Montagnes russes à Sochi

Montagnes russes

J’ai débarqué le 12 juillet à Sochi, en provenance directe du Grand Chess Tour de Zagreb. Etienne Bacrot, qui était lui aussi qualifié pour cette Coupe du Monde, est arrivé le lendemain. Nous avons eu 2-3 jours pour bien nous acclimater, et nous avons même pu visiter le centre de Sochi, qui est plutôt agréable. Le tournoi lui-même ne se déroulait pas à Sochi même mais dans les montagnes environnantes, au cœur d’une station de ski.

Evidemment, en plein été les locations de skis ne fonctionnent pas 🙂 . Mais tout le reste est ouvert, un peu comme dans les stations de ski françaises ; les installations sportives et la plupart des restaurants notamment.

Après ces quelques jours d’installation et de repos, je suis rentré dans la compétition directement au deuxième tour contre l’Américain Moradiabadi, pour le début d’aventures échiquéennes en montagnes russes, comme souvent en Coupe du Monde !

Je me suis évidemment préparé pour le match contre Moradiabadi, qui avait bénéficié d’un des rares forfaits lors du premier tour préliminaire : mais également pour un troisième tour potentiel contre le Russe David Paravyan, parce que je savais qu’il se montrait toujours très affûté dans les ouvertures et qu’il était donc important d’avoir au moins une idée de ce que j’allais éventuellement jouer contre lui.

1/64e : MVL – MORADIABADI (2553) 1.5-0.5

Ce match contre Moradiabadi a été un peu bizarre, dans le sens où j’avais une position tellement dominante dans la 1ère, tout se passait tellement bien, que j’ai un peu de mal à expliquer les événements après le 40e coup. Ma position semblait devoir être convertie à tout moment. Mais comme il trouvait les bons coups de défense, ce n’était pas si facile en réalité.

Mvl-Moradiabadi, 1/64e aller.
Mvl-Moradiabadi, 1/64e aller.

Mon grand regret, c’est au 45e coup parce que je voulais vraiment jouer 45…Txd6!.

Mais je n’ai pas trouvé le gain après 46.Txd6 e4 47.fxe4 Fg4+ 48.Re1 Tf8 49.Rd2, et je me suis arrêté là. Pourtant, le joli 49…Db7! était très puissant, avec la double idée 50…Tf3 et 50…Da8, permettant à toutes les pièces noires de participer à une attaque terrible sur le Roi blanc.

A la place, je me compliqué la tâche par 45…Df8? 46.Cxf5 Dxf5 47.Txd4 exd4 48.De4 Df8?! (48…Dc8!) 49.c5!. Ensuite, j’ai simplement oublié qu’il pouvait consolider sa position avec la Dame en d3 et le Fou en d2 et soudainement, ça a très mal tourné pour moi. Je n’ai finalement sauvé la partie que parce que sous la pression du temps, il n’a pas réussi à convertir et s’est contenté de l’échec perpétuel.

La deuxième partie a été très facile en revanche. Moradiabadi n’a clairement pas joué à 100% de ses capacités dans cette partie. Il a déclaré après coup qu’il était malade, mais la ligne qu’il a choisie n’est guère recommandable puisque j’ai déjà un net avantage après 8 coups, même si je comprends bien que ça peut paraître contre-intuitif de prime abord.

Moradiabadi-Mvl, 1/64e retour.
Moradiabadi-Mvl, 1/64e retour.

9.d4 cxd4 10.Cxd4 Cxd4 11.Txd4 Ff6 12.Td1 suivi de 13.c4, et les pièces noires ne trouvent pas de bonnes cases.

Deux Français en mission en Russie (Photo : FIDE).

1/32e : MVL – PARAVYAN (2625) 5-4

Je savais que le Russe était clairement favori de son duel du tour précédent contre Onischuk, qu’il a d’ailleurs aisément remporté. Je sentais que ce match n’allait pas être une partie de plaisir, parce que Paravyan a toujours des idées en stock un peu partout 🙂 .

Je dois dire que la première partie n’a pas été brillante de ma part. En fait, j’avais vu qu’il y avait eu quelques Maroczy dans le tournoi et du coup, je n’étais pas certain de ce qu’il m’avait concocté. J’ai voulu choisir une variante un peu plus sécurisante, en conséquence de quoi il est vrai que je n’ai franchement pas obtenu grand-chose dans la position.

J’espérais pouvoir presser un petit peu plus mais au final, ça n’a pas du tout été le cas.

La deuxième partie a été un peu plus animée, avec un joyeux bordel qui ne s’est pas trop mal passé pour moi. A la fin, j’ai même sous-estimé ma position car je pensais que c’était nul dans tous les cas.

Paravyan-Mvl, 1/32e retour.
Paravyan-Mvl, 1/32e retour.

Pourtant, j’aurais sans doute dû continuer par 32…Cb4!, au lieu de jouer 32…Fh6 et de proposer nulle. Dans ce cas, c’aurait été à lui de démontrer comment il maintient l’égalité.

Dans la première série de départage, j’ai un petit regret parce que j’avais bien maîtrisé la première partie contre sa ligne de la Sveshnikov tranchante, mais très risquée, et que j’avais obtenu une victoire probante. Et c’est vrai qu’après avoir eu une position aussi dominante, je pensais être assez tranquille pour le match retour.

Paravyan-Mvl, 1/32e - tie-break 1 retour.
Paravyan-Mvl, 1/32e – tie-break 1 retour.

Malheureusement, j’ai pris la très mauvaise décision de jouer 12…Cd7?. C’est un drôle de coup, je sais, mais disons que de loin, ça n’avait pas l’air aussi grave que ça ne l’était en réalité ! Après 13.Fxe7 Dxe7 14.The1 Cc5 15.Ff1 Td8, je crois que c’est 16.b4! que j’avais vraiment sous-estimé. D’ailleurs, s’il n’y a pas 16.b4, la position n’est pas si grave pour les noirs.

Malgré son manque de temps, Paravyan a parfaitement converti par la suite.

J’étais un peu déçu d’avoir raté l’occasion d’en terminer, mais ça ne m’a pas empêché de

dominer la suite de la rencontre.

Dans la première partie 10′, j’ai choisi la Berlinoise 🙂 pour être un peu plus tranquille, et j’ai facilement annulé avec les noirs.

Ensuite, il y a eu la partie ratée dans l’ouverture, cette Alapine qui s’est mal passée pour moi après la douche froide 10…e5!.

Mvl-Paravyan, 1/32e - tie-break 2 retour.
Mvl-Paravyan, 1/32e – tie-break 2 retour.

Peut-être que j’avais un moyen de faire quelque chose de mieux pour égaliser plus facilement, parce que jouer 11.Fe3, c’était vraiment pas un coup que j’avais envie de jouer !

Mais après 11.Fb5+ Fd7, j’ai beau chercher, je ne vois pas ce que je fais… Quant à la suite 11.Fxe5 Fxa3 12.bxa3 0-0-0 13.Fd4 The8+ 14.Rd2, elle a déjà été jouée plusieurs fois en pratique, mais franchement, elle ne donne pas envie !

Heureusement, Paravyan a mal négocié la position par la suite, et j’aurais même pu gagner sur la fin.

Le jeune Russe a des points forts, mais même si son classement à 2620 est clairement sous-évalué, il faut bien qu’il ait aussi quelques petites faiblesses 🙂 .

Dans les blitz, je pensais gagner le premier avec les Noirs, après être revenu à une Najdorf qui s’est parfaitement déroulée.

Mais Paravyan a fait à nouveau la démonstration d’une de ses grandes réussites dans ce match, à savoir la capacité à défendre à la perfection des positions difficiles avec très peu de temps à la pendule : c’était un calvaire que d’essayer de convertir les avantages contre lui, quelle que soit mon avance à la pendule !

Paravyan-Mvl, 1/32e - tie-break Blitz aller.
Paravyan-Mvl, 1/32e – tie-break Blitz aller.

Par exemple cette séquence 48.f5 Rd6 49.f6 Re6 50.Tf5! Rf7 51.Rd3 trouvée sur l’incrément, ainsi que tous les meilleurs coups qui ont suivi. Chapeau !

Le deuxième blitz a donné lieu à un incident d’arbitrage que je vais expliquer ici :

En préambule, j’aurais dû voir quelques coups plus tôt une transition élémentaire en finale de Fous avec deux pions de plus, qui m’aurait simplifié la tâche et aurait évité le bazar suivant 🙂 .

Mais la partie a continué et Paravyan a réclamé la nulle par répétition dans la position désespérée suivante :

Mvl-Paravyan, 1/32e – tie-break Blitz retour.

Moi, je savais qu’il n’y avait pas eu de répétition, mais l’arbitre a donné raison à Paravyan, au prétexte que l’ordinateur confirmait son diagnostic ! J’ai donc demandé la VAR 🙂 .

Je me suis déplacé à la table d’arbitrage pour montrer sur l’ordinateur qu’il n’y avait eu que deux fois la même position, et en plus, pas avec le même joueur au trait !

J’ai donc eu gain de cause, et la partie a repris.

Le lendemain, j’ai parlé avec l’arbitre et j’ai eu le fin mot de l’histoire 🙂 . Il m’a expliqué que c’était un bug du logiciel, qui ne s’était pas rafraîchi par rapport à une partie précédente qui avait connu une répétition de coups !

Pendant que j’étais à la table d’arbitrage, j’ai calculé de tête la suite de la partie avec 46.Re1 Dc8 47.Rd2?! (47.Da7+! puis 48.Rd2 était létal) 47…Da8, et maintenant 48.Dc7+ Fd7 49.Fxb5?. C’est une fois revenu devant l’échiquier que j’ai réalisé l’existence de 49…Dxd5+, et j’ai donc changé mon fusil d’épaule avec 48.Dd4, mais mon avantage n’est plus si écrasant, et j’ai une nouvelle fois échoué à convertir, nous conduisant tous les deux vers le terrible Armageddon !

Cela dit, je me suis senti étonnamment optimiste pour cette partie décisive, dès lors que j’ai su que j’aurais les Blancs. Paravyan était toujours super limite au niveau du temps, alors sur un Armageddon avec 4 minutes contre 5, je ne voyais pas comment il pouvait tenir. Et j’ai effectivement remporté cette partie sans trop de difficultés.

1/16e : MVL – PRAGGNANANDHAA (2608) 1.5-0.5

J’ai commencé par une bonne nulle avec les noirs.

Praggnanandhaa-Mvl, 1/16e aller.
Praggnanandhaa-Mvl, 1/16e aller.

Je pensais même que j’allais gagner quand il m’a laissé 24…Ce4! 25.Td1 Cc5. Et puis il a trouvé la très jolie défense 26.Cf3! avec l’idée 26…Re8 27.Ce5! et je ne peux pas profiter de l’enfermement de sa Tour en c7.

Dans la deuxième, en revanche, il n’a pas très bien joué.

Mvl-Praggnanandhaa, 1/16e retour.
Mvl-Praggnanandhaa, 1/16e retour.

Je pense qu’il aurait dû jouer …a5 assez rapidement pour anticiper mon plan b3-Rb2, et avoir le break …a4 disponible. Ensuite, j’ai sacrifié la Dame. Enfin, je n’appelle pas ça un sacrifice quand on a Tour, Fou et pion, la paire de Fous, les colonnes ouvertes et un pion central passé 🙂 . Je me disais que même si ce n’était sans doute pas complètement gagnant, ça allait être très, très compliqué pour lui… Ce qui a effectivement été le cas.

1/8e : MVL – KARJAKIN (2757) 2.5-3.5

Pas l’appariement le plus facile en 1/16e de finales 🙂 .

Dans la première partie, il m’a sorti une énorme prépa dans la Berlinoise, qui force la nulle de façon complètement linéaire. Et il a décidé de ne pas jouer la deuxième en prenant une nulle forcée avec les blancs.

Juste après la fin de la deuxième partie (photo : FIDE).
Juste après la fin de la deuxième partie (photo : FIDE).

Je me doutais bien que ça allait être très tendu dans les tie-breaks…

J’étais plutôt content de ma prépa dans la première, après avoir employé une sous-variante contre la Berlinoise.

Mvl-Karjakin, 1/8e - Tie-break 1 aller.
Mvl-Karjakin, 1/8e – Tie-break 1 aller.

Je savais que j’étais mieux après 19…g6, mais je n’ai pas trouvé devant l’échiquier. La machine donne le sacrifice de pion 20.f5 Fxf5 21.g4, mais j’avoue que ça ne m’impressionne pas plus que ça. J’ai donc opté pour 20.Ce4 Ff5 21.Fc5, mais je dois dire que j’ai longuement hésité à jouer 21.Cf2 : après 21…h5 22.g4 hxg4 23.hxg4 Fe6, je me disais que je devrais sans doute jouer pour f5, mais je n’étais pas du tout sûr de cette position.

Dans la partie, j’espérais être un peu mieux après les nombreux échanges menant à une finale de Tours, mais il a très bien défendu.

Après une nulle solide dans le deuxième rapide, nous nous sommes dirigés vers les blitz. Le premier aurait pu tourner à la catastrophe car j’ai cru que je suivais ma prépa, mais en fait pas du tout 🙂 . Du coup, je me suis retrouvé tout de suite en grosse difficulté, et ai dû me défendre opiniâtrement jusqu’à la position suivante :

Karjakin-Mvl, 1/8e - Tie-break 2 aller.
Karjakin-Mvl, 1/8e – Tie-break 2 aller.

La finale était très compliquée à défendre, alors à un moment, j’ai décidé de forcer les événements par 67…Fe6? mais après 68.Cxg7 Fd7 69.Cf5 Fxf5 70.gxf5 d4, heureusement il a pris sans réfléchir 71.exd4? Txd4 avec une nulle facile. Mais s’il avait joué 71.e4! d3 72.Tc1 d2 73.Td1, je ne suis pas certain du verdict final de la position car je n’ai pas vérifié, mais ça n’a pas une bonne tête !

Du coup, dans la position du diagramme, j’aurais sans doute dû attendre par 67…Ta8, mais dans ce cas, j’avais peur d’une percée en g5 à terme, par exemple 68.Rh4 Td8 69.g5 fxg5+ 70.fxg5 hxg5+ 71.Rxg5 Ta8 (71…Rg8? 72.h6!) 72.Cd6 et pendant le blitz, je craignais que ça ne tienne pas. Mais à tête reposée, je vois bien que la forteresse est sans doute suffisamment solide après 72…Fe6 🙂 .

Dans la dernière partie, qui a décidé du sort du match, j’ai suivi le plan de jeu établi en amont en optant pour le Système de Londres dans le blitz. J’ai d’ailleurs pris l’avantage à la fin de l’ouverture, suite à une décision hasardeuse de sa part.

Mvl-Karjakin, 1/8e - Tie-break 2 retour.
Mvl-Karjakin, 1/8e – Tie-break 2 retour.

Ici, je pensais que j’étais proche du gain et j’ai donc pris du temps. J’ai d’abord vérifié 18.Cxe6 Dxe6 (18…Dxh5? 19.Cxg7+) 19.d5, mais c’est réfuté par 19…Df6!. J’ai ensuite calculé la ligne 18.Dh8+ Ff8 19.Cxb7 Cxd4, mais je n’ai pas vu de gain après 20.cxd4 Dxb7 21.Fd6 Rd7! 22.Fxf8 Dxb2 23.Td1 Db8. Peut-être que je reste un peu mieux, mais je pensais que c’était pas grand-chose, même si j’avais conscience que ça constituait sans doute la solution de sécurité.

J’ai donc finalement décidé de prendre le pion offert par 18.Dxd5 exd5 19.Cxb7 g5 20.Fd6 Ta7 21.Fxe7 Txb7, anticipant que j’aurais 22.Fa3 qui pourrait être risqué, et au pire 22.Fxg5. J’ai fait le choix de l’option plus aventureuse 22.Fa3 f5, mais là je pouvais jouer 23.f3 suivi de 24.Rf2 qui était tranquille, plutôt que de le laisser pénétrer en h2 par 23.Re2 Th7 24.Fc5 f4 25.b4 Th2.

Mvl-Karjakin, 1/8e – Tie-break 2 retour.

C’est ici que j’ai lâché le match en commettant une faute de calcul. J’aurais dû jouer 26.Tg1, mais c’était triste et je me disais que je pouvais même me retrouver moins bien s’il contrôle l’aile-Dame, qu’il met le Cavalier en e6 et qu’il pousse …g4. Du coup, j’ai choisi d’être actif par 26.a4? Txg2 27.Rf1 f3 28.b5?, et je n’ai pas du tout vu venir la suite !

J’étais en train de m’inquiéter que la variante 28…g4 29.bxc6 g3 30.fxg3 e3 soit supérieure pour les noirs, quand il a lâché son 28…e3! dont j’ai vite compris qu’il était bien plus mortel pour moi après 29.fxe3 Ca5! ; le Cavalier rentre en c4 ou b3 avec un effet dévastateur immédiat.

Pour moi, c’est une élimination qui s’est jouée à très peu de chose, mais de manière générale, Karjakin a été très, très fort sur ce match.

Que ce soit dans sa prépa avec les noirs, dans son jeu en rapide, ou dans sa capacité à se mobiliser dans les moments-clé. De mon côté, hormis peut-être cette fin de dernière partie, je ne crois pas avoir fait un mauvais match.

Dans l’ensemble sur cette Coupe du Monde, j’ai trouvé qu’il y avait quand même du mieux en termes de niveau de jeu.

Pour finir, je voudrais féliciter Etienne Bacrot pour son excellente performance à Sochi. Il aura fallu rien de moins que le champion du monde Magnus Carlsen pour l’éliminer de la compétition en ¼ de finale !

Félicitations également au Polonais Duda pour sa victoire finale. Lui et son adversaire en finale Karjakin prennent les 3e et 4e places pour les Candidats 2022 (Radjabov et le perdant du Championnat du monde Carlsen-Nepo ont les deux premières).

Prochaine étape pour jouer la qualif aux Candidats 2022, ce sera le grand Open de l’île de Man à la fin octobre qui, s’il peut avoir lieu, offrira les 5e et 6 places…

Les parties de Maxime à la coupe du monde :

En dépit de la reprise progressive des tournois, la pandémie continue de compliquer les voyages des joueurs professionnels, qui doivent s’adapter en permanence aux exigences des différents pays. Maxime en a une nouvelle fois fait l’expérience à la fin de cette Coupe du Monde à Sochi. Resté quelques jours sur place après son élimination afin d’épauler son compatriote et secondant Etienne Bacrot qui était encore en lice (finalement éliminé par Carlsen), il a dû réaménager complètement son calendrier. En effet, il était attendu à partir du 15 août à Saint-Louis (Usa) afin d’y disputer la Sinquefield Cup dans le cadre du Grand Chess Tour. Mais les organisateurs américains l’ont prévenu qu’il ne pourrait pas entrer aux Usa s’il passait par un pays en zone rouge, dont la France fait partie, mais pas la Russie 🙂 . Ils lui ont donc proposé de venir directement à Saint-Louis. Du coup, Maxime est parti de Sochi le 31 juillet, direction le Missouri, sans passer par la « case maison » à Paris : un périple de plus de 35h, via Moscou et une escale de nuit à New-York !

Le goût de la victoire

Victoire ! (photo : Lennart Ootes).

Je viens d’arriver à Sotchi pour y disputer la Coupe du Monde, dans le même avion en provenance de Moscou que mon nouveau compatriote Alireza Firouzja 🙂 . J’ai voyagé en Russie directement depuis Zagreb, où j’avais disputé la troisième étape du Grand Chess Tour. Le temps me manque pour revenir en détail sur ce tournoi que j’ai eu le plaisir de remporter, je vais donc me contenter de remarques générales.

Tout d’abord, j’ai apprécié revenir deux ans après dans une ville sympathique que je connais bien, avec en toile de fond les demi-finales et la finale de l’Euro – même sans la Croatie ni la France, malheureusement. J’étais également content de rejouer en Rapide et Blitz, juste après ma prestation en demi-teinte à Paris.

J’ai assez mal commencé les Rapides, avec une défaite d’entrée contre Mamedyarov, qui s’avérera toutefois être la seule. Je me suis bien repris en battant Anand tout de suite derrière puis, plus tard dans le tournoi, Duda.

J’ai dû déplorer quelques gaffes sur l‘ensemble de la compétition, mais c’est difficile à éviter complètement en Rapide, et encore plus en Blitz. Mais je n’en ai pas commis tant que ça, et j’en identifie surtout quatre de mémoire. Ma perte de Tour en un coup contre Mamedyarov en Rapide, même si la position était déjà difficile. Le Rapide contre Duda, que je remporte après avoir oublié une combinaison élémentaire qui perd un pion 🙂 . Et dans les Blitz, le premier contre Giri, où je laisse encore traîner un pion, et le deuxième contre Nepo où, à partir d’une position archi nulle, j’ai réussi à me retrouver perdant en trois coups, même si j’ai finalement sauvé le demi-point.

Mais ces quelques absences ont été compensées par une grande résilience, qui m’avait beaucoup manqué à certains moments décisifs dans les tournois précédents. C’était très important pour moi de retrouver ces qualités de défense et cette résilience, qui m’a permis de ne perdre que 2 parties sur 27 dans le tournoi, alors que j’aurais pu en perdre facilement cinq ou six, et ce n’aurait pas été la même musique au classement final !

Je suis très satisfait des Blitz, avec un résultat de +8 et une seule défaite. Je pense avoir fait le job, avec au passage quelques belles parties, surtout le premier jour. Car au final, le deuxième jour, j’ai surtout cherché à gérer quand j’ai constaté que je virais en tête grâce à Nepo qui enchaînait les défaites 🙂 . Après, j’ai pu préserver mon avance et m’adjuger le gain du tournoi une ronde avant la fin, en dépit du sprint final d’Anand.

Pour moi, le moment crucial, c’était contre Duda à l’antépénultième ronde. Il jouait aussi son va-tout parce qu’il devait impérativement gagner. Et du coup, on a produit une très grosse partie, vraiment sportive, dans laquelle j’ai fini par m’imposer !

Dans la partie suivante contre Garry, je pensais me contenter du demi-point car je n’avais pas prévu qu’il perde au temps dans une finale nulle élémentaire ; surtout qu’il lui restait à ce moment-là 13 secondes, plus l’incrément ! Il est clair que ça m’a fait un peu mal au coeur de le battre dans ces conditions, d’autant que j’avais déjà remporté le premier blitz contre lui en rétablissant par miracle une position cauchemardesque.

Classement final Zagreb (image : www.grandchesstour.com).

L’attraction à Zagreb aura également été le retour d’Anand et de Kasparov devant l’échiquier, avec il faut l’avouer, des destinées radicalement opposées 🙂 .

Garry, qui n’a disputé que la portion blitz, termine avec un calamiteux 2.5/18.

Un de ses problèmes, c’est qu’il a toujours cherché le combat dans toutes les parties, en dépit de sa préparation dans les ouvertures clairement déficitaire. Parce que même s’il y consacre encore du temps – ce dont je suis persuadé – on ne peut pas rester au niveau de préparation des joueurs pros aussi facilement. Ca lui a joué des tours sur beaucoup de parties ; notamment en début de tournoi, quand il a fait le choix de la variante 7…Dc7 dans la grande ligne de la Najdorf, qui était très jouable il y a encore seulement 10 ans, et que je jouais d’ailleurs moi-même à l’époque ; mais désormais, ça perd juste en ligne et c’est encore plus vrai en blitz 🙂 . C’est sûr que c’est vraiment très difficile de se faire pilonner comme il l’a été, mais je l’ai senti très frustré, sans réaction d’orgueil, et manquant de combativité dans la difficulté. A sa décharge, il n’avait pas joué depuis longtemps et a beaucoup d’autres activités. Forcément, face à des joueurs du top niveau, quand on est en mauvaise forme, ça ne pardonne pas. Je suis sûr que dans d’autres circonstances, il ferait un meilleur résultat…

Concernant Anand, je dois dire que j’avais des questionnements avant le tournoi, d’autant qu’il n’avait pas joué de tournoi en présentiel depuis plus d’un an.

Il a magnifiquement répondu, je pense ! Pas tant dans les Rapides, où il était encore un petit peu rouillé ; j’ai pu le constater quand il a perdu contre moi – une partie qui s’avèrera d’ailleurs complètement décisive pour la victoire finale ! En revanche dans les blitz, ses résultats ne trompent pas. La qualité de son jeu non plus, et j’ai comme exemple notre premier blitz, où je lui ai quand même mis une énorme pression sur le plan tactique, et qu’il a réussi à tout calculer correctement et à s’en sortir. Honnêtement, même s’il y a sans doute des fautes dans cette partie dingue, je crois que c’était peut-être la meilleure du tournoi. Une deuxième, à 51 ans et sans avoir joué depuis si longtemps, je dis juste chapeau à Vishy !

Un mot également sur Nepo, le futur challenger de Carlsen qui, à mon sens, se satisfera d’avoir tilté dans la portion blitz du tournoi, pour éviter de le faire pendant le match 🙂 . Il est en train de mettre son jeu en place et je trouve que dans les Rapides, il a montré un excellent niveau. Il trouve toujours des coups, il pose toujours des problèmes ; à l’évidence, il a confirmé les progrès qu’il a faits depuis un an, et sa prestation ratée en blitz n’y change rien.

Classement du GCT (image : www.grandchesstour.com).

Je suis certes en tête du classement Grand Chess Tour pour l’instant, mais il faut préciser que je suis le seul à avoir disputé 3 tournois, tous les autres sont à 2 !

Place maintenant à la Coupe du Monde ! Je me suis installé tranquillement, dans l’attente de mon entrée dans la compétition contre Moradiabadi (2555), un joueur que j’avais déjà rencontré en 2006 au Championnat de Paris (nulle). Après m’être imposé sur le score de 1,5-0,5 je rencontrerai en 1/32e de finale le Russe David Paravyan (2625).

Les parties de Maxime à Zagreb :

Entre les deux tournois du Grand Chess Tour à Paris et à Zagreb, Maxime a passé quelques jours à Châlons-en-Champagne, ou était organisé le Top 12, plus haute division du Championnat de France par équipes. Son équipe d’Asnières y a obtenu la deuxième place derrière Bischwiller, comme lors de la précédente édition de 2019. Une occasion rare pour lui de retrouver certains de ses amis et collègues français, et de renouer avec la convivialité des compétitions par équipes. Pendant ses 5 jours, Maxime aura pu prodiguer ses conseils et analyses à ses coéquipiers, mais aussi disputer deux parties, avec notamment une longue victoire en finale contre Laurent Fressinet, lors du match décisif perdu 1-3 par Asnières face à Bischwiller.

Les parties de Maxime au Top12 :

Retour vers le futur

Grand Chess tour

Ce mois de juin 2021 a signé le grand retour des compétitions, avec notamment le début du Grand Chess Tour 2021, après l’annulation pure et simple de l’édition 2020. Raccourci, le circuit professionnel compte cette année deux tournois classiques (Bucarest et la Sinquefield Cup), et trois rapides (Paris, Zagreb et Saint-Louis). 9 joueurs disputent ce circuit, avec ajout de wild cards sur chaque tournoi. En l’absence prévisible des protagonistes du prochain championnat du monde (Carlsen et Nepo), ces 9 joueurs sont Caruana, Aronian, Giri, Grischuk, So, Mamedyarov, Radjabov, Rapport et moi-même. Chacun d’entre nous disputera les deux tournois classiques, et deux des trois rapides.

Je suis arrivé évidemment très motivé à Bucarest, désireux de reprendre le cours de ma carrière en mains. Malheureusement, les choses se sont mal passées dès le début. A ma décharge, je dois préciser que j’ai été malade pendant le tournoi et plus particulièrement dans la première moitié.

Dès ma partie de la deuxième ronde contre Deac, j’ai commis une gaffe incompréhensible dans un milieu de jeu prometteur.

Mvl-Deac, Bucarest Ronde 2.
Mvl-Deac, Bucarest Ronde 2.

Ici, j’ai réfléchi près de 13 minutes pour jouer 30.Dd3?, sans imaginer une seule seconde qu’il allait répliquer par 30…Tf5 gagnant le pion g5 ! Directement mis en grande difficulté, je n’ai pas su me remobiliser. C’était une défaite très cruelle…

Marche sur la scène entre deux coups (photo: Lennart Ootes).

Après une erreur pareille et ne me sentant pas au mieux physiquement, j’ai eu beaucoup de mal à trouver l’énergie requise dans les moments décisifs, notamment pour annuler la finale suivante contre Giri :

Giri-Mvl, Bucarest Ronde 7.
Giri-Mvl, Bucarest Ronde 7.

C’était d’ailleurs une partie bizarre parce que l’on peut croire ici que j’ai réglé tous mes problèmes, alors que ce n’est pas tout à fait le cas en pratique ; en réalité, j’avais toujours des petites questions à résoudre.

Dans la position du diagramme, 18…Fxc3 19.Txe6! fxe6 20.Fc4 ne me semblait pas si facile à tenir. C’est juste un léger avantage blanc objectivement, mais c’est désagréable. Je pensais que ce que je faisais était plus sûr, ce qui aurait sans doute été le cas après 18…Fd5 19.Tc5 e6! (au lieu de 19…Fxf3), la solution la plus clinique pour égaliser. Dans la partie, après 19…Fxf3 20.gxf3, la position s’est avérée encore un peu délicate à défendre, même si la marge de nulle restait appréciable. Mais quand on rate les solutions les plus simples, la règle veut que ça devienne de moins en moins facile 🙂 .

Giri-Mvl, Bucarest Ronde 7.
Giri-Mvl, Bucarest Ronde 7.

Ici, c’était ma dernière chance et il fallait impérativement jouer 42…f6! pour tenir. Malheureusement, j’ai préféré 42…Rf6? autorisant une jolie manoeuvre du Fou blanc pour venir se sacrifier en f7 et forcer le gain : 43.a6 Fc5 44.Fb5! Fa7 45.Fe8 Re7 46.Fxf7! Rxf7 47.Rxg5 et le Fou ne peut plus lutter contre les pions.

Classement final du GCT Bucarest (image www.grandchesstour.org).
Classement final du GCT Bucarest (image Classement final du GCT Paris (image www.grandchesstour.org).Classement final du GCT Paris (image www.grandchesstour.org).).

Concernant le bilan global de ce tournoi finalement remporté par Mamedyarov, c’est sûr qu’il est très négatif. Avec aucune victoire à mon actif et deux défaites, c’est une évidence…

Du coup, je fondais pas mal d’espoirs sur le Rapide et Blitz de Paris pour me remettre en selle, d’autant qu’il faisait immédiatement suite au tournoi en Roumanie. Malgré ma troisième place finale, mon jeu à Paris, sans être catastrophique comme à Bucarest, s’est avéré tout de même très erratique.

Pas facile d’ailleurs d’analyser les raisons de cette prestation en demi-teinte. J’étais quand même habitué à jouer ces tournois rapides avec une relative constance. En tout cas, pas d’offrir un tel écart de niveau dans les parties, certaines très bonnes et d’autres très mauvaises ; avec au passage quelques grosses gaffes auxquelles je ne suis pas non plus habitué. Il est vrai également que j’ai effectué certaines expérimentations, qui ne se sont pas toujours bien passées, avec notamment une Française et une Sicilienne des 4 Cavaliers. Donc, il est difficile pour moi d’en tirer des conclusions claires, si ce n’est que ma prestation d’ensemble était là encore complètement insuffisante. Certes, je n’étais plus malade comme en Roumanie, même si je n’étais pas non plus au top de ma forme.

Ce qui se voit d’ailleurs clairement dans le fait qu’il y ces écarts de niveau de jeu. Or, l’objectif de mon tournoi, ce n’était pas juste d’avoir des fulgurances, c’est clair !

Classement final du GCT Paris (image www.grandchesstour.org).
Classement final du GCT Paris (image www.grandchesstour.org).

Prochaine échéance à Zagreb le 7 juillet, pour la suite du Grand Chess Tour. La bonne chose, c’est que ce sera un très bon tournoi pour m’échauffer avant la Coupe du Monde à Sochi, qui reste mon objectif principal des mois à venir, puisqu’elle qualifiera deux joueurs pour le prochain Tournoi des Candidats. Coupe du Monde qui aura déjà démarré au moment où je quitterai Zagreb pour rallier Sochi, car il y a désormais un tour supplémentaire dont je suis exempté.

Il est clair que j’aimerais retrouver une certaine stabilité dans mon jeu, et redevenir plus constant et plus régulier. Tout le monde sait que j’ai beaucoup de similitudes avec Nepo. A une époque, il jouait vraiment comme moi en ce moment, de façon très erratique. Depuis, il a beaucoup gagné en stabilité et en confiance. C’est mon objectif que de retrouver cet état de stabilité et de confiance que j’ai quand même connu dans un passé pas si lointain 🙂 .

Les parties de Maxime à Bucarest :

Les parties de Maxime à Paris :

Au lendemain du Grand Chess Tour à Paris, Maxime s’est rendu dans les locaux du magazine SoFoot, ou il était invité à commenter sur leur chaîne Twitch le match de l’Euro France-Portugal, en compagnie notamment du streamer bien connu Sardoche, ainsi que d’un pionnier de YouTube, Mark the Ugly. Pas un hasard puisque tous deux sont de grands amateurs d’échecs et de football. Du coup, le trio animé par le présentateur de SoFoot a pu deviser devant l’écran, alternant commentaires en direct, digressions diverses sur les échecs et petits jeux autour du foot.

La vidéo est à revoir ici : https://www.twitch.tv/videos/1065312273.

Retour des tournois, arrivée des cryptomonnaies !

Crypto Cup

La Crypto Cup, sixième tournoi du circuit professionnel en ligne organisé à la fin du mois de mai et soutenu par la plateforme de trading de cryptomonnaies FTX, signait la reprise des compétitions. Une reprise promise à se dérouler à un rythme soutenu puisque vont s’intercaler dans les prochains mois les échéances des compétitions physiques – qui redémarrent en juin avec les premières étapes du Grand Chess Tour à Bucarest puis à Paris – et des tournois en ligne de l’élite.

La Crypto Cup était évidemment mon premier rendez-vous depuis les Candidats. J’étais impatient, je voulais voir un peu où j’en étais avant de reprendre les tournois. Et j’ai été assez rassuré dans l’ensemble, notamment après les 15 parties des trois jours de qualifications. Certes, il y a eu cette prestation contre Mamedyarov qui n’était vraiment pas terrible, mais ça a été ma seule défaite de ces Préliminaires.

Dans l’ensemble, je pense que j’ai mieux maîtrisé les choses que dans les tournois précédents, avec également quelques très bonnes parties, notamment contre Magnus et contre Nepo.

Voici quelques moments forts de ma Crypto Cup :

Ronde 2 : Grischuk – Mvl 0-1

Grischuk-Mvl, Ronde 2.
Grischuk-Mvl, Ronde 2.

Dans cette finale de Tours, j’ai trouvé le chemin clair vers le gain ; c’est une manoeuvre classique, mais toujours plaisante à jouer : 64…Txd4 65.Txh5 Td5 66.Re3 f5! (le vis-à-vis latéral des Tours empêche la prise en passant) 67.Rf4 Td4+ 68.Rg5 Rg7! 69.Th1 Tg4+! (il faut d’abord pousser le Roi ; 69…Te4? 70.Ta1) 70.Rh5 Te4 71.Rg5 (71.Ta1 Txe5 72.Ta7+ Rf6) 71…Txe5 72.Ta1 Te4 avec un gain trivial.

Ronde 4 : Carlsen – Mvl 0-1

1.e4 c5 2.Cc3 d6 3.f3!?. Sur le coup, j’ai vraiment cru que c’était un mouse slip. Parce que je ne savais pas qu’il avait déjà joué cette petite idée en Bullet contre Firouzja ; difficile à deviner sans avoir cette référence 🙂 .

Du coup, j’ai obtenu une position de Dragon avec le Fou en e2 au lieu de b3.

Carlsen-Mvl, Ronde 4.
Carlsen-Mvl, Ronde 4.

Ici, il fallait jouer la suite un peu contre-intuitive 16.Dxd6! bxc3 17.g5, que j’avais anticipée, mais qui me paraissait bien optimiste pour les blancs. La machine confirme toutefois que c’était le mieux, mais Magnus a joué le plus humain 16.Cd5 Cxd5 17.exd5 (peut-être avait-il prévu de reprendre avec la Dame, avant de se rendre compte que 17.Dxd5 Fe6! 18.Dxd6 Da5 était très risqué, par exemple 19.b3 Txc2!), mais après 17…e4! 18.fxe4 Te8, les noirs ont un jeu plus agréable.

Dans la finale avec un pion de plus, il fallait trouver un moyen de progresser, dans la mesure où je ne pouvais pas amener mon Roi directement.

Carlsen-Mvl, Ronde 4.

Et ici, j’ai fait le bon choix avec 35…Ff5, échangeant un important défenseur, le Fou en d3. 36.Fxf5 (si le Fou se soustrait à l’échange, la Dame noire va pouvoir attaquer c2 et h4) 36…gxf5 et le nouveau pion passé est trop dangereux.

Ronde 7 : Mvl – Svidler 1/2

Mvl-Svidler, Ronde 7.
Mvl-Svidler, Ronde 7.

Voilà le genre de partie où les blancs sont mieux, grâce à la paire de Fous, mais où la moindre imprécision peut faire perdre tout avantage. C’est ce qui s’est produit ici après le hâtif 31.Fb6? Ce4!, et grâce à la menace …Cc3, les noirs sont actifs et totalement hors de danger. Une analyse plus minutieuse de la position m’aurait permis de comprendre qu’il ne fallait pas attaquer directement le pion a5, mais commencer par excentrer le Cavalier noir par 31.Ff4!, et les blancs conservaient alors un plus évident.

En action contre Svidler (image www.chess24.fr).

Ronde 9 : Mvl – Radjabov 1/2

Encore une finale intéressante sur le thème de la paire de Fous !

Mvl-Radjabov, Ronde 9.
Mvl-Radjabov, Ronde 9.

J’ai joué ici 43.f3?!, qui n’a malheureusement posé aucun problème aux noirs après 43…Rg7 44.g4 Rf6. A la place, j’avais un essai très intéressant, commençant par le naturel 43.Rf3. En fait, c’était mon premier choix mais j’y ai renoncé parce qu’après 43…Ce6 44.Fxd6 Cd4+, je n’avais envisagé qu’un coup naturel de Roi comme 45.Re3, mais 45…Cxb5 46.Fc5 a3 47.d6 a2 48.d7 a1=D 49.d8=D+ Rh7, et le Roi blanc est trop exposé aux échecs. Cependant, on comprend par déduction qu’il faut jouer la même variante avec 45.Rg2! Cxb5 46.Fc5 a3 (46…Cc7 47.d6 Ce6 48.d7 Rg7 49.Fe7 a3 50.Fxa3 Rf6 51.Rf3 Cd8 doit faire nulle également, même si en pratique, les blancs poussent encore après 52.Rf4) 47.d6 a2 48.d7 a1=D 49.d8=D+ Rh7 (49…Rg7 50.Df8+) 50.Dd7 Db2 51.Dxf7+ Dg7 et les noirs vont devoir encore se battre pour le demi-point.

Ronde 11 : Mvl – Nepomniachtchi 1-0

Une partie vraiment très tendue, très compliquée, avec énormément de calculs.

J’ai fait coulisser mes deux Tours sur les côtés, l’une via a3, l’autre via h4, ce qui n’est pas forcément très commun 🙂 .

Mvl-Nepomniachtchi, Ronde 11.
Mvl-Nepomniachtchi, Ronde 11.

Ici, j’ai joué le coup « humain » 22.Fxh6?!, mais 22.Tf4!, que je n’ai absolument pas envisagé, était bien plus fort ; aucune ligne tactique ne permet aux noirs de protéger le pion f6 (22…Tf8? 23.Ce5! ou 22…De7? 23.Dc6+ Rf7 24.Ce5+), après quoi le Cavalier blanc arrivera sur e5. Sur 22.Fxh6?!, je pensais qu’il devait répondre par 22…0-0-0!, car après 23.Tg7 Dd6 comme après 23.Dxa5 Dc6!, la position reste vraiment à double tranchant. Mais Nepo a préféré 22…Dd6? 23.Fg7 Dxc5 24.dxc5 Tg8 (24…Txh5 25.Fxf6 Rf7 26.Fc3 et là encore, l’arrivée du Cavalier sur e5 semble terrible) 25.h6 e5 26.Tg3! Fh7 27.Fxf6 Txg3 28.fxg3 Ta6, et j’aurais dû conclure par 29.Fg7! Tg6 30.Cxe5 Txg3 31.Rf2 et les pièces blanches dominent outrageusement le paysage. J’ai cru que 29.Fxe5? était tout aussi efficace, mais j’ai sous-estimé son contre-jeu après 29…Txh6 30.Fxc7 Th1+ 31.Rd2 Tb1. La finale F+C+p c. T qui en a résulté était sans doute nulle, mais elle posait de tels problèmes pratiques que le Russe n’a pas pu la sauver.

¼ Finale : So – Mvl 2-0 (3-1 / 2-1)

Le regret, c’est évidemment ce moment-clé de la deuxième partie du match aller, dans une Grünfeld qui avait bien tourné pour moi.

So-Mvl, Match aller 2e partie.

Ici, les blancs ont terminé leur développement et connecté leurs Tours par 19.0-0?, un coup naturel mais qui se heurte à une réfutation tactique nette. J’avais vu que je récupérais mon pion par le simple 19…Fxe2? 20.Dxe2 e5 21.Fe3 Txc3 et je n’ai donc pas cherché autre chose. Pourtant, le gain n’était pas du tout compliqué, mais certainement contre-intuitif. Dans un bon jour, je pense quand même qu’il ne m’aurait pas échappé : après 19…Fxd4+ 20.Cxd4 b5!, le petit pion découvrait un double clouage et forçait le gain d’une pièce, les blancs ne pouvant pas parer les menaces 21…e5 et 21…Dxd4 en même temps.

Tableau final de la Crypto Cup (image www.championschesstour.com)
Tableau final de la Crypto Cup (image www.championschesstour.com)

Il est temps pour moi de féliciter Magnus Carlsen pour sa victoire finale dans un tournoi où, pour la première fois, une partie de la bourse de prix était distribuée en cryptomonnaie ! Et de me projeter vers la prochaine échéance à Bucarest, où les hostilités démarreront le 5 juin…

Les parties de Maxime à la Crypto cup :

Site officiel : https://championschesstour.com

Déjà invité en 2020 par le Youtubeur bien connu Absol sur sa chaîne secondaire consacrée aux échecs, Maxime est de nouveau intervenu à la fin du mois de mai, mais sur la chaîne principale cette fois. Assez improbable, le format-fleuve de cette longue interview (3h16 et 75 questions !) peut paraître rebutant. Pourtant, nombreux sont les commentaires à s’étonner de la facilité avec laquelle on se prend au jeu de cette vidéo, d’autant que Maxime discute avec Absol tout en disputant deux parties à l’aveugle contre Dicomaniaque, un autre streamer amateur d’échecs posté en arrière-plan avec son échiquier.

Candidats : à la prochaine !

Tournoi des candidats

Après plus d’un an d’interruption, le Tournoi des Candidats a finalement repris le 19 avril, là même où il avait été interrompu, à Ekaterinburg (Russie). Retrouvez ici le compte-rendu de la première moitié.

Voici un rapide tour d’horizon des moments critiques dans chacune de mes 7 parties :

Caruana-Mvl 1-0

Caruana-Mvl, Ronde 8.
Caruana-Mvl, Ronde 8.

Le premier moment critique est évidemment arrivé après la spectaculaire nouveauté 18.Fc4! Dxc4 19.Fd6. Mon premier instinct a été pour le coup que j’ai finalement joué, 19…Cf6. J’ai quand même pris le temps de regarder les alternatives, par exemple 19…Fxd4, qui m’a semblé mille fois trop dangereux. J’ai aussi analysé le coup 19…f5, que j’ai rejeté à cause 20.Cxc5 Cxc5 (le coup d’ordinateur 20…Rf7!? ne m’a pas traversé l’esprit !) 21.Cxf5 De4 22.Cxg7+ Rf7 23.Fxc5 (23.0-0+! comme mentionné par Fabiano, est bien plus radical !) 23…Dxe3+ 24.Fxe3 e5 25.Ch5 Fg4? (les noirs peuvent sans doute mieux résister) 26.0-0+ Rg6 27.Td6+ Rxh5 28.Tff6 et les blancs gagnent.

Plus tard dans la partie, au moment où j’avais quasiment égalisé, j’ai commencé à commettre des imprécisions. D’ailleurs, je pense avoir pris six mauvaises décisions dans les quatre premières parties, ce qui coûte vraiment trop cher.

La deuxième position-clé de la partie, c’est bien sûr cette finale où je me trompe de forteresse.

Caruana-Mvl, Ronde 8.
Caruana-Mvl, Ronde 8.

Celle avec le Cavalier en h6, que j’ai choisie, aurait tenu avec le pion blanc en g3 au lieu de g2; mais le fait qu’il y ait une possibilité supplémentaire de Tg3+, brisant l’harmonie de la forteresse, change tout : une nuance vraiment pas facile à déceler ! La vraie forteresse consistait donc à positionner le Cavalier en g7, contrôlant l’accès aux cases blanches. Au final, une défaite d’entrée difficile à encaisser au vu du déroulé de la partie…

Comment marche cette satanée forteresse ? (photo : Lennart Ootes).

Ding Liren-Mvl 1/2

Je pense avoir obtenu une position très raisonnable contre son anti-Grünfeld avec 3.h4, mais j’ai commis une grave erreur à la sortie de l’ouverture, qui lui a permis de réaliser un excellent sacrifice de pièce. Pourtant, je l’avais anticipé, mais je l’avais malheureusement sous-estimé.

Ding Liren-Mvl, Ronde 9.
Ding Liren-Mvl, Ronde 9.

Le tournant, un vrai petit miracle, c’est qu’il n’ait pas joué 31.Tf3! dans la position du diagramme. J’allais répondre 31…De4 et tendre la main trois coups plus tard. Du coup, après 31.De2?, je suis toujours mal, mais encore en vie.
Pourtant après 31…e4 32.Te3 Te8 33.Tb5 De5 34.g3 Dd4 35.Tb1 Tf7 36.Td1 Df6, le simple 37.Dc2! aurait conservé un avantage considérable, mais Ding s’est précipité par 37.d6?, oubliant 37…Te6! 38.d7 Td6 me permettant d’échanger le pion e4 contre son fort pion passé.
La satisfaction, c’est d’avoir tenu les cinquante coups suivants, parce que c’était vraiment très, très difficile ; heureusement, j’ai trouvé tous les seuls coups, ce qui m’a empêché de commencer avec un 0/2 rédhibitoire.

Mvl-Giri 1/2

Mvl-Giri, Ronde 10.
Mvl-Giri, Ronde 10.

Pour moi, le moment critique de cette partie, c’est quand j’ai décidé de prendre un pion par 21.Dxb5?!, après quoi je pensais avoir un net avantage. En réalité, j’ai perdu une bonne partie de cet avantage, et rétrospectivement, je comprends bien que j’aurais dû opter pour 21.Fc2!. Le problème c’est que pendant la partie, j’ai cru que 21…b4 stabiliserait son bon Cavalier en c5, oubliant la manoeuvre 22.f3! suivi de Ff2, et je crois que les noirs vont souffrir car la position est quand même assez venimeuse. Encore une fois, j’aurais dû voir ça et faire le bon choix…

Grischuk-Mvl 1-0

Bien qu’excessivement complexe, la position a commencé à mal tourner pour moi après 19.g5.

Grischuk-Mvl, Ronde 11.
Grischuk-Mvl, Ronde 11.

Ma première idée, c’était de sacrifier en e4, mais je n’ai rien vu de tangible après 19…Cxe4 20.Cxe4 Txc2 21.De1 ; je l’aurais tenté si j’avais pu imaginer l’idée diabolique 21…Dc6!? 22.C2c3 exf4 23.Dh4 h5 24.gxh6 Dxe4!, même si les blancs restent sans doute gagnants après la série suivante de coups improbables, mais forcés : 25.Ra1! Fe5 26.Ce4 Txb2 27.h7+ Rh8 28.Cc3 Txb3 29.De7!.

Comme je n’aimais pas du tout non plus 19…Cg4 20.Tf1!, je me suis résolu à jouer 19…Ch5 20.f5 Tfd8 21.f6 Ff8 22.Cg3 d5!?, essayant de pêcher en eau trouble.

Après m’en être sorti grâce à une jolie pointe tactique, j’ai obtenu la position suivante :

Grischuk-Mvl, Ronde 11.
Grischuk-Mvl, Ronde 11.

Après quelques minutes de réflexion, j’ai décidé de jouer pour le gain avec 33…Dd5. Evidemment, ma première idée était 33…Th4 34.Txh4 Dd1+ 35.Dxd1 Txd1+ 36.Ra2 Td2. Mais sur le coup, je n’étais pas certain à 100% de faire nulle dans cette finale, et de toute façon, je préférais la position après 33…Dd5 34.Dh5 Dxh1+ 35.Dxh1 Tg4.

Objectivement, essayer de jouer pour le gain par 33…Dd5 était peut-être une erreur de jugement de ma part, mais pour moi, la situation dans le tournoi exigeait que je prenne ce risque-là. Malheureusement après 36.Fxe5, j’ai immédiatement gaffé avec le terrible 36…Txg5?? (36…b5! suffisait sans doute à conserver l’équilibre) 37.Dxb7, oubliant que le Fou est imprenable à cause du double échec en g2 puis h2 qui gagne la Tour. Evidemment, la perte du pion b7 change tout et je me suis écroulé par la suite…

Mvl-Alekseenko 1-0

Dans cette partie, le jeune Russe a mal traité l’ouverture, et j’ai vite obtenu un très gros avantage. En revanche, il s’est vraiment bien défendu par la suite, même si je n’ai sans doute pas été clinique techniquement puisqu’à mon avis, il conservait encore de bonnes chances de nulle dans la position critique suivante :

Mvl-Alekseenko, Ronde 12.
Mvl-Alekseenko, Ronde 12.

Mais sa seule chance était d’éviter l’échange des Tours par 30…Tb8!. Après, si je fixe la structure par 31.b3, il obtiendrait suffisamment de contre-jeu après 31…axb3 32.axb3 Ta8. Je dois donc prendre la colonne avec 31.Td1, mais le coffre noir sera bien difficile à percer après 31…b3 32.a3 Ff6! 33.e5 Fe7 34.Td5 Tf8!.

A la place, Alekseenko a choisi d’attendre par 30…Td7?, mais après 31.Td1 Txd1 (31…Tb7 n’est plus possible à cause de 32.Td5 b3 33.a3 Tc7 et les noirs n’ont plus le contre-jeu sur f4) 32.Rxd1, j’avais calculé la finale de Fous jusqu’à la position finale. Evidemment, il y a pas mal de subtilités à prendre en considération, mais je me suis dit que je devais croire en mes calculs et tant pis pour moi si je me trompais 🙂 . J’avais besoin de cette confiance pour la fin de tournoi !

Nepomniachtchi-Mvl 1/2

Une partie évidemment atypique puisque dans l’obligation de gagner avec les noirs, je devais créer une situation de tension, même si je sais bien qu’elles risquent de se retourner contre moi. Mais vu le classement, vu son état de nervosité flagrant, et l’évidence qu’il jouait avec le frein à main pour faire nulle, je me devais de tenter le tout pour le tout. C’est typique de l’ambiguïté de jouer pour la nulle avec les Blancs : certes, ça enlève beaucoup de possibilités à l’adversaire d’obtenir une partie de combat normale, mais par contre, on ne joue plus à 100% de ses capacités, et ça aurait d’ailleurs pu lui jouer des tours.

Après avoir traversé une phase très critique, j’ai donc obtenu la position jouable suivante :

Nepomniachtchi-Mvl, Ronde 13.
Nepomniachtchi-Mvl, Ronde 13.

Les noirs ont un pion de moins, mais des compensations raisonnables avec le contrôle des cases noires et des accès le long de la colonne b. Malheureusement, pendant la partie, je n’ai pas du tout trouvé comment améliorer la position de mes pièces et je me suis donc résolu à échanger toutes les pièces lourdes par 28…Tab8? 29.Txb8 Txb8 30.Txb8 Dxb8 31.Db2 Dxb2 32.Cxb2 avec une finale égale. Si j’avais vu cette manoeuvre, j’aurais évidemment joué 28…Cf7!, avec l’idée …d6 et …Fc8. Pas que cette suite eût procuré un avantage aux noirs, mais j’aurais juste pu continuer une lutte complexe avec beaucoup de pièces sur l’échiquier, et Dieu sait ce qui aurait pu advenir alors ?

Evidemment, c’est un petit regret, même si je ne peux de toute façon pas dire que c’est sur cette partie que je perds les Candidats.

Mvl-Wang Hao 1-0

Une ultime partie pour jouer la deuxième place des Candidats, ce n’était tout de même pas anodin, même si la perspective majeure d’un match de championnat du monde s’était évanouie.

Mvl-Wang Hao, Ronde 14.
Mvl-Wang Hao, Ronde 14.

Ici, je savais que la meilleure chance des noirs était de transposer dans la finale à quatre Tours par 20…Cxd6 21.exd6 Rd7 22.Tf3 Thf8 23.Te1 f6!. Wang Hao a préféré 20…Thd8?!, mais après 21.Te1!, les blancs ont consolidé le Cavalier en d6 supporté par le pion en e5, et ils ont l’avantage. Pour ce qui s’avèrera être sa dernière partie professionnelle, le Chinois n’a guère opposé de résistance et a rapidement lâché prise.

La grille du Tournoi des Candidats 2021 (Image Europe-Echecs).
La grille du Tournoi des Candidats 2021 (Image Europe-Echecs).

Félicitations à Ian Nepomniachtchi pour sa victoire finale, et bon vent à lui pour le match de championnat du monde contre Carlsen, qui débutera le 26 novembre à Dubaï (Émirats Arabes Unis).

De mon côté, je ne peux évidemment pas me satisfaire pleinement de cette deuxième place, quand seule la première compte. J’ai déjà commencé à debriefer en détail avec mon équipe sur ce qui a bien fonctionné et sur ce qui n’a pas été ; il est trop tôt pour en tirer des conclusions…

L’heure est maintenant à la remobilisation, avec les tournois qui reprennent, et notamment ceux du Grand Chess Tour , et le point d’orgue de la Coupe du Monde à Sotchi (Russie) en juillet, qualificative pour le prochain Tournoi des Candidats, qui pourrait bien être maintenu au printemps 2022, si l’on en croit la FIDE.

En attendant, et en guise de warm up, je disputerai le prochain tournoi du Champions Chess Tour en ligne, qui débutera le dimanche 23 mai.

Les parties de Maxime au tournoi des candidats :

Site officiel : https://en.candidates-2020.com

Contrairement à la première moitié du tournoi, Maxime n’est pas parti seul à Ekaterinburg : le Grand Maître International (et Champion du monde de tennis-échecs 🙂 ) Sébastien Mazé l’accompagnait.
Outre les échecs, Sébastien a également joué le rôle de coach sportif ! Comme ici, pendant une séance dans la salle de sport de l’hôtel…

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