Ma Coupe du Monde (1re partie)

La Coupe du Monde, c’est un format que j’aime bien… Je les ai toutes disputées depuis 2009, avec deux demi-finales et un quart-de-finale à mon actif. D’abord, c’est une compétition qui change un peu de notre ordinaire, il y a plus de spectacle et d’enjeu, c’est sympa également pour les spectateurs. Mais c’est aussi un tournoi très difficile évidemment, et très long ; sauf si tu es éliminé au premier tour ! Quand tu vas jusqu’au bout, c’est un mois entier au même endroit (en l’occurrence en Sibérie 🙂 ), avec la pression à chacune des parties, car toutes sont décisives. Ca influe énormément sur la résistance physique des joueurs ; pour ma part, je pense qu’à Khanty-Mansiysk, j’ai plutôt été bien physiquement jusqu’à mon quart de finale, mais après ça s’est dégradé très vite. Je sentais que je ne pouvais plus rien faire le soir, j’étais juste en mode pilote automatique pour essayer de me reposer un max.

Mais commençons par le commencement !

1er tour :

MVL – ANWULI (2284) 2-0

Un premier tour contre un adversaire beaucoup moins bien classé, c’est toujours une entrée en matière où il faut faire preuve d’un minimum d’application. Je l’ai fait et malgré tout, je me suis causé quelques petits problèmes. Je pense à la première partie, où la finale de Tours était peut-être objectivement nulle.

Mvl-Anwuli, Round 1, first game.
Mvl-Anwuli, Round 1, first game.

J’ai l’impression qu’après 38.g4! (au lieu de 38.Rg4? qu’il a choisi), le mieux pour moi aurait été d’obtenir la fameuse finale avec h et f, qui reste néanmoins une nulle théorique très difficile à aller chercher.

Il y a aussi eu des petits ratés à partir d’une position très prometteuse dans la deuxième partie. Je dois dire que le MI Nigérian a plutôt bien défendu ses chances dans l’ensemble. Mais c’est dur quand tu n’as pas de vrai répertoire d’ouvertures, ce qui est son cas :).

Fier d’avoir perdu sans démériter, le Nigérian Anwuli pose avec son vainqueur.
Fier d’avoir perdu sans démériter, le Nigérian Anwuli pose avec son vainqueur.

2e tour :

MVL – KOVALENKO (2674) 2-0

J’ai été surpris par son choix dans l’ouverture de la première partie (Sicilienne avec …e6), et il s’est retrouvé en très grosse difficulté. En plus, ce n’est pas du tout son style de défendre des positions de ce genre.

Mvl-Kovalenko, 2e tour aller.
Mvl-Kovalenko, 2e tour aller.

Malgré tout, il y a eu la bourde juste avant le 40ème, où j’ai oublié …Tc8 dans une variante critique… Le pire, c’est que j’avais réfléchi longtemps avant de jouer 40.b5? dans la position du diagramme. Mais il s’avère que la rupture est trop précipitée ! Elle devait être mieux préparée, car après 40…axb5 41.Fxb5 Tc8!, j’ai dû me rendre à l’évidence que mon avantage s’était évaporé ; 42.Tb1 Tc2+ 43.Rg1 Cc8 44.Td7+ Txd7 45.Fxd7 et heureusement ici, il a joué 45…Cd6? au lieu de prendre en b6, malgré une longue réflexion ! Après 45…Cxb6!, je pouvais encore essayer 46.Fb5!? – avec l’idée Fd3-e4 – qui pose encore des problèmes, même si c’est sûrement nul objectivement. Hormis cette percée en b5 mal maîtrisée, c’était quand même une bonne partie, notamment dans la phase de milieu de jeu pour obtenir l’avantage (24.Ta3!).

Dans la deuxième partie, une nulle suffisait évidemment, ce qui est plutôt agréable comme situation. Sur son ouverture un peu baroque, 1.e4 c5 2.Cc3 d6 3.Cge2 Cf6 4.f3!?, j’aurais sans doute dû jouer 4…e5, mais sur l’échiquier, 4…d5 ne me semblait pas si mal. Mais en fait, la position obtenue n’était pas si triviale…

Kovalenko-Mvl, 2e tour retour.
Kovalenko-Mvl, 2e tour retour.

… et même désagréable après que j’ai joué 13…Re7?! un peu trop vite. Sur 14.Fb5 Td8 (à l’origine, j’avais prévu 14…Fd7 15.The1 Thd8 16.Cf5 Rf8 17.Cd6 Tab8, mais j’avais oublié 18.Cxb7! Txb7 19.Fxc6) 15.Fxc6 bxc6 16.Txd8 Txd8 17.f4, les blancs ont obtenu une finale plus agréable. Dans la position du diagramme, j’avais également rejeté 13…Fd7 à cause de 14.Cc4 Re7 15.Cd6, mais c’était la suite égalisatrice car j’ai ici le joli retour 15…Fc8!, justifié par la variante 16.Fb5 Td8 17.Fxc6 Txd6 =. Après, je pense qu’il avait les moyens de presser un peu mieux que ce qu’il a fait. Il a amené son Roi en c3 un peu vite et en fait, ça ne sert à rien ! D’ailleurs, il est revenu en c1 rapidement ! Ensuite, il a tout tenté pour compliquer mais ce faisant, il a juste fait passer sa position de « égale » à « nettement moins bien ». Je lui ai longtemps laissé la chance de faire nulle, mais il a vraiment poussé le bouchon assez loin pour la perdre !

En interview après la qualification contre Kovalenko (Photo : Fide).
En interview après la qualification contre Kovalenko (Photo : Fide).

1/16e de finale :

MVL – JAKOVENKO (2681) 3.5-2.5

Un match compliqué, contre un adversaire lui aussi compliqué pour moi ! Il faut savoir que Jakovenko a un excellent score contre moi et qu’il a donc la confiance… Et ça se voyait ! Il était vraiment là pour jouer sa chance à fond. Par rapport, par exemple à Svidler au tour suivant, tu sens clairement la différence d’état d’esprit. Et c’était pas de bol pour Peter puisque apparemment, lui a un score monstre contre Jakovenko !

Bref, la première partie ne s’est pas trop bien passée, malgré la nulle… C’était d’ailleurs le premier d’une longue série d’oublis de ma part dans l’ouverture ! Heureusement, il a soulagé ma position en prenant deux décisions bizarres d’échanges centraux.

La Berlinoise au match retour, c’était ma première partie maîtrisée, même si pas jusqu’au bout. J’ai pris l’avantage, mais à partir de là, il a vraiment super bien défendu. J’ai peut-être loupé des occases.

Mvl-Jakovenko, 1/16e retour.
Mvl-Jakovenko, 1/16e retour.

Je soupçonne qu’à ce moment après 27…Fe6, c’est objectivement gagnant, mais je n’ai pas trouvé comment. Et puis, je pensais que ce que je faisais était correct, mais bizarrement après le 40e, j’ai juste pas trouvé de gain, et en fait, il n’y en a certainement déjà plus…

Du coup, premier tie-break !

Dans la première partie rapide, mes ennuis ont commencé dès que j’ai joué 11…b6. En fait ça, c’est une constante chez moi dans la Grünfeld, j’oublie la possibilité que d5 puisse être fort pour les blancs ! J’avais fait exactement la même erreur contre Aronian à Londres l’année dernière. Et d’ailleurs, la partie était vraiment très similaire : même rapport matériel, mêmes difficultés, et même tentative de contre-jeu. Sauf que Levon s’était planté à un moment, et pas Jakovenko !

Donc, après 11…b6 12.d5, j’ai réalisé que sur 12…Ce5 13.Cxe5 Fxe5, j’allais me prendre f4-e4-e5, comme contre Levon ! C’est assez évident bien sûr, mais c’est comme un bug que j’ai sur ce thème…

Après, j’ai eu une hésitation au 19e coup, qui m’a été fatale.

Jakovenko-Mvl, 1/16e tie-break (1).
Jakovenko-Mvl, 1/16e tie-break (1).

Au début, je voulais jouer 19…Da3 sans réfléchir. Et puis je me suis dit : « 19…Dh5 idée 20…Fg4, j’ai du jeu à l’aile-Roi », et ça m’a attiré.

En fait évidemment, 19…Da3! était le bon coup, pour garder un oeil sur d6 et avoir du contre-jeu à l’aile-Dame. Mais en fait, ma faute de jugement, c’est que je pensais que la Dame en h5 allait être plus proche pour la défense du Roi ; alors que c’est l’inverse, et elle est également trop exposée !

Ensuite, il a raté un gain forcé avec 25.Tb5!, mais c’est un coup de machine, pas naturel, et qui nous a échappé à tous les deux… Après, je n’ai pas grand-chose à me reprocher, j’ai trouvé toutes les défenses, mais il a juste joué la partie parfaite, y compris dans les grosse complications tactiques avec les pièces lourdes.

Jakovenko-Mvl, 1/16e tie-break (1).
Jakovenko-Mvl, 1/16e tie-break (1).

Ici, au lieu de 35…De6, je pouvais jouer la défense passive avec 35…Rg7 évidemment. Je le laisse faire 36.De7, et je balance mes pions de l’aile-Dame… Mais j’étais quasiment certain qu’à un moment il allait jouer h3 pour parer les mats du couloir ; ensuite, Dh4 ou Dd8 menaçant Te7, et je ne voyais pas dans quel monde ça pouvait tenir. Du coup, il a brillamment conclu par 36.Dd8+ Rf7 37.Tf1+ Tf5 38.Dc7+ Rg8 39.Td1 De2 40.Dc1! Tg5 (40…Tf8 41.d7 Td8 offre zéro chance de survie) 41.Dc8+! Rg7 42.Db7+ Rf8 43.Tg1! et le pion d décide.

L’ouverture du 2e tie-break, où Maxime doit impérativement l’emporter (Photo : Fide).
L’ouverture du 2e tie-break, où Maxime doit impérativement l’emporter (Photo : Fide).

Etant au pied du mur et au vu de l’ouverture, c’est vrai que l’égalisation dans la deuxième partie constitue un petit miracle ! Déjà, parce que je joue 15.De4 au lieu de 15.Ce4 comme j’avais prévu 🙂 ; j’aurai d’ailleurs l’occasion de jouer ce 15.Ce4 quelques jours plus tard contre Aronian. Mais après, du point de vue de Jakovenko, c’est toujours la même chose ; tu joues pour faire nulle, tu égalises dans l’ouverture et puis à un moment, tu veux aller au plus simple. Par exemple, quand il provoque la finale T+F de couleurs opposées.

Mvl-Jakovenko, 1/16e tie-break (2).
Mvl-Jakovenko, 1/16e tie-break (2).

Ici, 27…Fxe4 28.Fxe4 c6 n’avait rien d’obligatoire. Ce n’était pas nécessaire, mais d’un autre côté ça simplifie et tu te dis que tu ne vas jamais perdre ça ; en gros, il était « le cul entre deux chaises » et c’est jamais bon d’être le cul entre deux chaises ! Bien sûr, normalement c’est rien comme finale pour les blancs objectivement, mais ça peut aussi mal tourner. Et quand j’ai obtenu la position après 29.g3 g6 30.b4 Rf7 31.a4 a6 32.Rg2 Td7 33.Tb2! avec l’idée de percer en b5, je savais que j’avais désormais au moins 40% de chances de gain. Et j’ai effectivement fini par l’emporter et rester en vie dans le tournoi !

La deuxième série de rapides en 10′ a été tendue elle aussi (deux nulles), et puis finalement, j’ai gagné une belle partie avec les blancs en blitz.

Et dans le dernier blitz, j’ai fait l’inverse de ce qu’il a fait quand une nulle lui suffisait ! J’ai joué mon jeu normal, dynamique, et en fait, ces positions avec des structures de pions asymétriques, tu as l’impression que c’est moins annulant mais pour moi, c’est tellement plus simple à jouer !

Pendant la journée de repos, Mvl spectateur d’un match de hockey professionnel avec son adversaire malheureux de la veille, Dmitry Jakovenko (à gauche), qui vient d’ailleurs de donner le coup d’envoi sur la patinoire ! (Photo : FIDE).
Pendant la journée de repos, Mvl spectateur d’un match de hockey professionnel avec son adversaire malheureux de la veille, Dmitry Jakovenko (à gauche), qui vient d’ailleurs de donner le coup d’envoi sur la patinoire ! (Photo : FIDE).

1/8e de finale :

MVL – SVIDLER (2729) 1.5-0.5

Peter ne joue pas l’Espagnole Tchigorine d’habitude. Ma théorie, c’est qu’il ne s’attendait pas du tout à ce que j’accepte le Gambit Marshall, désormais réputé pour être archi-analysé et annulant dans la plupart des lignes. Du coup, je crois que ça l’a perturbé.

J’ai donc pris l’avantage de manière assez convaincante, avec ce qui me semblait être un bon pion de plus.

Mvl-Svidler, 1/8e aller.
Mvl-Svidler, 1/8e aller.

Pendant la partie, je n’imaginais pas du tout qu’il puisse complètement égaliser avec 31…Fd6!, comme le montre la machine. Le problème, c’est que dans ce cas, je n’installe pas le Fou en b4 comme dans la partie, puisque 32.Fb4? Dc2! serait désagréable. Du coup, après l’imprécis 31…Tc8? 32.Fb4 Dc1+ 33.Dd1 Dc4, j’ai joué 34.g3 parce que j’ai compris qu’il y avait vraiment de bonnes chances qu’il tombe dans le piège 34…Dxe4? 35.gxf4 Tc6, en oubliant la ressource 36.f5! Dxf5 37.Fd6!. D’ailleurs, j’avais aussi vu que 36.f3 devait gagner également. Mais bref, le connaissant, je sentais qu’il allait prendre en e4 !

Après, j’ai été surpris qu’il abandonne aussi vite, même s’il est connu pour ça. Parce que tu peux encore jouer un peu cette position finale :

Mvl-Svidler, 1/8e aller.
Mvl-Svidler, 1/8e aller.

Mon pion n’est qu’en a3, mon Roi n’est pas encore complètement en sécurité, ça pouvait mériter quelques coups en plus…

Dans l’ensemble, je considère que c’est une bonne partie de ma part.

En pleine discussion avec Svidler, juste après leur première partie (photo : Fide).
En pleine discussion avec Svidler, juste après leur première partie (photo : Fide).

Lors du match retour, il a plutôt réussi son choix d’ouverture, dans la sous-variante de la Najdorf 6.Cb3. Je me suis un petit peu enflammé avec 7…h5, mais je voulais éviter sa prépa.

Je me doutais que c’était 7…b5 8.a4 b4 9.Cd5 e6 la ligne critique. Et c’est ce qui était dans mes notes évidemment ! Mais je me suis dit :  » Je ne me rappelle de rien de plus ; c’est forcément ce qu’il a regardé en priorité. Donc, on va le sortir de sa prépa tout en jouant un coup qui a un petit peu de sens « . 7…g6 8.g4 pouvait vite devenir désagréable, donc je me suis décidé pour l’impro complète avec 7…h5.

 C’est pas facile, mais je vais quand même le jouer, ce 7…h5 ! (photo : Fide).
C’est pas facile, mais je vais quand même le jouer, ce 7…h5 ! (photo : Fide).

Après, je pense quand même que les blancs sont un peu mieux, et j’ai été très surpris de son choix 13.Dd4?!. Je comprends aussi que dans sa situation, conserver un petit plus par 13.Ca5 lui ait semblé moins prometteur qu’une variante qui mène au gain du pion a6. Pourtant, après 13.Ca5 avec f4-f5 à venir, ça pouvait vite devenir compliqué pour moi – il faut bien qu’il y ait des petits inconvénients à mettre le pion en h5 !

Svidler-Mvl, 1/8e retour.
Svidler-Mvl, 1/8e retour.

Je pense aussi qu’il a opté pour 13.Dd4?! parce qu’après 13…Tb8 14.Fxa6 0-0 15.Dd3 Fxa6 16.Txa6 Cc4, il avait oublié qu’il ne pouvait pas jouer 17.Ta7? à cause de 17…Cxb2!.

Du coup, il a dû se replier sur 17.Fc1, et après 17…e6 18.0-0 Cd7, j’ai obtenu la position de rêve. Ses pièces ne sont pas coordonnées, et il ne peut pas se redéployer sans perdre ses pions de l’Aile-Dame. D’ailleurs il a même poussé le bouchon trop loin et s’est retrouvé nettement moins bien. Mais j’ai préféré éviter les variantes complexes, même favorables, et forcer la nulle qui me qualifiait pour les 1/4 de finales.

(à suivre)

Le lendemain de son retour de Coupe du Monde, Maxime s’est rendu en Mairie d’Asnières, où son club organisait le « Trophée des Petits As », compétition sur invitation réunissant huit espoirs français de moins de 8 ans. L’idée était d’offrir à ces jeunes joueurs un contexte digne du haut niveau, avec des parties disputées dans d’excellentes conditions de jeu, et retransmises en direct sur Internet. Maxime est venu lancer les dernières rondes du dimanche, puis a prodigué un certain nombre de conseils aux joueurs, parmi lesquels certains de ses petits camarades de club 🙂 .

Les parties de Maxime :

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