l’autre en b6 et le Fou en b7 !). J’ai répliqué par 18.Fh4 Fe7 19.Fxe7 Dxe7 20.b4 cxb4 21.cxb4 Cc6 22.a5 car il me semblait que je prenais l’avantage. L’alternative était de profiter de l’éloignement des pièces mineures noires pour jouer l’attaque par 19.Cf5 Fxh4 20.C3xh4 suivi du passage de la Dame en g4 ou h5. Mais j’ai trouvé ça moins fort ; je pensais que c’était moins dangereux pour lui car je me disais qu’il allait jouer …Rh7 puis …Df6, et qu’au final, on pouvait se demander ce que font réellement mes Cavaliers ? Certes, il était envisageable de renforcer l’attaque avec Te3 mais je n’étais pas du tout sûr que ce soit bon ; mon Fou en c2 n’attaque pas, les noirs vont rapidement avoir …Rh7, …Df6 et …g6, et il faut que je prouve que j’ai quelque chose.

Dans la partie, après 22…Cd7, j’avais l’intention de jouer 23.Dd2. Mais 23…Cd4 m’a semblé fort, par exemple 24.Cxd4 exd4 25.Cf5 Df6 26.f4 Tac8 27.Df2 Cb8! 28.Cxd4 Cc6 29.Cxc6 Txc6 ne me semblait pas clair du tout. J’ai donc changé mon fusil d’épaule pour 23.Cd5, mais après 23…Dd8 24.Fb3 Ce7!, les noirs étaient à deux doigts d’une égalisation totale.

Quelques coups plus tard…

Ici, je menace 35.Fxf7+! suivi d’une fourchette en d6. Pichot a joué 34…Ce6, ce qui m’arrangeait parce que je voulais 35.Fxe6 fxe6 36.Ce3, qui laisse tout loisir aux blancs de travailler la position pendant très longtemps. A la place de 34…Ce6, j’avais vu que 34…d5? ne marchait pas à cause de 35.Cxe5 Dc7 36.f4, et il ne peut jamais prendre en e4 à cause une nouvelle fois de Fxf7+. Mais j’ai surtout passé du temps à calculer la possibilité 34…Fxe4!? 35.dxe4 Cxe4 36.Dc2 (pas 36.Fxf7+? Rh8 avec chaos sur l’échiquier ! ; 36.Re3! Dxf5 37.Ch4 Dh7 38.Fc2 était fort également, mais je ne l’ai pas vu pendant la partie) 36…Dxf5 37.Re3 d5 38.Fxd5 Cxg3 39.Dxf5 Cxf5+ 40.Re4 g6 41.Cxe5 Rg7 42.Cxf7 et la finale est complètement gagnante à cause du pion a6 qui va tomber.

Le joueur espagnol ne s’est pas effondré sous la pression, jusqu’à la position suivante :

J’ai compris que l’activation des deux Dames 48.Da7 Df7 mènerait probablement à la nulle. J’ai donc dépensé énormément de temps, et j’ai trouvé 48.d4! exd4 49.e5 qui est fort, au moins en pratique. Peut-être était-ce quand même nulle après 49…d5 50.Dxd4 Cf4 51.Dc5+ Rf7 52.Dc2! Dxc2+ 53.Rxc2 Cxh3 54. Rd3 Re7 55.Rd4 s’il avait joué 55…Rd8 maintenant ? Toujours est-il que la difficulté à défendre cette finale en pratique était telle qu’après le naturel, mais erroné 55..Cf4? 56.Cf2!, j’étais sûr de gagner !

Excellent tournoi d’Etienne, qui aura été dans la course jusqu’au bout (Photo : Anna Shtourman).
Excellent tournoi d’Etienne, qui aura été dans la course jusqu’au bout (Photo : Anna Shtourman).

Ronde 9 : Sindarov (2658) – MVL 1/2

1.e4 c5 2.Cf3 d6 3.Cc3 Cf6 4.Fb5+ Fd7 5.De2. A la 4e ronde, j’avais remarqué que l’Indien Nihal Sarin avait joué cette petite ligne (contre Ter-Sahakyan, 1-0). J’avais analysé vite fait et j’avais vu qu’après 5…a6, les noirs égalisaient. Mais dans cette partie, je n’avais pas envie de faire nulle puisqu’il fallait que je continue mon rush de victoires pour espérer quelque chose. Et je craignais également une préparation… J’ai donc pris mon temps pour choisir 5…g6, puis après 6.e5 dxe5 7.Dxe5!?, pour jouer 7…Cc6!, qui est le bon coup, sacrifiant le pion c5.

Rapidement, la partie a pris un tour ultra compliqué, et Sindarov a même utilisé 48 minutes pour jouer 12.Ce5 😊.

Après 12…Cxc3 j’ai calculé une ligne assez folle. Étant donné que mon adversaire avait réfléchi aussi longtemps, je me doutais qu’il y avait une raison : 13.dxc3 Fxg2 14.Tg1 Dd5 15.Cg4 0-0-0 (je sais que la machine donne 15…Df3!, mais aucun humain n’accepte la position kamikaze résultant de 16.Txg2 Dxg2 17.Cf6+) 16.Ce3 Ff3 17.Cxd5 Fxe2 18.Cb6+ Rc7. Sindarov s’est arrêté là, mais moi j’ai poursuivi la variante et trouvé 19.Fg5!, et les problèmes noirs continuent, par exemple 19…Te8 20.Rxe2 Rxb6 21.Tad1 avec le contrôle de la colonne d. Ayant écarté cette variante, je me serais sans doute replié sur 14…Fc6, mais après 15.Cxc6 bxc6 16.De5!, c’était peut-être encore pire, ce dont je ne m’étais pas vraiment rendu compte sur l’échiquier.

Mais Sindarov a finalement repris de l’autre pion, 13.bxc3, et après 13…Fxg2 14.Tg1, j’ai choisi 14…Fc6 15.Cxc6 bxc6 et c’est mon seul regret dans cette partie. J’aurais également pu jouer 14…Dd5 15.c4 De4, mais après 16.d3, je pensais être un peu moins bien. En revanche, si je l’avais vu, et malheureusement ce n’était pas le cas, j’aurais joué le coup « lunaire » 14…Fh3!?. C’est dommage parce que je sentais qu’il y avait quelque chose quelque part, mais je n’ai pas trouvé. Les noirs menacent de consolider par …Ff5, et après 15.Df3 Dc7 16.Cxf7 Dxf7 17.Dxh3 Fd6, ils ont clairement de bonnes compensations pour le pion.

Dans la partie, après 16.De5 Tg8 17.Tb1, j’ai opté pour 17…Fg7 car j’ai eu peur d’une ligne spécifique après le plus normal 17…Fd6 : 18.De4 Dc7 19.d4 Rd7 (la case naturelle pour lier les Tours) 20.Df3 f5 21.Dh3 Tg7 22.Fh6 Tf7 23.Re2, et je trouvais que ma position n’était pas bonne du tout, ce qui n’est sans doute pas vrai.

Après quelques autres péripéties, la partie a été nulle au 31e coup, mettant un terme définitif à ma remontada

Classement final (chess-results.com).

Bien sûr, je suis déçu du résultat, mais franchement, j’ai eu le sentiment de ne pas avoir pu défendre pleinement mes chances en n’étant pas du tout à 100% sur le plan physique. La bonne nouvelle, c’est que je n’ai pas le temps de me lamenter puisque la tournée américaine commence le 14 novembre, avec les deux derniers tournois du Grand Chess Tour 2023 (St-Louis Rapid & Blitz puis Sinquefield Cup), suivis quelques jours après de la finale du Champions Chess Tour à Toronto.

Je suis arrivé dès le 8 novembre à New-York, et j’ai eu quelques jours pour effectuer plusieurs exhibitions à Manhattan et dans le Connecticut ; ce qui m’a également permis de m’acclimater au décalage horaire avant d’arriver à Saint-Louis.

Les parties de Maxime :

Dès qu’il a réalisé que son arrivée aux Etats-Unis précédait de quelques heures le premier match des Spurs de San Antonio et de leur nouvelle star française Victor Wembanamya à New-York, Maxime a immédiatement réservé son billet pour cette soirée de NBA au Madison Square Garden. Fan de nombreux sports, il ne rate jamais une occasion, quand elle se présente et que son calendrier le lui permet, d’assister à un événement sportif qui se déroule là où le destin échiquéen l’a emmené !

Speed Chess, Magnus et cadences lentes !

AI Cup

Après n’avoir disputé que 4 parties classiques en près de 4 mois (lors de la Coupe du Monde), et près de 5 mois après mon dernier tournoi (Bucarest, début mai), j’ai renoué avec les cadences lentes en Albanie, pour la Coupe d’Europe des Clubs.

Je vais y revenir, mais arrêtons-nous d’abord un moment sur les deux tournois en ligne qui m’ont occupé durant la deuxième quinzaine de septembre, car ils ont offert leur lot d’émotions !

Speed Chess Championship

Le Speed Chess, qui revient tous les ans sur chess.com, est un format de match très plaisant à disputer, où l’on enchaîne 90 minutes de 5+1, 60 minutes de 3+1 et 30 minutes de 1+1. Jouer ainsi plusieurs heures contre des adversaires de l’élite constitue un très bon entraînement et donne généralement un résultat assez légitime même si certains matchs se décident dans les derniers bullets ! Le seul défaut pour moi, c’est que je trouve parfois les matchs un peu lents ; notamment si c’est plié après deux heures de jeu, la dernière heure ne sert plus à grand-chose. Je préconiserais plutôt d’organiser des matches avec des sets. Hormis ce point, le Speed Chess est le plus spectaculaire des tournois en ligne, avec tous les meilleurs qui participent.

Cette année, j’ai réalisé des prestations relativement convaincantes contre Gukesh et Sarin, en 1/8e et en ¼ de finale (respectivement 21.5-8.5 et 19.5-11.5). Les choses ont tourné à mon avantage contre Gukesh en début de match, quand j’ai commencé par un 5-0 ; forcément ça aide, malgré quelques parties qui auraient pu mal tourner. Contre Sarin, c’était un peu la même configuration ; après deux ou trois parties qui étaient un peu chaudes, j’ai pris l’avantage et je ne l’ai jamais lâché.

En demi-finale, j’affrontais le très gros morceau Hikaru Nakamura, que je n’ai jamais battu sur ce format. J’ai déjà battu Magnus, j’ai déjà battu Wesley So… Enfin, j’ai battu pas mal de monde, mais Hikaru me fait mal à chaque fois ! Pendant les 45 premières minutes, j’étais sur un nuage et c’était une masterclass de ma part ! Sauf que je me suis rendu compte à la pause que ça allait être dur de garder un tel niveau d’intensité. Ce fut peut-être une prophétie autoréalisatrice, car la deuxième partie du 5+1 a vu des parties qui n’ont pas tourné à mon avantage et Hikaru a recollé au score. J’ai eu en regain de forme ensuite dans le 3+1, mais malheureusement, j’ai complètement implosé dans le bullet. Il a été trop fort dans cette cadence. De toute façon, je me doutais que je devrais avoir une certaine avance avant ce 1+1 pour avoir une chance. Je pensais au moins +2, et même plutôt +3.

Malgré la défaite finale (11.5-16.5), j’étais quand même satisfait d’avoir été devant contre Hikaru après les 5’ et les 3’, et globalement content de mon niveau de jeu, sur la lancée de ma victoire au Tata Steel Chess India.

Tableau final du Speed Chess 2023 (Image : www.chess.com).
Tableau final du Speed Chess 2023 (Image : www.chess.com).

AI Cup

Le dernier tournoi du circuit en ligne Champions Chess Tour 2023 offrait un vrai challenge pour moi ; avec seulement 8 qualifiés pour la phase finale de décembre à Toronto et sachant que je n’avais disputé qu’un seul des 5 premiers tournois, la marge de manœuvre était assez étroite. Il me fallait me qualifier pour la Division 1, et certainement la remporter !

Le Play-in (tournoi de qualification) consiste en un Open de 9 rondes, suivi immédiatement de matches à deux entre les mieux classés, afin de définir la répartition dans les trois divisions. J’ai été assez convaincant dans l’Open, malgré un petit moment de doute quand j’ai perdu une partie contre Meier avec les blancs alors que j’étais quasiment gagnant. Mais je me suis repris tout de suite après ; j’ai remporté les deux parties suivantes de façon assez nette, et ça m’a permis de me qualifier pour le match où j’ai été propre contre Duda (1.5-0,5). J’ai ainsi gagné ma place pour une petite semaine de compétition en Division 1. Comme je me sentais en forme, pourquoi pas en profiter pour continuer à bien jouer, contre les plus gros morceaux du circuit !

Le ¼ de contre Alireza a donné lieu à des parties très accrochées, notamment la troisième que j’ai fini par gagner au terme de séquences tactiques dignes de la Najdorf 6.Fg5 😊.
Dans la 4e, j’étais en maîtrise avant de faire une gaffe qu’il l’a remis dans la partie puis une deuxième faute qui a amené cette finale à 4 Dames sauvée miraculeusement alors que ce n’est pas moi qui donne échec en premier ! C’est la troisième fois que je sauve une finale à 4 Dames 😊. Mais là, c’était tellement perdant que j’ai même failli abandonner juste avant qu’il ne commette une gaffe incroyable !

Une qualification qui n’est pas illogique, même si ça s’est joué sur des petits détails qui ont fait pencher la balance de mon côté, en créant des différences notables dans le résultat (3-1).

J’ai ensuite joué Mamedyarov en ½ finale, un match que j’ai bien maîtrisé. Après 2 nulles, il y a eu dans la troisième partie une ouverture pas très bien maîtrisée de sa part avec les noirs. Punie par mes soins, car il se trouve que j’avais regardé cette ligne de la Steinitz différée et l’avais moi-même jouée avec les noirs dans le Top 16 contre Andreï Sokolov. Après 1.e4 e5 2.Cf3 Cc6 3.Fb5 a6 4.Fa4 d6 5.0-0 Fd7 6.c4, je connaissais la réfutation de 6…g5?! 😊 (7.d4 g4 8.d5!). Même si la conversion n’a pas été parfaite, la position est toujours restée très très difficile pour lui (1-0, 43 cps).

La dernière partie, un Gambit-Dame Accepté, fut un peu moins bien maîtrisée mais c’est passé avec deux ou trois petits petits calculs précis, notamment ici :

Mamedyarov est tombé à pieds joints dans mon piège en jouant 27.Dc3? (27.Fd4 =), oubliant le très esthétique 27…Cf6! (27…Dg3+? 28.Rh1 et 27…f6? 28.Fxe6+ perdaient bien sûr sur le champ) 28.Ce5 (28.gxf6 Dg3+ ; les menaces 28…Dg3+ et 28…Fxe4 sont dévastatrices) 28…Cxe4 0-1.

Ensuite, j’ai affronté Magnus en finale, et je pense que ce fut d’un très haut niveau des deux côtés. En termes de qualité de jeu, je crois que c’est un des tout meilleurs matches depuis longtemps, et j’ai l’impression que c’est un sentiment partagé par pas mal de monde. En tout cas, par Magnus lui-même, puisqu’on en a discuté récemment en Albanie et qu’il m’a confirmé partager cet avis.

Évidemment il y a eu quelques erreurs, mais dans des positions très compliquées et avec peu de temps à la pendule. Nous avons tous deux eu pas mal d’idées intéressantes. Les parties ont été intenses, avec de la dramaturgie, tout y était ! Évidemment c’est décevant de perdre ce match à l’Armageddon (2-2 dans le temps réglementaire), mais c’était dur d’être déçu par mon niveau de jeu !

Cela dit, le tournoi n’était pas fini puisqu’avec le système à double élimination, j’allais être reversé dans le loser bracket pour y affronter Nepo…

J’ai bien maîtrisé la première partie contre sa défense Petroff. Il y a eu une ou deux petites imprécisions de sa part, que j’ai bien punies au terme d’une partie très positionnelle.

Dans la deuxième partie j’ai été à mon tour en difficulté, et je me suis même retrouvé perdant. J’ai dû jouer au « Roi volant » sans vraiment maîtriser la situation ! Mais ça restait très compliqué et Nepo n’a pas trouvé le chemin. Encore une fois, les éléments ont été plutôt pour moi. Mais quand on joue bien, c’est souvent le cas 😊.

Comme cette finale du loser bracket était en 2 parties, je retrouvais Magnus pour une revanche dans la Grande Finale. Avec la tâche ingrate de le battre une première fois dans le match en 4 parties, et si j’y arrivais, de devoir le battre une deuxième fois dans un match en 2 parties !

J’avais conscience que si Magnus conservait le niveau de jeu de notre précédent match de l’avant-veille, ce serait un peu mission impossible pour moi. Bien sûr, je savais que je revenais en grande forme mais Magnus, c’est le test ultime pour voir où on en est ! Etre en forme contre des adversaires du Top 20-25 mondial, c’est une chose. Contre les Top 10, c’en est une autre. Mais contre le numéro 1 incontesté, c’est complètement à part…

Je trouve que j’ai peut-être un peu moins bien joué cette Grande Finale, mais ça ne s’est pas trop vu parce que j’ai eu des oublis qui, soit n’ont pas été punis, soit en fait n’étaient pas graves ; par exemple, j’oublie une variante mais en fait c’est sans conséquence parce qu’elle ne marche pas pour telle ou telle raison. J’ai eu plus d’oublis de ce genre, mais il y avait aussi pas mal de fatigue parce que c’était une longue et difficile semaine. Du côté de Magnus, son niveau a été bien plus erratique, notamment en termes de calcul. Il a fait beaucoup de fautes dont j’ai pu profiter, dans le premier match notamment.

Dans la finale de la première partie, il m’a expliqué avoir bluffé un peu avec 28.Fd6 au lieu du naturel 28.Ce5 ou 28.Fe5. Il s’en est voulu, même s’il n’y avait aucune raison qu’il perde la finale de Fous après 28…Fxf3 29.gxf3 Fxd4 😊.

J’ai été un peu dominé dans le reste de ce match ; disons que ça n’aurait pas forcément été un scandale qu’il égalise, notamment dans la troisième partie. Mais encore une fois, je m’en suis sorti grâce à quelques fautes de calcul de sa part. J’ai bien maîtrisé la 4e partie, ce qui m’a permis de gagner ce match (2.5-1.5), et d’avoir le droit d’en jouer un autre en deux parties pour la gagne du tournoi… et la qualification pour Toronto !

La première partie de cette nouvelle finale a été marquée par un long débat théorique avec sacrifice de Dame dans le Gambit-Dame Accepté 3.e4.

Nous avions tous deux analysé plus ou moins jusque-là, avec une position rocambolesque où deux Fous et deux pions luttent contre ma Dame ! Il y a eu toute la dramaturgie du monde dans cette partie, qui fut clairement la meilleure de la journée. Malgré quelques fautes de calcul des deux côtés, ça reste une partie d’assez grande qualité (0-1, 47 coups).

Dans la deuxième partie où je pouvais me contenter de la nulle avec les blancs, je lui ai rapidement laissé des chances.

J’ai alors considéré que ce ne serait pas raisonnable de rester passif et j’ai pris le risque de changer radicalement le caractère de la position par 23.Fxh7+!?. Je sentais que ça ne passerait peut-être pas mais c’était suffisamment spéculatif pour être tenté. Je me suis dit que je n’avais pas vraiment le choix car la jouer petit bras en étant un peu moins bien ne me plaisait vraiment pas !

Après 23…Rxh7 24.Th3+ Rg8 25.Dh5, Magnus a lâché instantanément le naturel 25…f5?, mais c’était 25…f6! qu’il fallait jouer !

J’avais anticipé 25…f6, mais je pensais qu’après 26.Dh7+ Rf7, ça laissait des options comme 27.Tg3 ou 27.exf6 et je n’étais pas certain d’être perdant (mais pas 27.Th6? comme dans la partie, à cause de de la nuance fatale 27…Cxd1! 28.Dg6+ Re7 et le pion f6 fait obstacle au mat en e6 !). De plus, 25…f6 ne me semblait pas gagner pas en ligne, il y a encore des essais pour les blancs, même si la machine est implacable dans son jugement : après 25…f6!, les noirs ont un avantage décisif !

D’ailleurs, j’ai trouvé bizarre qu’il joue 25…f5 a tempo, et aussi qu’après 26.Dh7+ Rf7 27.Th6, il réfléchisse 5 minutes pour jouer le catastrophique 27…Dxc4??, oubliant qu’après 28.Tf6+! Re8 29.Dxg7, les noirs se font mater en dépit du tempo disponible en défense.

Et c’est gagné ! (Image : www.chess.com).

29…Txf6 30.exf6 1-0.

Au lieu de 27…Dxc4??, s’il avait choisi 27…Re8! 28.Txe6+ Rd7, j’aurais encore dû me battre pour le demi-point synonyme de victoire finale, et le fait que la machine délivre ici son sempiternel verdict à 0.00 ne dit rien de la difficulté de la tâche des blancs en pratique.

Avec cette victoire 2-0 lors de l’ultime match, j’ai remporté la IA Cup, et je dois dire que j’ai passé une très, très bonne semaine dans l’ensemble. En termes de résultats et de niveau de jeu, bien sûr, mais aussi en termes de confiance engrangée.

Les huit qualifiés pour la grande finale de Toronto (9-16 décembre) (Image : championschesstour.com).
Les huit qualifiés pour la grande finale de Toronto (9-16 décembre) (Image : championschesstour.com).

Mais dès le lendemain matin, je prenais l’avion pour l’Albanie, où il me restait encore à transformer l’essai de ce regain de forme en parties rapides, dans les parties longues…

Coupe d’Europe des Clubs, Durres (Albanie)

Une unité de plus sur ma liste des pays visités ! Notre équipe d’Asnières avait une nouvelle recrue en la personne de Martyrosian et sur le papier, nous faisions clairement partie des favoris.

Je n’ai pas joué les deux premiers matches. L’équipe a fait le travail proprement et j’ai fait mon entrée en jeu contre l’équipe turque de Gokturk, contre Sanal (2603) :

Une position issue de la fameuse finale de la Berlinoise, que je n’ai pas tellement jouée ces derniers temps, et qui a d’ailleurs connu un regain d’intérêt dans cette Coupe d’Europe.

Ici, je sentais que je pouvais essayer de profiter de la position acrobatique de sa Tour en c4. Ma première idée était 22.Tf3, mais simplement 22…Fe7 suivi de 23…Fb4. J’ai alors évalué 22.g5 mais je ne suis pas parvenu à le faire marcher ; le Fh4 enfermé est inattaquable et les noirs auront toujours un …h6 quelque part.

En fait il se trouve qu’il existe une autre idée plus forte : 22.Td2! Rb7 23.Td3, pour jouer 24.b3 sans craindre 23…fxg4 24.f5!. Mais cette manoeuvre est assez contre-intuitive dans la position, c’est le moins qu’on puisse dire ! Même en jouant 23…Td8, après 24.Tfd1 Txd3 25.cxd3 Tb4 26.b3, ça reste dur à jouer pour les noirs. C’est une position un peu atypique parce que justement la Tour ne se retrouve jamais en c4 ou b4. Dès lors, de nouveaux thèmes émergent. Mais la Tour sur la colonne d ouverte manque aux noirs ; ce qu’il a payé cher un peu plus tard.

Dans la partie, j’ai préféré 22.exf6 Fxf6 23.f5 Ff7 24.Ff4 Tb4 25.Cd1.

Ici, il fallait voir que 25…Fc4! 26.Te4 Fxf1 27.Txb4 Fe2 28.Ce3 (on a l’impression que c’est mieux pour les blancs, c’est en tout cas ce que je pensais pendant la partie…) 28…Ff3! mène à l’égalité, après 29.Rf2 (29…c5! intermédiaire) comme après 29.g5 (29…Fe7 et 30…Fc5).

Sanal a raté cette opportunité pas facile du tout et a opté pour 25…Rb7 26.b3 Td4 27.Fe5!. Il voulait probablement jouer 27…Te8 mais je crois qu’il a oublié 28.Fxf6! vu sa tête quand j’ai joué 27.Fe5. Après 27…gxf6 (27…Txd1 28.Txe8 Txf1+ 29.Rxf1 Fxe8 30.Fxg7 +-) 28.Txe8 Fxe8 29.Te1, la finale ne laissait en effet guère d’espoir.

Il s’est donc replié sur 27…Fxe5 28.Txe5 Tad8, mais après 29.Te7, la finale reste tout aussi difficile à défendre (1-0, 58 coups).

J’ai souffert pour annuler ma deuxième partie contre Sarin (2694) parce que je n’ai pas été assez précis dans mon Gambit-Dame Accepté. Mais l’équipe a signé sa 4e victoire, et il s’agissait maintenant d’affronter la tête de série n°1, l’équipe roumaine de Superchess, sponsorisée par Superbet et emmenée par Rapport et Anand…

Pourquoi tu me regardes comme ça ? (Rapport-Mvl, Ronde 5) : (Photo Niki Riga).
Pourquoi tu me regardes comme ça ? (Rapport-Mvl, Ronde 5) : (Photo Niki Riga).

Dans ce match, je doublais les noirs contre Rapport (2752). J’ai très bien maîtrisé un milieu de jeu dans lequel nous avons tour à tour pris des risques, mais le vent a tourné en ma faveur après de bonnes décisions stratégiques :

J’étais content de ma manière de jouer pour obtenir cette position, notamment avec l’échange des Fous de cases noires en h6, ainsi que les petites manœuvres pour augmenter graduellement la pression sur le pion faible en e4. Malheureusement ici, il m’a manqué le KO…

La finale de pions était gagnante après 36…a3 37.b3 f5! 38.Df4 (j’avais vu 38.exf5 Dxf3+ 39.gxf3 Txe2 40.Txe2 Txe2 41.Rxe2 et la pointe 41…g5!) 38…fxe4+ 39.Txe4 Txe4 40.Txe4 Dxe4+ 41.Dxe4 Txe4 42.Rxe4. A un moment quand il jouera Re4 avec mon Roi en f6, je répondrai …g5! et je savais évidemment que dans ce cas, la partie était gagnée. C’est pourquoi il me faut gagner l’opposition car si je peux amener mon roi en e5 ou f5 la partie est terminée. Ce qui m’a manqué en temps limité, c’est de comprendre comment empêcher le Roi blanc de rester en e4 et f4. En fait, il faut trianguler avec le Roi, par exemple 42…Rf6 43.Rf4 Re7! 44.Rf3 Rf7, et on recommence la manœuvre s’il joue 45.g3.

J’ai raté une deuxième occasion nette plus tard dans la finale.

Il y a toujours des ressources cachées dans ces finales de Tours !

Mon choix de 52…Txc4? 53.bxc5 Re5 n’était pas le bon : 54.Te2+ Rd5 55.Te8! Txc5 56.Rd2 et la Tour blanche va réussir un harcèlement permanent par derrière (1/2, 67 coups).

Pourtant, il existait un chemin… 52…cxb4! 53.Txd4 b3 54.Rd2 (54.Txf4+ Re5 55.Tf2 Txc4 gagne, les pièces noires sont trop actives) 54…Tc2+ 55.Rd3 et ça devient quasiment une étude dont la ligne principale serait 55…Rf5! 56.Td5+ Rg4 57.Tg5+ Rxh4 58.Tg8 Tc1 59.Tb8 Rg3 60.Txb3 Rxg2 -+. Mais pendant la partie je n’étais pas sûr de moi et je n’ai pas fait le bon choix.

En fait dans cette partie, à chaque fois j’avais deux choix tentants. J’ai voulu aller au plus simple et à chaque fois j’allais au plus compliqué (un grand classique 😊).

Malheureusement, ce demi-point raté nous a empêché d’arracher le match nul dans ce duel au sommet.

Nous nous sommes vengés le lendemain en dominant les Israéliens de Beersheva. Je l’ai emporté de mon côté contre Mikhalevski (2527).

La compétition s’est donc conclue sur un match de tous les possibles contre l’équipe norvégienne d’Offerspill, emmenée par le n°1 mondial Magnus Carlsen :

Le Gambit-Dame Accepté a tenu bon ! (Photo : Niki Riga).

J’ai joué une bonne partie, grâce à une bonne préparation avec les noirs, qui m’a très rapidement amené à la position suivante :

La finale était en réalité un peu plus délicate que ce qu’il m’a semblé au premier abord quand je suis rentré dedans.

Un coup normal, par exemple 24…Thd8, aurait été possible à la condition d’activer ma majorité à l’aile-Dame. Mais dans ce cas, ses deux Tours seraient entrées en piste. Échanger une paire de Tours, par exemple en d3, n’aurait pas été une option, car son pion e serait alors devenu trop fort. Avec les 4 Tours, il aurait facilement pu jouer Tg1 pour forcer …g6 puis continuer par h4-h5. Son Roi se serait trouvé en e4 relativement protégé, prêt à s’infiltrer en f5 et à soutenir le pion e. Tant qu’il y a les 4 Tours sur l’échiquier, je ne peux jamais jouer …b6 et …c5 car les blancs répondent par a5-axb6 et tapent sur le pion b, tout en s’infiltrant sur la colonne a, après quoi son pion e avance tout seul. Il fallait donc avant tout que j’empêche h4.

J’ai donc pris mon temps pour organiser la défense, je me suis mobilisé et j’ai trouvé les bons coups, avec tout d’abord la bonne séquence 24…Tf8 25.f4 g5! (empêcher h4 – bloquer la phalange de pions blancs) 26.a5 (26.fxg5 Tf5 ; 26.Tb4 c5! 27.Tb5 b6 28.a5 Rc7 29.axb6+ axb6 30.Ta6 – sinon 30…Rc6, le Roi noir soutient ses pions et ça joue pour trois résultats ! – 30…gxf4+ 31.exf4 Td3+ 32.Rg4 Td4, on va échanger tous les pions et rester bons amis !) 26…gxf4+ 27.exf4 Td4 28.Tf3 Tf5! et j’ai réussi à créer les conditions d’un blocus sur cases blanches (½, 47 cps).

Grille américaine des 10 premiers de la Coupe d’Europe (Image : www.chess-results.com).
Grille américaine des 10 premiers de la Coupe d’Europe (Image : www.chess-results.com).

Malheureusement, l’équipe s’est inclinée au final sur la plus faible des marges, après un match qui s’est joué à rien. Au lieu d’un podium, voire d’une victoire finale sur le fil, nous avons dû nous contenter de la 7e place. Le triplé Coupe – Championnat – Coupe d’Europe n’a pas eu lieu, mais je crois qu’Asnières peut quand même être fier des résultats de son équipe cette saison ! Et n’oublions pas de féliciter l’équipe de Magnus pour son titre européen !

Sur le plan individuel, je me prépare maintenant pour le Grand Swiss de l’Ile de Man (25 octobre – 5 novembre), qui offrira 2 nouvelles places pour les Candidats 2024, juste avant de partir sur le continent américain pour une longue tournée puisque le retour à Paris est prévu le 18 décembre !

Les parties blitz de Maxime au Speedchess :

Les parties de Maxime dans l’AI Cup :

Les parties de Maxime en Albanie :

Jean-Philippe Toussaint, auteur prolifique récompensé par de nombreux prix, dont le Médicis en 2005, a souvent émaillé son œuvre de références au jeu d’échecs. Son premier ouvrage est d’ailleurs intitulé « Echecs ». Début septembre, en germanophone averti, il a publié aux Editions de Minuit une nouvelle traduction française de la célèbre oeuvre de Zweig « Le joueur d’Echecs », qu’il a d’ailleurs renommée « Echecs ». En parallèle, Jean-Philippe Toussaint a également sorti une autobiographie qu’il souhaite lui-même être « l’échiquier de [sa] mémoire ». Intitulée en effet « L’échiquier » elle contient de nombreux récits liés à sa passion du jeu et à ses rencontres avec des personnalités échiquéennes. A l’occasion de cette publication, « Philosophie Magazine » a souhaité organiser un (long) entretien croisé entre Jean-Philippe Toussaint et Maxime, au cours duquel de nombreux thèmes ont été abordés. Les échecs et l’écriture y tiennent la place principale, bien sûr, même si l’entretien dérive de temps en temps vers d’autres rivages métaphysiques !

Image : Philosophie Magazine

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