2e à Gibraltar

Avec 5.5/7 à trois rondes de la fin, je suis dans le groupe qui poursuit les co-leaders Nakamura et Howell.
Je double les blancs contre Jules Moussard à la huitième ronde. Vu ma situation dans le tournoi, il est clair que je dois l’emporter, d’autant que c’est peut-être ma dernière partie avec les blancs du tournoi ! On peut débattre de mon choix d’ouverture contre la Petroff, mais c’était mon idée d’amener Jules sur ce terrain-là ; une position un peu sèche où il y a des problèmes pratiques à résoudre. Il les a d’ailleurs plutôt bien résolus dans un premier temps, mais je prends déjà un petit ascendant lorsque j’obtiens la paire de Fous, ce qui n’est pas négligeable. Il reste également avec sa pièce à problème, le Cavalier en a6. Je n’ai pas aimé son coup 22…Td8?!, qui permet un échange de Tours favorable par 23.Tc8. Même si je n’ai pas été le plus précis possible par la suite, j’ai quand même obtenu une finale avec un pion de plus. Comme souvent dans pareil cas, je suis obligé de laisser un peu de jeu en contrepartie, et de trouver une séquence de coups précise autour du 40e coup pour garder l’avantage. Même après le sacrifice de pièce de Jules, la finale n’est pas complètement triviale à gagner ; il faut encore faire attention, notamment avec le pion noir en h3. En résumé, une partie longue et pas facile, dans laquelle j’ai dû calculer beaucoup de variantes dans la position avec le pion de plus, afin d’anticiper toutes les transpositions possibles… Le lendemain, le Russe Daniil Dubov (2694) tente une ligne guère dangereuse dans une variante de l’Anglaise (7.e3), mais qui contient toutefois quelques subtilités. En effet, il a tout de même fallu que je joue les coups précis, car seul un placement optimal des pièces permettait d’égaliser totalement (13…Tb8, 15…Dc7 puis …Tb6-a6).

Des tie-breaks spectaculaires, mais pas par leur qualité !

Par chance, j’ai eu une sixième fois les blancs pour la partie décisive de la dernière ronde contre Richard Rapport (2700). Celui-ci avait concocté une préparation spécifique dans la Caro-Kann, sur laquelle j’ai tout de suite mal réagi, sous-estimant largement son coup 9…Cb4!. Je ne pensais pas que ça marcherait, et j’ai passé près de vingt minutes à essayer de faire fonctionner un antidote, mais sans succès. 10.exf6 Cxc2+ 11.Rd1 Cxa1 12.Fd3 (12.fxe7 Fxe7 13.Fd3 b5! avec l’idée …b4-b3 sauve le Ca1) 12…exf6 ne me faisait pas rêver ; je vais récupérer le Ca1, mais pendant ce temps, les noirs vont générer du contre-jeu, et rester de toute façon avec au moins Tour et deux pions pour les deux pièces mineures. 10.Rd2? était de son côté réfuté par 10…Ff5! 11.exf6 Cxc2 12.Tb1 Td8+. Je plaçais beaucoup plus d’espoirs en 10.Cd4, mais la ligne principale 10…c5 11.Cdb5 Cxc2+ 12.Rd1 Cxa1 13.Cc7+ Rd8 14.Cxa8 Cg4 n’est guère engageante elle non plus.

Du coup, j’ai dû me résoudre à la finale sensiblement égale issue de 10.Fd3 Cxd3+ 11.cxd3. Cependant, Richard m’a fait un cadeau un peu plus tard avec 14…Fd5? au lieu de 14…Fd7. J’ai vu le sacrifice de pion 15.a4! Fxg2 16.Thg1 Fh3 (16…Fd5 17.Cxd5 cxd5 18.Cb5) 17.a5 Cc8 (17…Cd7 18.Tg3) 18.a6 Tb8 19.b4 Fd7 20.Ce4 e6 21.axb7 Txb7 22.Cc2 ; mais il ne me restait plus qu’une demi-heure, nous n’étions qu’au 15e coup et j’ai mal jugé la position, pensant que les noirs gardaient leur pion de plus et étaient assez solides. En réalité, ils éprouvent encore de très grosses difficultés à s’organiser et à bouger leurs pièces et en pratique, l’avantage blanc eût été indéniable. Du coup, j’ai préféré m’orienter vers la nulle avec 15.Cxd5 Cxd5 16.e6 g6 (16…f6 17.h4!? est dangereux) 17.exf7+ Rxf7 18.Cf3. Bien sûr, je regrette de ne pas avoir saisi ma chance de terminer seul premier du tournoi, à cause de deux moments-clé mal gérés dans la partie décisive. A ma décharge, j’étais quand même confronté à des choix complexes…

Début des tie-breaks contre Nakamura (photo John Saunders)
Début des tie-breaks contre Nakamura (photo John Saunders)

Le regard que je porte sur les tie-breaks qui ont suivi est assez catastrophique, et je ne suis pas du tout satisfait de la qualité de mon jeu dans ces deux mini-matches contre Nakamura et Aronian. Je sais qu’ils ont été spectaculaires et sans doute fun à suivre pour les spectateurs, mais la façon dont j’ai joué sur le plan purement échiquéen reste à mon sens très en-deçà de ce que je peux produire. Contre Nakamura, certes je m’impose au final, mais les parties sont assez indignes. Dans la première, j’étais très content de l’ouverture, et il n’est pas normal que je me retrouve à défendre une position aussi difficile ; il faudra que je regarde plus précisément ce qui s’est passé… Dans la finale, je n’étais certainement pas loin d’être perdant. Même vers la fin avec le pion blanc en a6, il restait encore pas mal de possibilités pour les blancs, liées à l’activité supérieure du Fou sur mon Cavalier, et parfois même à la percée en f5. Je m’en suis finalement tiré par un tour de passe-passe.

Pas normal que je me retrouve à -6 !

Pas grand-chose à dire sur la deuxième partie, égale de bout en bout. En revanche, dans le premier blitz, j’ai fait une boulette avec 17.Fg5?, et je me suis retrouvé directement dans une position catastrophique à gérer avec les blancs. Par miracle, je ne perds pas tout de suite, même si je pense que s’il avait joué 30…b6! (au lieu de 30…Ta8?), la fin était proche ! Quant à la suite de la partie, pleine de rebondissements, elle reflète une finale ultra complexe dans laquelle les joueurs n’ont plus de temps ! La position avec une pièce mineure contre des pions passés à l’aile-Dame est très dure à gérer, des deux côtés d’ailleurs. J’ai été plutôt malin, notamment avec mon coup 39.Td1 qui l’a déstabilisé, même si la machine donne -5 à ce moment-là, à cause de la variante 39…c4! 40.Rc1+ Rc5 41.Cd5+ (je m’étais arrêté là dans la frénésie du blitz !), et maintenant 41…Td8! 42.Cc3 Txd1+ 43.Cxd1 Rd4!, et la marée de pions noirs déferle. Hikaru a préféré 39…a2? 40.Rc1+ Rc3? (il fallait revenir 40…Re5), et après 41.Cd5+ Rc4 42.Rb2, c’est à mon tour de m’être retrouvé gagnant !

Dans le deuxième blitz, ce serait peut-être sévère de dire que j’ai mal joué, mais il y a eu trop de moments d’égarement à mon goût. Pourtant, j’avais vraiment bien négocié la partie au départ. Mon sacrifice de pièce 22…Cxd5! était bien vu, après quoi je sentais qu’il ne devrait pas gagner cette position. Pour éviter la nulle par répétition, Hikaru tente 30.Re2 Dxd4 31.Cd1, et sans aucune raison, je me trompe immédiatement avec 31…Fb5?, puis j’aggrave mon cas quelques coups plus tard avec 38…Fd7? ; ce n’est pas normal que je me retrouve à -6 en quelques coups, à partir d’une telle position ! Heureusement, Hikaru renonce instinctivement au trivial 30.Txd7 qui forçait l’abandon, sans doute à cause d’un perpétuel qui n’existait pas, et je parviens à sauver le demi-point in extremis.
Les approximations n’ont pas cessé contre Aronian, dans le match final pour le titre à Gibraltar, sorte de remake de la Coupe du Monde à Tbilissi.

Je lâche un coup horrible

Dès la première partie rapide, j’ai commis une boulette avec 19…Cf6?, et Levon aurait pu gagner du matériel par 21.De5! (au lieu de 21.Dg5) 21…Re7 (21…Dxe5 22.Fxc6+) 22.Dg5, et le clouage va coûter cher aux noirs ; ce n’est certes pas trivial, mais c’est le genre de détail symptomatique qui montre que quelque chose cloche… La deuxième partie rapide, dans laquelle je joue le Début Larsen (1.b3), était quant à elle assez intéressante, quoique assez neutre et dans l’ensemble toujours équilibrée.

Le début de la fin dans le blitz décisif ; la position d’Aronian est gagnante (photo John Saunders)
Le début de la fin dans le blitz décisif ; la position d’Aronian est gagnante (photo John Saunders)

Pas grand-chose à dire sur le premier blitz non plus, et c’est dans le deuxième que tout a basculé ; j’ai ressenti comme si mon instinct de blitzeur était mis à mal. J’ai tout d’abord oublié qu’il allait percer au centre par 17.e4, sinon je n’aurais jamais perdu un temps entier avec 16…Fb5? puis 18…Fc4, et j’aurais joué directement 16…Fc4. Ensuite, même si la position est déjà difficile, je lâche l’horrible 25…e5?, me rendant compte trop tard qu’il peut prendre en e5 puisqu’après 26…Dxd2?? 27.exf6, ce serait mat !

Un tournoi de début de saison comme Gibraltar est toujours important pour se situer, voir où on en est. Il s’agit également de retrouver des sensations, particulièrement après cette fin d’année 2017 éprouvante à tous les niveaux, et qu’il fallait maintenant digérer. Malgré la déception de la deuxième place et de cette dernière journée dans son ensemble, j’ai quand même retrouvé des sensations plutôt positives sur le Rocher. Je n’ai eu qu’une seule partie assez mal négociée avec les blancs, contre Goryachkina (2493), et il était d’ailleurs très important qu’elle tourne bien ; heureusement, je commence à avoir l’habitude des exigences d’un Open tel que Gibraltar !
Je ne peux pas terminer sans mettre une nouvelle fois en avant l’excellente ambiance qui règne dans ce tournoi, et le plaisir que j’ai à y participer, entouré des habitués que sont certains de mes compatriotes.

Site officiel : https://www.gibchess.com/

Les parties de Maxime à Gibraltar

[otw_shortcode_quote border=”bordered” border_style=”bordered” background_pattern=”otw-pattern-1″]AeroplaneLa vie d’un joueur d’échecs professionnel nécessite parfois quelques concessions. Fidèles à leur club de Baden-Baden, Maxime et Michaël Adams n’ont pas hésité à se rendre directement de Gibraltar à Hambourg pour un week-end de Bundesliga, même s’il n’était pas prévu qu’ils jouent à l’origine, et qu’on le leur a demandé seulement trois jours avant ! Du coup, Maxime a passé une longue journée du vendredi dans les transports. Avec tout d’abord un trajet en bus pour parcourir les 130 kilomètres séparant Gibraltar de l’aéroport de Malaga. Puis le vol prévu initialement pour Roissy, suivi d’un enchainement immédiat avec le Paris-Hambourg. Six ou sept autres joueurs d’autres équipes allemandes allaient également de Gibraltar à Hambourg, mais eux connaissaient leur emploi du temps de longue date, et ont donc pris le vol direct Malaga-Hambourg.
A Hambourg, Maxime, avec les blancs, a battu de jolie manière le GMI polonais Michal Olszewski (2551), qui avait déjà croisé sa route lors des compétitions internationales jeunes. Puis, il a sauvé une situation très compromise avec les noirs contre le GMI suédois Nils Grandelius (2653), dans un match que l’armada de Baden-Baden a failli perdre (4-4).[/otw_shortcode_quote]

Les parties de Maxime en Bundesliga


Site officiel de la Bundesliga : http://schachbundesliga.de

Top